vendredi 1 juin 2012

Bruckner 4-4

Bon, ce billet pour enfin en finir avec cette satanée 4ième de Bruckner - et vous signaler un bon et sans doute ultime billet de mon chef de pupitre préféré sur le sujet.

(J'ai toujours aimé les trois premiers mouvements de cette symphonie, dont la beauté est évidente (surtout le scherzo, qui convertirait à la chasse la mamie dépressive la plus végétarienne), mais ce qui m'a vraiment marqué cette fois, c'est son finale. Musique riche, protéiforme, alternant des passages presque triviaux, viennois, avec d'autres plus minéraux, énigmatiques, sortes de chants du signe (comme chez Mahler 6-4 avec ses coups de marteau). Les noces de Vienne avec la science-fiction. Je pense à ces trois moments apocalyptiques: le début du mouvement (qui m'a toujours déplu jusqu'au moment où j'ai enfin compris de quoi il retournait), le début du développement (8'48" dans le lien spotify) et la coda (23'48"). Basés tous les trois sur un motif de trois notes aux cuivres traité de trois façons différentes:  au début, octave descendante suivie d'un autre intervalle descendant (tierce ou seconde); au milieu, la même chose ascendante; à la fin, la superposition des deux, ascendant+ descendant. Comme si le début du mouvement, c'était l'atterrissage angoissant d'un aérolithe (il m'a fallu du temps pour comprendre que le grand thème à l'unisson en mi bémol, c'était la même chose que l'accumulation névrotique et accélérée des formules descendantes); le milieu, son voyage (avec les formules passion selon Saint-Jean, voir Mathieu, qui prolifèrent); et la fin, sa transfiguration, avec l'hélice vertigineuse qui fait passer de mi bémol mineur au majeur, et conclut la symphonie dans la lumière de midi.)

 

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lundi 19 septembre 2011

Un petit topoguide du premier de la Neuvième

Comme j'étais vexé comme un dindon de n'avoir rien suivi l'autre jour, j'ai repris partition et Vignal. Ce qui suit ne prétend pas à la génialitude (ou à l'exhaustivitude) mais vise à fixer par écrit ce que je crois avoir compris du 1er mouvement de la 9ième, là, à l'instant t (donc, pas tout, loin de là; on peut aller lire  des choses très bien).

Donc, sonate si on veut. C'est une forme sonate qui ne bouge pas beaucoup. On entend surtout le retour fréquent (au moins sept fois) d'une mélodie en ré majeur à quatre temps, bien cadrée, stable et calme, qui a une tendance fâcheuse à l'évasion vers quelque chose de plus passionnel et hystérique qui donne un peu mal au coeur (souvent en si bémol). Comme les trois premières occurences du thème sont assez intégrées, je veux bien qu'on appelle cette séquence exposition; le développement a sa symétrie (une zone de musique très émiettée à son début et à sa fin, et puis deux séquences Parsifal-thème-excitation en son milieu, on y reviendra). Après un climax difficile à louper, la réexposition reprend la grande mélodie et liquide la phase d'excitation. Tout cela repose sur un très petit nombre de motifs. Admettons, donc sonate plutôt que rondo ou variations, même s'il n'ya pas vraiment de voyage, mais une série d'élans contrariés.

Les mesures 1 à 6 ("Introduction") présentent cinq motifs principaux, très simples (les noms sont de ma seule et unique responsabilité, pas la peine d'appeler l'asile le plus proche):

Corne des brumes (rythme pur, non rétrogradable, c'est à dire qu'on peut le lire à l'endroit à l'envers sans qu'il change, repère sonore très audible qui apparaît mesure 1, au début et à la fin du développement, on y reviendra; griffe sonore de l'éternité?)

corne des brumes1

Horloge (tictac motoriste), sans doute le motif le plus important de tous

horloge

Une vie de héros (les cors, les quartes, l'affirmation de soi, aller gambader sur le cercle des quintes, toussa)

heldenleben

Frisson (déjà issu de Une vie de héros? en tous cas son ombre, son fantôme)

batterie

Seconde descendante (hommage semble-t-il à Beethoven et au Lebewohl de la sonate Les Adieux)

adieu

met en branle avec l'aide du Frisson une grande mélodie en ré majeur (1ère occurence du Thème, à 7: c'est l'Exposition, qu'on pourrait faire démarrer à 1, tout de même)

Première tentative d'évasion à 26 en ré mineur. La musique se fait plus plaintive et se construit avec un motif que j'appellerais bien Arpège noyade (parce qu'il est anxiogène, chromatique et sans cesse répété, comme si l'on se noyait dedans).

arpegenoyade

Séquence très lyrique culminant avec 44, Fanfare lugubre (qui n'est pas toujours lugubre, et sonne parfois comme une prophétie)

fanfaregolaud

qui lance à 47 le retour du Thème (2ième occurence), à son plus flamboyant, dilaté en ré majeur, avec seconde devenue neuvième pour qu'on ne la reconnaisse plus (erreur). Première tentative de filer en si bémol, vite avortée par une modulation déchirante et soudaine (mesure 63-64, un de mes moments favoris, brutal et amer), retour du thème, moins fort, retournant au silence (3ième occurence). Avec le motif adieu en sforzando piano (promis à un brillant avenir). Fin d'un premier cycle. 

Changement d'éclairage, mais pas de matériau. On passe en si bémol (à 80), mais ce sont encore Arpège noyade, Heldenleben et Fanfare lugubre qui font monter l'excitation pour ....ce que j'appellerai Alma, au hasard. 

alma

A 108, coup de Corne de brume, démarrage de ce que Vignal appelle le Développement. On en si bémol mais on va vite rentrer en ré. Vaste séquence où domine l'esprit de l'introduction, musique éparse (Horloge), désolée et fantomatique. C'est encore la harpe qui met en route quelque chose (137) à partir du motif Horloge, qui perd son silence central et devient un mouvement continu (encore un de mes moments favoris): une montée dolente, à la Parsifal.

A 148, 4ième occurence du thème en ré majeur (un peu varié rythmiquement, mais très reconnaissable). Qui file en si bémol (c'est une maladie). Fanfares, Heldenleben, Horloge et climax sur Alma, évidemment (196). Qui file comme une aguille, Arpèges noyade au contrebasson, on est très très mal. 211 varie Arpège noyade en musique de cordes très fauve (sur cordes graves), en si b mineur. Toute cette section conclut sur Fanfare lugubre, répétée trois fois, de moins et moins fort et perdant sa rythmique (et là, bien lugubre comme on aime). A 252, c'est le désert, il n'ya plus que des batteries. Même atmosphère à la Parsifal qu'avant 148

A 267, 5ième occurence du thème, au cor. Cela dure très peu. L'appel d'Alma est trop impérieux (296 et surtout 308, Höchste Kraft, en si majeur). C'est là le moment (314-316) qui m'avait tant frappé au concert, corne des brumes sur do bécarre aux trombones, deux fois, entrecoupé de l'horloge aux timbales tutta forza. Le moment où Berg voit l'annonce de la mort. En fait une zone d'indécision voisine du climat de l'introduction (et du début du "développement"). Qui s'ordonne en une marche funèbre avec le saisissant ostinato crescendo des timbales, qui se transfère aux cloches+ harpes (effet terrible), aux altos (dans l'aigü), aux clarinettes..... Le moment gloss des violons (332) est irrésistible. Mon royaume pour cette marche!

A 347, 6ième occurence du thème, en ré majeur (Réexposition, nous dit Vignal; il a sans doute raison, vu l'importance de l'épisode qui précède). Délicieuses et putrides dissonances à 356 (la#! mi#! le venin progresse, le mouvement devient tout violet). Vers 363 on file en si b majeur, mais ce n'est pas pour retrouver Alma (disparue). Fanfare lugubre superposée à arpège noyade jouent leur rôle d'étouffoir (372) et nous mènent à 376 à un passage chambriste étonnant (qui renvoie à 32-33 et 86-87 selon Vignal, je ne l'aurais pas inventé). Musique indifférente, décolorée, associant flûte, hautbois, cor et contrebasse.

A 406, on s'installe en ré majeur pour ne plus en bouger (Coda). Fanfare lugubre s'évapore (412). A 434, on a quelque chose comme la 7ième occurence du thème (sa liquidation) au violon solo. La fin est géniale: sur l'adieu (fa#-mi du hautbois), on a fa#-la comme harmonie (quelque chose de suspendu et d'improbable), mais il manque le ré... il arrive (c'est le fa#mi ré qu'on aura attendu durant tout le mouvement, rendez-vous compte!), éthéré sur des harmoniques des cordes et prend le relais des autres notes qui ne tiennent pas. Un ré qu'on aura désiré tout le mouvement. Génial.

Pour suivre en écoutant: mesures 1-79 (Introduction, triptyque du Thème)

 

mesures 80-107 (Alma)

 

mesures 108-173 (début du développement)

mesures 174-210 (suite)

mesures 211-266 (suite)

mesures 267-346 (suite)

mesues 347 à la fin (Réexposition)

 

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jeudi 4 août 2011

Haydn en marcheur qui se cherche


Un des très beaux mouvements lents de Haydn, celui du quatuor opus 77 n°2 (je dois à ce week-end à Saint-Nazaire d'avoir replongé, non dans l'eau froide ou dans je ne sais quelle monomanie, mais dans l'univers richement poissonneux des quatuors de Haydn) (j'en ferai peut-être une série sur ce qu'il reste de ce blog, OU PAS, d'ailleurs) (parce qu'il y en a vraiment beaucoup, des beaux mouvements lents, chez Haydn).

Ce qui rend ce morceau irrésistible à mes oreilles? sans hésitation, le moment magique, pour moi, c'est l'irruption des voix intermédiaires après une longue présentation du thème au violon et au violoncelle (1'13", mesure 13). Tout d'un coup, c'est chromatique, riche, chaud et beau comme un aveu troublant qu'on lâcherait à l'oreille. Nécessité des voix intermédiaires (qu'on se le dise) (la révolution gronde).

Et puis aussi.... le fait que c'est un thème de marche qui se cherche.... qui cherche à sortir de sa gangue et de ses deux premières mesures:

haydn

Ce principe de marche qui se cherche, on le retrouve aussi au niveau de la forme générale du mouvement.

Vignal le voit comme un thème avec trois variations; mais il faut beaucoup d'imagination, et entendre chaque retour du thème à la tonique comme un nouveau début de variation. C'est un peu arbitraire, cette forme ne ressemble pas aux variations habituelles dans lesquelles le compositeur déroule x fois l'ossature d'un thème en le camouflant habilement. Comme souvent à l'époque, la forme n'est pas figée, c'est un principe actif, un peu comme une pâte à pain qui continue de faire bloup bloup (bloup). Bref: dans chaque section, il ya le thème ET puis autre chose, un supplément, une déviation de route de campagne qui en change le caractère, la destinée.

Dans la première section où le violon 1 expose le thème, ce supplément, c'est le thème à la dominante, en la au violon 2, comme si Haydn se mettait en tête d'écrire une forme sonate monothématique (mais c'est une fausse piste) (petit coquin).

Dans la variation 1 (à 3'38", mesure 40) le thème est repris par le violon 2, dolce, à la tonique; mais soudain, ça dévie, c'est le violon 1 qui fait sa tragique et repart en ré mineur.

Dans la variation 2 (à 5'37", mesure 74), le thème est confié au violoncelle qui est accompagné par des figures rapides (des triples croches) du violon 1; dans ce cas et assez logiquement, l'extension est une sorte de cadence virtuose du violon 1: moment tendu, dramatique, expressif qui aboutit à ..... (tadam)

....la variation 3 (à 7'55", mesure 105). Reprise du thème dans sa version polyphonique (comme à cette mesure 13 dont j'ai déjà dit à quel point elle me troublait). Une belle pâte sonore chaude, chuchotée, démocratique. Il n'y a plus de reprises comme dans les variations précédentes, on sent qu'on approche de la fin. Haydn rajoute deux touches d'étrangeté: un accompagnement en doubles croches à l'alto (du mouvement et un peu d'inquiétude, mais moins qu'à la variation 2: on va au lit les petits) et une cadence bizarre (troublée par un do bécarre venu d'ailleurs).

Vignal parle d'un mouvement "dynamique mais abolissant le cours du temps aussi complètement que n'importe quoi chez Schubert". Bel oxymore, en effet.

 

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mercredi 2 février 2011

Généalogie

borodine_q1

(le début du 1er mouvement du 1er quatuor de Borodine) ça vient de

beethovenop130

(le milieu du finale de l'opus 130 de Beethoven)

(je dis ça, je ne dis rien moi)

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mardi 20 avril 2010

Bartok/ Boulez

Un mandarin exigeant, qui trouve que la jeune femme va trop vite et que le jeune homme bouge trop (alors que je les trouve tous les deux très bons, surtout la jeune femme). C'est peut-être un peu long mais c'est passionnant de bout en bout, ne serait-ce que pour mieux comprendre ce qu'il y a dans la partition et ce qu'un chef peut faire passer.

(A 29', tout un travail de détail sur l'arrivée du mandarin, avec ses plans superposés; vers 71', un travail sur un duo de clarinettes - et la façon de le diriger; vers 89', la danse finale).

"Faites le précis, ça ne vous fera pas transpirer."

"Soyez charitable, pensez au timbalier, il faut le réconforter, il a déjà très bien compté"

(énervé) "Serré, serré, qu'est-ce que ça veut dire? des triples croches!"

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mardi 23 février 2010

Plus vite, j'ai dit. Plus vite ! (sur le concerto de Beethoven)

Relu avec amusement le passage que Leibowitz consacre au concerto pour violon de Beethoven dans son beau livre sur compositeurs et interprètes. C'est bien vachard et salement polémique: avec force "Tradition ist Schlamperei", il assassine en quelques pages, avec le concours de son compère Kolisch, le grand violoniste, les solistes qui abusent des rubatos et prennent des tempi bien lents, pour un concerto qui hélas manque d'indication métronomiques.

Leibowitz (et Kolisch) pensent que le premier mouvement (noté à 4 temps, Allegro ma non troppo) doit être pensé à la blanche, à un tempo voisin de 88 à la blanche, comme le sublime opus 69, qui est de la même époque:

opus69


d'ailleurs la deuxième partie du thème hymnique du concerto (ci-dessous) a exactement le même profil que le début de celui de cette sonate:

opus61_1_theme

(Hum: Casals par exemple, cf enregistrement ci-dessus, la prend lentement, cette sonate - pas plus de 60 à la blanche. Mais peu importe: sur ce coup-là, c'est l'idée de cette parenté entre les deux oeuvres que je trouve séduisante)

Leibowitz reproche aussi à la plupart des interprétations les variations excessives du tempo, avec des erreurs qu'il qualifie "de débutant": ralentir dans les passages qui sont piano, ou en valeurs longues, ou à un endroit où la densité diminue; les trois caractéristiques étant cumulées dans la coda, que la plupart des solistes abordent comme s'ils débarquaient sur Mars:

opus61_1_cadence

Le danger général est celui de la sentimentalisation (le passage en sol mineur dans le développement, par exemple) pour une oeuvre qui après tout, oppose de façon plaisante un thème de timbales

opus61_1_metre

à un violon jouant ridiculement aigü - rien de sentimental là-dedans, mais beaucoup de musiciens en font quelque chose d'angélique et d'éthéré. Et puis c'est amusant de penser qu'une oeuvre dont la signature est ce mètre-étalon des quatre noires immuables des timbales, qui revient à toutes les sauces, est précisément une des oeuvres de Beethoven la plus trahie et déformée par ses interprètes.

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mardi 25 août 2009

Autour des Etudes de Ligeti

Mon thème astral doit être gigafavorable; j'ai emprunté samedi la partition des Etudes de Ligeti en compagnie desquelles je comptais passer un agréable week-end et voilà-t-y-pas qu'hier, via ici, je tombe sur Levinas commentant trois des Etudes! Bon, ça jargonne parfois velu (et inutilement), mais il y a de quoi faire son miel.

  • Désordre. Désordre mon oeil. Une écriture très simple et très claire (on a rarement écrit aussi simplement et intelligemment, c'est tellement beau à voir, cette partition - si je compare à celle de l'Automne à Varsovie, qui est génial, la partition est hypercomplexe et il y a intérêt à savoir compter pour s'y retrouver). Main gauche, et main droite, deux échelles qui se heurtent (l'une à base de touches blanches et l'autre à base de touches noires, de quoi perdre rapidement tous ses repères); un décalage rythmique se met en place, très régulièrement, la main gauche reste à 3+5, la main droite rajoute régulièrement un temps, comme le fait Stravinsky dans le Sacre avec ses personnages rythmiques (L cite aussi le développement de l'opus 27 n°1, chez Beethoven). Dans la troisième séquence, c'est la main droite qui reste stable et la main gauche qui rajoute des temps.




  • Cordes à vide: le début est comme un lamento baroque, une plainte ourlée de descentes de quintes, ces fameuses cordes à vide qui dérivent, formant une harmonie mouvante (c'est cela l'idée simple de cette étude). A la fin, des appels de cors passent au-dessus d'un effet doppler. Levinas cite finement à ce propos la fin des Papillons de Schumann, avec ses effets de résonance.




  • Un automne à Varsovie: encore le lamento baroque, ces chromatismes qui défilent à vitesse accélérée sur une trame de doubles croches, en un subtil tissage polyphonique. Levinas analyse les complexités (encore plus velues que celles de la page 45) de la page 47 (aboutissant à un climax qui fait revenir la plainte nue, sans ourlures) à partir du fameux finale monodique de la sonate de Chopin -à la base, un choral, non plus vertical mais curviligne; les harmonies qui s'incurvent..... La pièce la plus complexe et une des plus célèbres du recueil.

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jeudi 24 juillet 2008

C'est l'été, riante saison du sextolet

Ce qu'il y a de bien dans Béatrice et Bénédict, c'est qu'on peut sans dommage irrémédiable s'arrêter de l'écouter au bout de 40 secondes (c'est dangereux pour un musicien d'écrire une adaptation de Beaucoup de bruit pour rien).....Mais ces 40 premières secondes !

Berlioz plonge l'auditeur d'emblée dans la confusion d'une nuit d'été, avec des silences qui cassent un discours consistant en des braiements d'ânes (classique!) et des pollens volatils (ces groupes de 6 notes rapides, que j'appellerai dorénavant sextolets). Je trouve ces silences absolument diaboliques: à l'audition aveugle, je n'arrive jamais à comprendre quand ils vont cesser....


Non ?

On va tricher en s'aidant de la la partition et en faisant un peu de métrique. Voici le topoguide du début. Berlioz est (comme moi dans le titre de ce post) capable d'alexandrins (good boy); il enchaîne

  • une séquence 3X3 temps plus 3 temps de silence (=12 temps): sextolets + l'âne+ rien
  • une séquence 4X2+1 temps plus 3 temps de silence (=12 temps): que du sextolet+ rien. Berlioz aurait été contemporain de Stravinsky, il aurait écrit en changeant de mesure, avec un tempo deux fois plus lent (un 4/4 puis un 2/4 et non quatre mesures à 3/8). L'auditeur moyen est vraiment largué car il a eu très peu de temps pour construire des anticipations car le discours du début est passé très vite ! sitôt lancé, sitôt cassé....
  • Retour à la séquence du début: 4X3=12 temps (le silence du début est rempli!) puis 2X (4+3+2)=18 temps de braiment de plus en plus frénétique (exercice sadique : exhiber puis cacher une carotte avec une cadence rapprochée devant un âne qui n'en peut mais) puis 2X3+ 2X2 +11 temps pour liquider les braiements (21 temps! j'adore! trop fort Hector! normalement l'auditeur est totalement largué, là).

La suite est plus carrée. Après ce début malin Berlioz introduit un grand chant langoureux (qui est moins malin), réexpose son matériel malin du début en le dilatant et en le rendant plus carré (remettant dans un carton à 4 temps ce qui virevoltait à 3 temps, avec de la ouate pour que ça ne bouge plus), superpose le chant langoureux aux pollens (qui se marieront et auront beaucoup de surgeons - et on se demande avec angoisse s'ils seront langoureux ou malins); ça reste quand même du très bon Berlioz, et une vraie musique d'été.

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mercredi 14 mai 2008

comme le cheval et l'alouette (encore l'opus 132)


En fouillant sur l'opus 132, je tombe sur un texte de Stravinsky (oui, encore lui). En 1970, pour un numéro spécial Beethoven, la revue L'Arc avait repris dans la New York Review of Books du 20 septembre 1968 une recension (traduite par Tina Jolas) par Stravinsky du livre de Kerman. Sur les derniers quatuors Stravinsky est en général très élogieux (il va jusqu'à écrire "Dans ces quatuors je mets l'essentiel de ma foi musicale"). Il m'amuse, je recopie:

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Dans l'épigraphe du troisième mouvement, Beethoven se décrit comme "convalescent", mais la musique porte plutôt la trace du trauma persistant de la maladie. Le qualificatif d'"hystérique" que Kerman applique à l'irruption des violons sur laquelle s'ouvre l'Allegro convient également aux fluctuations d'humeur qui marquent tout le morceau.

Alors que le premier mouvement est lent à s'engager, et décousu et spasmodique une bonne partie du chemin, le second ne parvient pas à s'arrêter à temps; ou il en donne l'impression, sans doute parce que sa matière n'est pas passionnément intéressante et même, à un endroit (mesures 63-68), franchement ennuyeuse. Mais la sérénité du Trio laisse présager le mouvement par lequel - en partie au moins, car je songe à l'hymne en contrepoint sur les touches blanches mais non aux interférences du menuet (1) - le quatuor s'inscrit dans la mémoire. Deux couches de menuet et trois couches d'hymne s'entassent, comme le cheval et l'alouette dans le pâté d'alouettes, sauf que les couches d'hymne et de menuet ne parviennent pas à s'intégrer ni même à réagir l'une sur l'autre. Par la faute de quoi l'auditeur oublie le "menuet", et aussi que Beethoven se soit jamais senti "des forces nouvelles".

Le dernier mouvement est fort étrange: on y entend une Marche qui aurait aussi bien pu être composée trente ans plus tôt puis remisée dans un tiroir; un récitatif emphatique s'incorporant une version de l'pisode paroxystique du violon figurant dans le premier mouvement; enfin, une danse dont le début sous forme de "Valse noble et sentimentale" ne laisse rien prévoir de ses frénétiques aventures ultérieures.

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(1) référence aux passages intercalaires à 3/8 dans le mouvement lent....

 

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samedi 10 mai 2008

Quand un basson vient à bout d'une nuée de moustiques (trop fort)


Je lis ceci qui est bien vu dans Vignal au sujet d'un passage déjà évoqué de la 5ième de Sibelius:

"Les valeurs de notes diminuent et s'égalisent progressivement, ce qui transforme la couche thématique des cordes en un champ indifférencié sans mélodies ni rythme. Plus la musique s'anime au plan microscopique, plus elle devient statique au plan macroscopique! Pike compare ce processus annonçant la musique électroacoustique à l'effet visuel obtenu lorsqu'on observe une roue tournant de plus en plus vite (à un moment donné, la roue semble s'immobiliser) et Luyken à un effet de zoom. A cette couche de cordes puis à ce champ se superposent d'autres vestiges (...) énoncés d'abord de façon fragmentaire aux clarinettes et au premier basson affettuoso, et ensuite en une longue et sinueuse "ligne mélodique" avec chromatisme et syncopes au seul premier basson, lugubre puispatetico. Le champ de cordes évolue decrescendo jusqu'à la nuance piano (sensation d'éloignement) et la ligne de basson, simultanément, en crescendo jusqu'à un triple forte sur un mi bémol tenu (sensation d'approche). (....) La ligne thématique flottante, fantomatique et peu personalisée du basson solo risque d'abord de se faire absorber par le champ de cordes, quant à lui dépersonnalisé, mais contre toute attente elle sort renforcée de cette confrontation-coexistence. Tenu triple forte, le mi bémol de cette ligne parvient même à faire taire le champ de cordes." (c'est moi qui grasseye, plein de gratitude et de soulagement)

Plus loin, au sujet du sursaut qui suit, il écrit: "Frappée dans la sous-partie précédente d'inertie, comme en hibernation, la musique s'étire, comme un ours blanc au réveil".

 

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