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zvezdoliki
28 septembre 2005

une citation gratinée

Le plus atroce de la chose, c’est que la jeune femme, pour accroître le charme de cet étrange concert, et sans tenir compte le moins du monde de ce que faisait entendre son savant maître, s’obstinait à gratter avec ses ongles les cordes à vide d’un autre instrument de la même espèce que celui du chanteur pendant toute la durée du morceau. Elle imitait ainsi un enfant qui, placé dans un salon où l’on fait de la musique, s’amuserait à frapper à tort et à travers sur le clavier d’un piano sans en savoir jouer. C’était, en un mot, une chanson accompagnée d’un petit charivari instrumental. Pour la voix du Chinois, rien d’aussi étrange n’avait encore frappé mon oreille : figurez-vous des notes nasales, gutturales, gémissantes, hideuses, que je comparerai, sans trop d’exagération, aux sons que laissent échapper les chiens quand, après un long sommeil, ils étendent leurs membres en bâillant avec effort.


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Hector Berlioz in Les soirées de l'orchestre (1852).

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25 septembre 2005

Rusalka de Antonin Dvořák

Vu Rusalka à Bastille.

Une histoire de barrière d'espèces: Ondine voudrait devenir humaine, pour séduire le Prince. Hélas, l'opération tourne mal: elle devient muette (pratique, cela lui permet de se reposer la voix après avoir chanté des folies à l'acte I) et conserve les extrémités gelées, ce qui la met en mauvaise posture face à la concurrence, une brune brûlante et bavarde. Trahie par le Prince, elle finira par errer dans les limbes, ni ondine ni humaine; et quand celui-ci, bourrelé de remords, revient, c'est pour des prunes, uniquement pour geindre sur l'amour perdu qui ne reviendra pas et la pression sociale qui est si déplaisante.

Un bon sujet, traité d'une façon un peu mièvre. Ni la Rebecca de Hitch, ni la Jenufa de Janacek (écrite deux ans plus tard !). Côté musique, davantage qu'à l'acte II, celui des intrigues humaines, Dvořák est à son meilleur dans les actes I et III, ceux de l'eau, du merveilleux.... Par exemple, à l'acte I,

-la scène entre Ondine et son père (dans la radio);

-l'air de Rusalka à la lune, en sol b majeur (qu'on peut écouter ici et voir sur la vidéo 2 du site de l'opéra), beau comme du Puccini, avec la trompette qui double la voix.

Et puis à l'acte III,

-le premier air de Rusalka (avec ses tortillons chromatiques).

-La scène finale est un salmigondis sans nom: elle démarre avec une musique de choral genre Symphonie Réformation de Mendelssohn (qui ne peut rien présager de bon), avant que le Prince ne rende l'âme sur un enchaînement d'accords parfaits ré bémol-sol bécarre qui ne déparerait pas chez Pelléas.

Décors vaguement surréalistes d'hôtel 4* aux Etats-Unis (pédiluves, lits king size). La mise en scène, sans briller par sa pertinence, sauve l'acte II de l'ennui: la scène est coupée en deux par un (faux) miroir, l'action est dédoublée, c'est la confusion entre la vraie Rusalka et son clone. Pas nécessairement une illustration intelligente du texte, qui oppose clairement la princesse et l'ondine.

17 septembre 2005

ce n'est pas parce qu'une fille sifflote le violon à la main qu'elle est nécessairement lesbienne

Aujourd'hui, c'était la rentrée à l'orchestre pédé. Ce matin j'ai séché pour pouvoir bloguer comme un fou dormir et avancer la nouvelle maison. Par superstition, j'ai vérifié qu'il y avait encore un violon en état de marche dans la boîte qui est restée sous mon lit tout l'été (et non pas un rôti de veau). Comme c'était le cas, je suis venu, seul, à la Sirène, la salle de répétition de l'après-midi.

Dans la rue qui mène à la Sirène, je finis par rattraper une fille que je ne connaissais pas, qui allait dans la même direction que moi, en train de siffloter avec son violon à la main, l'air un peu garçonne, les cheveux très très courts. Avec mon flair habituel, je me dis: "Tiens, toi ma fille, tu viens rééquilibrer le quota de lesbiennes à l'orchestre !" Et je te l'aborde avec mon sourire cheese de comité d'accueil et mon "Bonjour !" des grands jours, qu'elle me rend très aimablement, passablement amusée....quand je me rends compte qu'elle n'allait pas du tout à la Sirène....

11 septembre 2005

Sibelius: 4ième symphonie en la mineur, I.

Une symphonie clé dans l'oeuvre de Sibelius, qui date de 1910-1911, une période de rupture dans le discours, comme pour Schoenberg ou Mahler. Une symphonie que j'ai longtemps trouvée dure à cuire et à digérer, un peu comme les deux sonates violon et piano de Bartok que j'ai longtemps détestées avant de les trouver indispensables à l'écoute. Ne pas se laisser impressionner par une première écoute.... Ce qui peut décourager dans cette musique peut aussi finir par plaire: l'austérité du propos, le sérieux des mouvements lents (n°1 et 3), la fuite à la lisière de la tonalité, la couleur sombre dans les graves, le goût pour la monodie, le fonctionnement à l'économie. Mais c'est sûr, avec ce Sibelius-là on rigole moins que chez Haydn.

Ces notes prises après avoir remis le nez dans la partition sont un guide d'écoute du premier mouvement (ici dans la radio), sans doute trop technique et je m'en excuse d'avance. Je suis un peu frustré par la plupart des commentaires que j'ai lus, qui n'insistent que sur la modernité de cette symphonie, l'omniprésence du triton. C'est vrai mais c'est réducteur. C'est l'oscillation entre tonalité et atonalité, le jeu sur leur frontière qui est le véritable moteur de cette musique.

Ce que je comprends de la forme: c'est une forme sonate en deux volets (4'58" étant le pivot). Avec un mouvement harmonique, dans la première partie, d'un mélange de gamme par tons et de la mineur (c'est une symphonie "en la mineur", écrit Sibelius) vers un fa# majeur qui joue le rôle de la dominante dans la sonate classique; la deuxième partie revenant au mélange de la mineur et d'atonalité du début. Et dans chaque partie, une phase centrale d'"action", un peu alchimique et mystérieuse, permettant la transformation d'un matériau indistinct en un matériau polarisé et ordonné (résolu, on dirait en termes de langage sonate)....

Le matériau du début (a), exposé dans les graves (ambiance de Pelléas dans les souterrains):

do-ré-fa#-mi, sans polarité tonale, expose un fragment de la gamme par tons (rappel: la gamme par tons est cette échelle qui, transposée ou translatée comme vous voudrez, ne change pas). L'intervalle maximal (do-fa#) est précisément ce triton qui coupe l'octave en deux; et annonce aussi le trajet du do liminaire vers le fa# majeur qui conclut la première partie. Un tortillon de gamme qui finit par osciller, en ralentissant, sur fa#-mi. Première source de désarroi de l'auditeur: quel est donc ce matériau qui se torpille tout seul, qui n'arrive plus à avancer ?

Ce matériau prend son sens superposé à un solo de violoncelle (à 39", mesure 6), qui définit un autre espace, tout en prolongeant le précédent : sol#-la-do-mi définit clairement la mineur (l'accord parfait) tout en prolongeant la gamme par tons (sol# succède à mi-fa#).

Ce thème de violoncelle solo est plus folklorisant, moins naine blanche que celui du début. Je l'appelle thème par tierces (b), puisque il énonce des tierces liées par deux. Il finit par se démultiplier et se combiner avec la gamme par tons.

A 2'27, coup de tonnerre, coup de semonce des violoncelles: fa#, superposé à do# (totalement étranger au discours précédent) annonce fa# majeur. On rentre dans une phase d'action que l'on pourrait appeler "Les Temps aventureux" (parce qu'en ce moment on voit du Graal partout), avec des événements très repérables: une montée chromatique avec des soufflets aux cuivres (2'29" puis 3'03"), commentées par une transformation du thème (a) aux violons (2'41" avec le triton bien repérable puis 3'15"), un appel de chasse aux cors (3'29" puis son écho) et une fanfare à la Parsifal (3'45"). On conclut à 3'52" sur le thème en tierces (b), en fa# majeur A 4'26", retour du thème (a), apaisé, ayant perdu sa charge d'atonalité....mais la retrouvant.....

Ce qui suit est une section de développement très stricte autour de (a) (la gamme par tons) et (b) (les tierces majeures, forcément), de plus en plus fiévreuse. Autant le début ralentissait, autant ici on accélère, on détimbre, on désincarne et on file dare-dare vers le néant.

A 7'15", retour des Temps aventureux, avec la même séquence d'événements (par exemple, fanfare à la Parsifal à 8"00) décrite à 2'29", mais en la majeur. Retour de la belle séquence en la majeur à 8'10", qui réexpose les tierces: (a) affadi puis revigoré, mais sans triton: mi-fa#-la-sol.

Conclusion incroyable: Sibelius concatène la formule du début (do-ré-fa#-mi) à une formule finale qui réintroduit le triton (mi-fa#-sib-la). Les dernières notes exposent toute la gamme par tons (do-ré-mi-fa#-sib) moins sol# remplacé par la..... La boucle est bouclée: Sibelius a réussi à résoudre son mouvement dans cet hybride de tonalité, mi gamme par tons mi la mineur. Et réussi à rester dans l'ambigüité, jusqu'au bout

7 septembre 2005

Yossi et Jagger, d'Eytan Fox

Après, vers 23h, après une pause roupillette et une rasade de sirop pour la toux, c'était le téléfilm d'Eytan Fox, Yossi et Jagger. Un peu raté (horriblement doublé) mais très sympathique (et très bien joué), dans la veine de Tu marcheras sur l'eau qui est sorti en salles à Paris cette année. C'est l'histoire (vraie) du commandant d'une brigade de Tsahal en poste à la frontière israélo-libanaise, qui est amoureux de l'un de ses subordonnés. Evidemment c'est une relation secrète, ils en sont à prétexter des repérages à fignoler pour aller rouler ensemble dans la neige. Assez vite on comprend que le défoulement au camp (c'est l'ambiance Les colocataires saison VIII, il y a même des filles, oui des filles, c'est dingue) est la contrepartie de la tension existant à tout bout de champ sur la ligne de front. D'ailleurs l'exercice de nuit terminera mal et je n'en dis pas plus mais vous pouvez légitimement craindre le pire oui le pire.

Ce film a déclenché la colère de l'un des partis religieux à la Knesset, qui a tenté de l'interdire, surtout, semble-t-il, en raison de l'aspect relations entre militaires de grade différents (mais dans une structure hiérarchique ça arrive....). Mais a été un grand succès public en Israël.... Vu de France, c'est un peu un OVNI (même pour moi qui en ai bouffé, de l'armée de terre): il donne une image de Tsahal très différente de celle qu'on aurait d'une armée française dominée par les professionnels...... La différence doit provenir du fait qu'en Israël tous les jeunes donnent trois ans de leur vie à l'armée, et pas pour compter les cigognes ou bayer aux corneilles.

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4 septembre 2005

Une question de vie et de mort, de Michael Powell et Emeric Pressburger

Complètement ébloui par le-meilleur-Powell-selon-guillaume-qui-aime-les-Powell (du coup, pourquoi ne pas aller voir d'autres Powell ?).

L'histoire d'un aviateur qui tombe amoureux dans l'entre-deux entre la vie et la mort. Le film oscille entre un ciel mécanisé, en noir et blanc, aussi amusant qu'un spectacle de campagne, et une terre en technicolor, flamboyante, le lieu de l'idylle, avec ses pâtres et ses massifs de fleurs rouges. Avec des allers et retours matérialisés par les vagues de la plage où s'abîme l'aviateur, une route de campagne parcourue dans les deux sens (mais à sens unique pour le neurologue), et le grand escalator qui monte au Ciel et qu'il s'agit de descendre fissa si on ne veut pas avoir d'ennuis. Le film est un feu d'artifice de fantaisie, d'invention (les arrêts sur images pendant lesquels le guide 71 vient réclamer le retour de l'aviateur au ciel) et d'humour (comment arracher une larme à une anglo-saxonne). Et aussi, étonnamment, un film de commande destiné à renforcer l'amitié anglo-américaine.....

Des photos de la scène qui rappelle les Fileuses ici.

2 septembre 2005

Graal Théâtre, de Florence Delay et Jacques Roubaud

Fini Graal Théâtre de Florence Delay et Jacques Roubaud. Voilà un livre pour lequel je suis prêt à me battre ! Un livre à lire à haute voix (c'est du théâtre, avec didascalies et répliques), à refeuilleter (car ça bourgeonne de toutes parts), qu'on a envie, à peine fini, de reprendre au début (car la fin éclaire tout le cycle).

Une forme en arche pour ce livre en dix branches qui joint au cycle de la Table Ronde celui du Graal. Les deux premiers livres (Joseph d'Arimathie, Merlin), consacrés aux Commencements, décrivent l'institution de la Table Ronde par Merlin et la genèse de la malédiction de la dynastie du Roi Pêcheur qui attend la délivrance, enfermé dans son château de Corbenic où il garde le Graal. Ces deux livres sont marqués par des figures d'inceste fondateur, aussi bien sur le versant arthurien (Arthur séduit sans le savoir sa soeur, leur fils Mordred finira par entraîner la ruine de son père) que sur celui Graal (Joseph d'Arimathie et sa soeur). Les six livres qui suivent relatent les Temps Aventureux et mettent en scène les chevaliers de la Table Ronde, Gauvain, Perceval, Lancelot du Lac, dont le point commun est d'avoir été en contact avec le Graal sans avoir su, par faiblesse humaine, délivrer le Roi Pêcheur. Les deux derniers livres décrivent la déchéance de la Table Ronde qui se disperse pour retrouver le Graal; Galaad (décrit comme un robot éblouissant, le héros de la Foi dans toute son intransigeance) finit par délivrer le Roi Pêcheur et le roi Arthur est défait à la bataille de Salesbières (le Camlaan de Michel Rio)- dans des pages magnifiques où le théâtre cède la place au grand poème épique.

Derrière ces personnages principaux s'agitent toute une forêt de personnages secondaires: des chevaliers inexistants et des barons perchés, une "demoiselle au radar", une "demoiselle au carrefour", une "demoiselle dont la condition est que l'on couche avec elle", une "demoiselle hideuse"......et trois grandes dames: Morgane, Guenièvre et Viviane. Et puis, last but not least, mon héros: Galehaut, l'amoureux de Lancelot. Ce roi terrible dont les forteresses finissent par s'écrouler par amour, ce Geschwitz qui dépérit de voir Lancelot dépérir par amour de Guenièvre. Et puisqu'on est dans ce registre, entre nous, Arthur n'est pas non plus bien net, à dépérir dès que Gauvain n'est pas là.....

Graal Théâtre est une somme d'une ampleur impressionnante. C'est l'aboutissement d'un travail de 25 ans et d'une intimité avec les grandes sources - Chrétien de Troyes, Wolfram von Eschenbach et les autres. Le texte convoque aussi les Evangiles (la première réplique c'est: JESUS: -J'ai soif), mais aussi la littérature moderne, de Cervantès (Ké qui prend le Graal pour un plat à barbe) à Calvino. Il y a une forêt de références érudites qu'on imagine plus qu'on ne les dépiste (notamment celle sur la mesure, le concept médiéval provençal bien connu, m'a laissé passablement rêveur). C'est avant tout une réflexion sur le texte et sa transmission. Le scribe, Blaise, l'homme de Merlin dans sa prison d'air, est un des acteurs du récit que Delay et Roubaud opposent aux pédants de l'Université (Septime et Optime de Lorette....). Guenièvre lit le roman de Tristan et Yseult, et le lecteur reconnaît ici ou là le chant de l'aube de l'acte II de Tristan.....

Les branches se répondent, le texte se répète, en vrai chou-fleur breton, avec des court-circuits, des redites comme un jeu de l'oie: ce sont ces figures du roman de chevalerie que l'on rejoue à certains moments sans conviction, qui retrouvent de la sève pour peu qu'ils soient joués avec les personnages qui conviennent. Un peu comme ce chevalier qui arrive partout au milieu des repas, quel goujat, avec une épée à travers le corps et qui dit: "Celui qui m'ôtera cette épée devra jurer sur les saints qu'il tirera vengeance de tous ceux qui lui diront aimer plus celui qui me blessa que moi-même". L'aventure, c'est l'aventure du texte, avec ces performatifs insolents, ces défis que l'on lance, ces dons contraignants que l'on ne peut refuser si on les reçoit. C'est l'aventure de la combinatoire, de l'intellect, comme cette histoire des maris trompés de Bagdad que l'on résout avec une démonstration par récurrence. C'est ce goût du texte qui disparaît dans les dernières branches, avec la dispersion de la Table ronde, quand se perd cette ambiance de festin d'Astérix: on dresse le couvert et on attend que surgisse l'aventure.

J'ai omis l'essentiel: c'est un livre ambitieux, mais surtout drôle, désinvolte (avec de délicieux anachronismes bien dosés), parfois potache, toujours frais malgré la réflexion théorique et le goût de l'abstraction. Un immense plaisir de lecture.

Lire aussi ici une critique intéressante et  une interview des scribes, Delay et Roubaud.

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