Du Great Britten (comme dit le chat). Une adaptation du Rosier de Madame Husson de Maupassant: l'histoire d'un fils à sa maman, choisi comme lauréat d'un prix de vertu en l'absence de candidate convenable (ben alors! les filles!) par les membres d'une sorte de ligue de vertu locale; mais ce prince Albert élu comme Queen King of May tourne mal et claque l'argent du prix en libations (heureusement hors champ). Intrigue un peu ténue, comédie à la fois triviale et réaliste (c'est une histoire d'épicier), mais pas dépourvue d'ambition et dans laquelle Britten a mis, je crois, beaucoup de lui-même (ce qui n'est pas nécessairement une garantie de réussite).

L'histoire d'une libération, donc, l'une des oeuvres les plus solaires, assertives de Britten, qui vient alors d'emménager avec Pears dans le Suffolk de son enfance, à Aldeburgh. C'est un opéra de chambre: orchestre de chambre réduit mais très virtuose, grande distribution vocale (13 solistes, une troupe au complet!). Sous-texte musical particulièrement riche, véritable festival d'opéra qui convoque Purcell, Mozart, Rossini, mais aussi Tristan et même Pelléas.

Tout le début a un petit côté opéra dans l'opéra avec une collection de mariolles gratinés, une diva sur le retour, une gouvernante pimbêche, une institutrice roucoulante et un maire qui chante à toute vitesse. Tout change avec Albert. Qui change lui-même grâce à un philtre concocté par un couple d'amoureux (qui lui veulent du bien); c'est avec la citation exacte de l'accord de Tristan que l'opéra quitte le registre de la comédie bouffonne pour retrouver une tonalité plus noire, plus existentielle. Le destin d'Albert se joue dans la deuxième scène de l'acte, avec un tirage au sort complétant l'effet du philtre (et on se souvient de l'effet de diversion d'un banc de harengs qui améliore un tirage au sort crucial dans Peter Grimes). Le dernier acte est celui de la vraie-fausse mort d'Albert et multiplie les références funèbres (grand air mahlérien de Nancy, grand thrène à neuf voix). Si la mise en scène tient à ramener Albert à la cave, la musique, elle, est pleine d'optimisme sur l'émancipation d'Albert....

4 extraits en bonus:

  1. Quand il est question d'Albert, pour la première fois ... un moment que je trouve schubertien (à 50" du début), où le superintendant décrit Herring comme un garçon "aussi propre que les foins qu'on vient de couper".... à la fin de la piste, un ensemble un peu kitsch avec harpes et gloss où le vicaire chante la pureté:
  2. le moment Tristan. Après les toasts et l'hymne, l'effet du philtre....(à 90")
  3. le moment Pelléas: au début Nancy se sent coupable de ce qui arrive à Herring (rappel fugace du moment Tristan) mais, après un petit duo en canon avec Sid son amoureux, on passe aux choses sérieuses, comme dans Pelléas, les amoureux discutent de savoir s'ils doivent s'embrasser dans l'ombre ou la lumière: accords de neuvièmes qui finissent en glissando, comme dans un turboréacteur, réussissant à faire chanter les deux chanteurs à l'unisson....(ouf)
  4. le thrène en forme de passacaille sur le texte de la Mort de la reine Mary de Purcell