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zvezdoliki
21 mai 2004

La vie est un miracle, d'Emir Kusturica

Personne n’est plus insensible que les gens sentimentaux. Souvenez-vous: «Sécheresse du cœur dissimulée derrière un style débordant de sentiments»

(Kundera, les Testaments trahis, qui cite Stravinski)

La vie est un miracle est, comme Underground, un film dégueulasse. Et réalisé par quelqu'un de doué, c'est ça le problème. Quand je vois les hurlements de plaisir de la salle où je l'ai vu et le succès critique du film, je suis inquiet et énervé.

Rappel des épisodes précédents: Underground était ce film où, pour ne reprendre qu'un seul exemple, on voyait les mêmes images d'archives, avec la musique de Lili Marleen, montées à deux moments différents, une fois au sujet de 1941, l'autre au sujet de 1991 (date du déclenchement de la guerre et des déclarations d'indépendance slovène et croates), avec le même carton: "les Allemands envahissent la Yougoslavie". Kusturica reprenait là à son compte l'instrumentalisation de l'Histoire par la propagande de Belgrade dans sa pire imbécillité, sur le mode: c'est l'Allemagne qui a voulu faire main basse sur ses anciens satellites, la Croatie et la Slovénie....

Dans son dernier film, Kusturica est à la fois plus insidieux et plus consensuel. Il centre son film sur une romance entre un Serbe et une Musulmane, a priori inattaquable. Le seul ennui, c'est que, comme par hasard, ce sont les sympathiques Serbes de Bosnie qui protègent cette romance, qui est cassée net par des méchants snipers Musulmans qui tirent sur la jeune femme Musulmane, juste avant qu'elle ne tente de franchir la Drina (Là on touche le fond: la seule représentation des snipers dans le film, c'est pour montrer des soudards ivres qui déclarent, entre deux gorgées de bière, que jamais les Serbes n'arriveront à prendre Gorazde. Quand on souvient ce qui est arrivé à Gorazde et la ville voisine, une certaine Srebrenica, sans parler de Sarajevo, ce gigantesque terrain de chasse pour snipers serbes, on se dit que Kusturica ne manque pas d'air......). J'oubliais les autres responsables du gâchis, tel que le film les décrit, c'est bien sûr la Forpronu qui organise la séparation des communautés au travers d'un échange de prisonniers trop médiatisé (on s'en doute, ce sont bien la Forpronu et les Musulmans qui ont cassé l'idéal d'une Yougoslavie unitaire....l'épuration ethnique, le blocage de la Fédération au profit des seuls Serbes, avant le début de la guerre, Kusturica n'en n'a sans doute jamais entendu parler).

Même en dehors de l'histoire amoureuse (une moitié du film, pas davantage), le film feint de se cantonner à l'attitude apolitique et émotive de son héros tout en développant une représentation de la guerre en Bosnie qui est à vomir et qu'il n'est pas interdit d'expliciter. Les ingrédients de l'abrutissement du spectateur sont 1) le vitalisme (le surrégime permanent pour reprendre l'expression de JS, la célébration de la vie et du mouvement, dont je ne suis pas loin de penser qu'il s'agit d'une des caractéristiques du fascisme) et 2) la sentimentalité gluante (deux exemples: la scène finale, que je ne vais pas déflorer, ou encore: la scène où le père court après le ballon du fils; on s'émeut pour un ballon de foot ou pour un âne, mais on est incapable de comprendre quoi que ce soit).

Le héros n'hésite pas à détruire la télé quand il s'agit de CNN en train de couvrir le siège de Sarajevo ; en revanche, aucune réaction du même héros quand il voit à la télé Karadzic ....ou un spécialiste de Shakespeare (sans doute Nikola Koljevic, l'une des crapules à la tête de la Republika Sprska ?) qui déclare: "ce qu'on a fait aux Serbes dépasse ce que les Serbes ont fait". De façon symptomatique, le film évoque Shakespeare à deux autres reprises, dans la scène au bord de la Drina déjà mentionnée, où les soudards musulmans ironisent sur "Roméo et Juliette", mais aussi dans un morceau de bravoure, la scène du match de foot avant le début de la guerre, où les Serbes, paisibles sportifs, gagnent le match et leurs adversaires se vengent avec des matraques (Dans des interviews, Kusturica ne se cache d'ailleurs pas de ses intentions métaphoriques sur cette scène). Si faire référence à Shakespeare doit conduire à autant d'aveuglement, j'aime autant répudier toute idée de culture.

Pour être honnête, je dois reconnaître que le film évoque la préparation des Serbes à la guerre (l'officier qui sait d'avance que la guerre va être déclarée, la construction de la voie ferrée qui va relier l'Est de la Bosnie à la frontière serbe) et n'hésite pas à décrire les turpitudes de l'armée fédérale (trafics en tous genres, et surtout accointance avec les Allemands pour le plus pourri des militaires serbes....le crime suprême). Mais tout ça est décrit avec une complaisance de clan.... il s'agit de péchés véniels et on comprend bien qui sont les vrais ennemis: l'OTAN, la Forpronu, l'Allemagne, les Etats-Unis, et les médias occidentaux. Effectivement, M. Kusturica, on n'appartient pas au même monde...et on en est fier.

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20 mai 2004

Alcina, de Georg Friedrich Haendel

Je dois réviser mes préjugés les plus rances, à l'issue d'une année où j'ai vu Serse, Semele et, hier soir, le plus beau des trois, Alcina, qui m'a vraiment emballé. Un nouveau théorème d'existence: il y a bien des choses passionnantes dans les opéras de Haendel. Il faut ajuster ses anticipations, et accepter de s'installer dans la durée, à la fois sur le plan macro (hier: plus de trois heures de musique, hors entr'actes); mais aussi micro, chaque air da capo étant non-évolutif, sans surprise majeure une fois qu'on a compris quelle était son idée principale. L'action avance dans les récitatifs, chaque air représentant au contraire un état statique de la nature (un niveau d'excitation, comme diraient certains ;o)) de chacun des personnages de l'opéra.

Alors que Serse et Semele étaient plus protéiformes, Alcina est d'une tonalité générale mélancolique, très opera seria, relativement austère (peu de choeurs, pas de ballets, un seul trio, sinon que des airs solistes). L'histoire est simple; c'est celle d'une femme, Bradamante, qui vient, travestie en homme, rechercher son époux, Ruggiero, qui a succombé aux charmes d'Alcina la magicienne. En somme, une Léonore qui viendrait disputer son mari à une Maréchale magicienne. Le détail de l'intrigue est beaucoup plus compliqué; mais les travestissements, les simulations et la stratégie amoureuses sont au service du triomphe de l'amour vrai. C'est une méditation baroque sur le vrai, le faux, l'artifice.

Je prends note, avant réécoute au disque, de quelques grands moments, que je classe par ordre croissant de sidération:

1) le grand air de bravoure de Ruggiero (sublime Vesselina Kassarova, basses veloutées, phrasé impeccable, voix corsée, je n'ai eu d'yeux et d'oreilles que pour elle) au 3ième acte, orchestré avec des cors et des bois, en sol majeur, où il est question d'une tigresse et de sa tanière.

2) l'air au 2ième acte où Ruggiero feint de déclarer sa flamme à la déjà méfiante Alcina (alors que le sortilège a déjà pris fin); où il déclare "n'aimer que son idole" et ajoute en aparté "mais pas toi....", avec une intervention comique d'un duo de flûtes qui vient contrecarrer le discours aux violons, une équivalence musicale amusante du double jeu du personnage.

4) un aria dolent d'Alcina en la mineur avec violoncelle solo, au premier acte. Le personnage d'Alcina est absolument bouleversant. C'est une femme de pouvoir, amoureuse, qui sent que ses pouvoirs lui échappent. Haendel prend ça très au sérieux, et ne fait pas une seconde le malin....

3) l'air de Ruggiero au 2ième acte; le texte dit quelque chose comme "Vertes prairies, vous perdrez votre beauté". C'est une méditation cruelle sur le vieillissement, sur cette nature artificielle de l'île d'Alcina peuplée de ses anciens amants qui ont été transformés en rochers, en arbres et, par opposition, sur l'amour qui dure, au-delà des artifices, celui de Ruggiero pour Bradamante. La musique est d'une sérénité olympienne, d'un mi majeur lumineux (et rappelle l'aria magnifique qui ouvre Serse, le protrait d'un ...arbre) et forme un contraste saisissant avec l'amertume du texte.

5) le grand air d'Alcina au 2ième acte, air de douleur à 3/4, qui ressemble un peu à l'air du froid de Purcell, avec une partie centrale furioso, et retour à la dépression après... Saisissant.

Un mot de la mise en scène: pas de souliers à boucles hélas, mais quelques beaux moments (notamment les vertes prairies....) et surtout des très beaux éclairages et une bonne utilisation des volumes de la scène de Garnier.

Sinon, pour la petite histoire, les places au 2ième de rang des loges de côté à 10 euros qu'avait prises M, c'est un très bon plan; si on ajoute à ça qu'I, ma voisine préfére du RSO, à qui il arrive d'être ouvreuse à Garnier, nous a placés discrètement au fond d'une loge de face à l'entr'acte, je me dis que nous avons été bénis des dieux hier soir...

16 mai 2004

Les Paladins, de Jean-Philippe Rameau

Une caricature de soirée parisienne au Châtelet ; une rareté de Rameau, une mise en scène chic et choc à base de hip-hop et de gay attitude..... un public hystérique et divisé. J'étais en compagnie de gens férocement CONTRE, mais je suis moi même assez mitigé, ce que je n'aime pas être.

J'ai bien aimé les gags à la Lewis Carroll, à base de bébêtes variées en train de courir dans tous les sens; des poules en train de se dandiner sur du Rameau, ça vaut le déplacement... Et j'étais content de découvrir cette belle et rare musique de Rameau, sophistiquée et fraîche (avec mon Fabien préféré n°2 dans la fosse, clin d'oeil privé).

Mais la diction des chanteurs était globalement très déficiente, au point qu'on ne comprenait rien du texte, ce qui n'est pas acceptable. J'inclus dans cette critique Stéphanie d'Oustrac, qui a un beau timbre et des jambes à la Cyd Charisse; le seul à avoir une diction correcte était un certain François Piolini, qui a très bien chanté le rôle de la fée..... Et puis sans même qu'on mentionne le nombre ahurissant de messieurs tout nus sur le plateau, on peut juger que le spectacle est quand même à deux doigts du racoleur, notamment quand Christie/ Montalvo fait taper les mains des chanteurs dans certains airs confinant à la rengaine, comme si on était chez Claude François.... Trop, c'est trop.

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