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zvezdoliki
30 mai 2005

De la maison des morts, de Leos Janacek

Une musique géniale.

Je pense que c'est une erreur de trop tirer le texte dans le sens de l'illustration du Goulag, de la lutte contre les totalitarismes. Cet opéra, c'est davantage Faits divers qu'une journée d'Ivan Denissovitch.... Oui, il y a la dépersonnalisation du bagne, la musique de l'acte I le dit avec éloquence. Mais le coeur de l'opéra reste ce corpus de récits de prisonniers, qui ressassent leur vie passée, leurs amours, la vie de province. Et dans cette histoire d'hommes, ce sont, comme dans Katia Kabanovna et Jenufa, des beaux portraits de femmes, en creux, qui font les plus beaux moments de musique (l'histoire de Louiza, celle d'Akoulinka, opéra dans l'opéra davantage que la pantomime de l'acte II).

Des trois récits principaux, je retiens au premier acte l'histoire de Louka Kouzmitch, dense et incroyablement violente (radio), qui rappelle Wozzeck que Janacek venait de découvrir. Le récit du IIIème acte, celui de Chichkov (Johan Reuter, magnifique), m'a le plus impressionné, C'est le plus long et le plus complexe. Celui d'un homme doublement humilié, un personnage qui rappelle le Laca de Jenufa (mais sans le happy end). C'est un bon à rien à qui un père ivre de fureur donne en mariage sa fille Akoulinka. Celle-ci a été déshonorée par un certain Filka Morozov, qui lui faisait la cour et a refusé de la demander en mariage en faisant croire qu'elle s'était donnée à lui. Pendant la nuit de noces, Chichkov se rend compte que Filka Morozov a menti, qu'Akoulinka est encore vierge. Il sort rosser Morozov qui lui objecte qu'il devait être ivre au moment de la nuit de noces. Chichkov finit par battre sa femme, lui demander pardon....et elle lui avoue qu'elle aime encore Filka Morozov. Chichkov finit par l'assassiner après l'avoir emmenée en charette dans la forêt. Ce long (plus de vingt minutes) récit cruel est raconté dans une langue imagée et chaude, à la Babel (tiens, il est d'ailleurs question de Tambov dans cet opéra, comme dans Cavalerie rouge.....)

L'un des fils rouges de l'opéra est le personnage de Goriantchikov, dont l'incarcération et la libération délimitent l'espace de l'opéra. C'est un personnage secondaire par le nombre de répliques mais crucial dans l'économie de l'oeuvre. C'est le seul prisonnier politique du camp, un personnage qui reste toujours non intégré (scène terrible de l'agression du jeune Tartare que protège Goriantchikov); c'est un double de Dostoievski le prisonnier. Le violon solo qui parcourt l'oeuvre (Janacek a recyclé de grandes parts d'un concerto pour violon qui n'a pas été écrit) dès l'ouverture est bien celui de l'idéal auxquels s'opposent les rythmes lourds caractérisant les chaînes. Vendredi, c'était José van Dam qui apportait son charisme, son épaisseur, sa classe à ce personnage pivot.

Le décousu chez Janacek: oui, mais c'est aussi une des forces de cette musique, cette alternance de plans qui se contredisent. C'est l'arme atomique anti-kitsch. Cet ivrogne qui interrompt par des "il ment" ce récit intime si sensible, c'est ce qui garantit que la sensibilité ne tombe pas dans la sensiblerie (un des mes sujets récurrents d'inquiétude....). Cela n'empêche pas Janacek d'organiser des entrées en résonance magistrales: la fin du récit de Louka Kouzmitch (à qui un militaire borné a presque arraché les oreilles) rentre en résonance avec la sortie de la salle de torture de Goriantchikov, par exemple; ou encore, toujours dans le récit de Chichkov, la coïncidence finale: Louka Kouzmitch n'était autre que Filka Morozov.....

Je m'aperçois que j'ai peu parlé de musique. Je voudrais recommander la lecture de cette excellente analyse de Pierre Michot, accessible et très pédagogique (un lien précieux, j'ai mis un temps fou à en retrouver l'adresse.....). Je garde en mémoire les quartes de ce thème du commandant, les dissonances du thème de la souffrance,

un motif lié à la torture dont je n'arrive pas à me débarasser,

la pantomime du second acte avec le pastiche d'élan graisseux à la Strauss, les choeurs d'hommes bouche fermée dans la fosse, les stridences des piccolos et l'incroyable force de la fin libératrice.

Vendredi, l'aigle noir n'était pas très réussi (une grosse peluche se transformant en un cerf-volant qui s'échappe à la fin de l'opéra), mais il y avait d'autres belles trouvailles visuelles: l'arbre noueux de l'acte I, la scène du petit théâtre de l'acte II avec ses têtes de morts et ses couleurs vives (pas d'accord avec l'ami Francis). La salle était à moitié vide (nous avons pris une place à 5€ à 19h !).

Je mets dans la radio le récit de Louka Kouzmitch à la fin du 1er acte, (le seul moment où la musique de l'ouverture réapparaît, comme le note Michot) et la fin de l'opéra avec la libération de Goriantchikov.

 

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