Saint François d'Assise: sacré Messiaen ! (2/2)
Comme je ne doute de rien, je continue avec quelques notes sur le spectacle, tableau par tableau, pour garder une trace ici de ce que j'ai vu. - la croix: le tout début de l'oeuvre, c'est un chant de fauvettes aux percussions (vibraphones et autres xylophones) - les laudes: le thème grave (cf radioblog, morceau a), ondes (numériques, on dirait des portables: on a envie de se retourner pour insulter son voisin, et non, ce ne sont que des ondes placées au premier balcon), bois graves puis choeur d'hommes. - le baiser au lépreux: l'intervention de l'ange puis la joie tellurique du lépreux, comme dans laTurangalila. Nordey a évacué les pustules, on ne voit qu'un homme à bandelettes, en blanc sur fond blanc, qui rappelle l'homme invisible. C'est une illustration intelligente de "l'invisible se voit", un des fils conducteurs de l'oeuvre. - l'ange voyageur: excellente scénographie de Nordey, qui rend la scène drôle et vivante. Il fait danser l'ange sur le rythme rigolo dont j'ai parlé. Il ya une vraie dimension comique à cette situation de l'ange qui se contrefait et pose une charade au moine qui l'envoie bouler. Christine Schäfer s'amuse et a le timbre délicieux du personnage. - l'ange musicien: Saint-François, debout sur sa colonne fait un long discours (un des rares moments où j'ai eu l'impression de perdre le fil du discours) qui le mène tout droit à l'hallucination: l'ange qui sort comme un baby kangourou de la poche verte. Et voilà le frotti-frotta délectable de l'ange à la viole. Je crois qu'un critique du Figaro (déjà à l'époque, ils étaient inspirés) parlait en 1945 de musique de négresse lubrique au moment de la création des trois petites Liturgies. Il n'est sans doute pas excessif de parler d'érotisme au sujet de la musique de ce tableau, de même qu'on peut utiliser ce mot au sujet au sujet du quintette en sol de Mozart. - le prêche aux oiseaux. Très différent de ce que j'avais anticipé; peu de séquences analogues au fouillis d'oiseaux de Chronochromie. La scène est vivante parce que François transmet une sagesse à Frère Massée (Charles Workman, voix souple et fraîche, retenons ce nom), le guide à travers les chants d'oiseaux, avec des petits commentaires astucieux sur le faucon crécerelle, le gammier (qui fait des gammes descendantes puis montantes !), la gerygone. Evidemment, c'est beaucoup moins ennuyeux que la rousserolle effarvatte où il y a 50 minutes de roulades. Comme d'habitude, Nordey n'est pas littéral; les oiseaux, ce sont les lettres proliférantes du texte de l'énigme. La lumière éclatante rappelle Pelléas, et sa sortie du souterrain. Un moment où la tension se relâche, après l'émotion du tableau précédent. - Les stigmates: la musique qui m'a le plus impressionné. Incroyable début éclaté, avec des fa# obstinés aux violoncelles. Une musique très violente sous le choral du choeur. L'idée visuelle de Nordey et son décorateur est géniale: un triptyque, vert, noir et blanc; quand François subit les stigmates, le carré du centre est progressivement barbouillé en rouge. -la mort et la nouvelle vie: des réminiscences de toute l'oeuvre, on reconnait le thème des laudes, des oiseaux, avant un grand retour à la musique de l'ange et du lépreux, pour l'apothéose finale.