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zvezdoliki
2 mars 2005

Découvrons avec Jacques Roubaud les moeurs étonnantes des hétéros médiévaux

Et aussitôt elle entama les hors-d'oeuvre, deux douzaines d'huîtres de Colchester. Wallwein était tout affamé et ne se fit pas prier pour jouer sa partie dans la partition dînatoire. Dire que la Guivre mangeait salement serait peu dire. Elle mettait ses griffes partout, s'essuyait la gueule avec sa manche, aspirait les huîtres avec un bruit glougloutant, et ainsi de suite jusqu'au dessert, pétant et rotant en contrepoint de sa déglutition.

Enfin, ayant achevé d'engloutir une montagne de myrtilles à la crème de Cornouailles, elle repoussa son assiette, et regarda Wallwein (qui avait, tout au long du repas, fait des efforts pour isoler son estomac de ce contexte peu appétissant) avec une concupiscence avinée (elle avait descendu de nombreuses bouteilles de vin du Kent). "Et maintenant, beau chevalier, c'est l'heure du poutou qui pue." Wallwein avait beau ne pas connaître le mot "poutou", les intentions de la Guivre, qui s'était levée et s'approchait de lui en se déhanchant comme un ornithorynque, étaient on ne peut plus claires. Mais les règles de l'Aventure sont formelles: on ne refuse pas le baiser de la Guivre, sous peine d'être un chevalier récréant, c'est-à-dire froussard et couard, indigne désormais du nom de chevalier. Wallwein donc se leva, essuya sa bouche avec sa serviette aux armes de Rhegedd et dit: "Je suis prêt". "RRRAAHHH!" fit la Guivre avidement. Et, prenant la tête de Wallwein entre ses pognes, elle lui flanqua sa grosse langue écumeuse dans la bouche.

Mais aussitôt, en lieu et place de l'horrible bestiasse, Wallwein eut dans les bras une délicieuse créature, construite un peu, jugea-t-il, à la manière de Silence, sa (son) frère-et-soeur, sauf qu'elle était blonde et nettement plus abondante des mamelles, plus ample et cambrée de l'arrière-train. Elle avait sous les bras et au bas du ventre un toisonnement bouclé et parfumé, ma foi, d'une manière plutôt agréable; et d'une blondeur, d'une blondeur véritablement blondissime. Sa langue chatouillait les dents de Wallwein qui sentit un trouble généreux et vigoureux l'envahir, ce dont la nouvelle version de la Guivre se montra fort satisfaite. Elle le prit par la main et l'amena dans sa chambre, où elle lui fit découvrir toute une panoplie de jeux que Silence et lui, malgré leur grande inventivité, n'avaient point encore trouvé d'eux-mêmes. Et ils ne s'endomirent point avant que l'aube, encore virginale, ne signale, timide et rougissante de pudeur, sa venue.

Jacques Roubaud, le Chevalier Silence, chapitre 15

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