Béatrice et Bénédict à l'Opéra-comique
Première fois que je vois cet opéra mis en scène. La mise en scène (plus maline que le livret qui est mince, et qui met en valeur la musique, magnifique) insiste sur la fragmentation du récit (après tout, c'est un opéra à numéros, et la musique, une suite de miniatures plus fraîches que les autres), trouve souvent le raccourci juste (et le petit théâtre dans le théâtre dans le théâtre qui convient; et dans cette maison d'illusionnistes, on a le choix). La référence aux marionnettes se justifie pleinement (si Berlioz pense à Shakespeare, Shakespeare, lui, se souvient des romans de chevalerie) et reste en cohérence avec la musique....comme dans le tout début de l'ouverture (ce mystère qui trouve son sens avec le texte du duo final); ces trois segments de phrase liminaires, ce sont ces amorces du feu follet dont parle le texte, ces petites bribes d'amour qui ne savent pas comment s'allumer. Krivine dirige ce début de façon très hachée, démembrée: on entend bien les cordes puis les vents (avec leur saveur particulière) puis de nouveau les cordes - on pense à un pantin désarticulé, et c'est en pleine cohérence avec cette mise en scène qui manipule de façon autoritaire des marionnettes.
(A propos de cette saveur un peu particulière des vents, c'est la première fois que j'entends dans la suite de l'ouverture ce tic berliozien de permuter l'instrumentation - qu'on retrouve dans Roméo et Juliette -: on a une fois le thème lyrique joué aux cordes et accompagné aux vents, et puis, avant ou après, je ne sais plus, l'inverse: le thème chanté aux vents et accompagné aux cordes)
Moyen âge de carte à jouer: chaque scène est tirée du néant par un Monsieur Loyal anglais citant Shakespeare et n'hésitant pas à en forcer le caractère. On rit beaucoup, sans que cela tue l'émotion, comme dans l'air de Béatrice à l'acte II (un air à plateaux successifs, comme certains airs de concert de Mozart, dont le début reprend le thème lyrique de l'ouverture et dont la fin haletante est irrésistible), où la chanteuse envoie valdinguer un bouquet de fleurs (en rythme s'il vous plaît), s'accroche à sa marionnette, à la fois profondément ridicule et très touchante. Christine Rice - timbre magnifique et belle diction - chante cet air avec une grande noblesse.
Comme souvent, il y a boire et à manger chez Berlioz; on aime bien son côté potache (les vers de mirlitons et les piques du premier duo entre Béatrice et Bénédict), mais pas son côté lourdingue et daté (il nous refait le coup du pastiche de la fugue, - comme dans la Damnation, avec un choeur qui chante faux). On préfère se souvenir de la belle musique nocturne de la fin du premier acte (duo entre Héro et sa suivante), avec des insectes (vibrionnant) et un spectre (forcément chromatique).