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zvezdoliki
20 mai 2004

Alcina, de Georg Friedrich Haendel

Je dois réviser mes préjugés les plus rances, à l'issue d'une année où j'ai vu Serse, Semele et, hier soir, le plus beau des trois, Alcina, qui m'a vraiment emballé. Un nouveau théorème d'existence: il y a bien des choses passionnantes dans les opéras de Haendel. Il faut ajuster ses anticipations, et accepter de s'installer dans la durée, à la fois sur le plan macro (hier: plus de trois heures de musique, hors entr'actes); mais aussi micro, chaque air da capo étant non-évolutif, sans surprise majeure une fois qu'on a compris quelle était son idée principale. L'action avance dans les récitatifs, chaque air représentant au contraire un état statique de la nature (un niveau d'excitation, comme diraient certains ;o)) de chacun des personnages de l'opéra.

Alors que Serse et Semele étaient plus protéiformes, Alcina est d'une tonalité générale mélancolique, très opera seria, relativement austère (peu de choeurs, pas de ballets, un seul trio, sinon que des airs solistes). L'histoire est simple; c'est celle d'une femme, Bradamante, qui vient, travestie en homme, rechercher son époux, Ruggiero, qui a succombé aux charmes d'Alcina la magicienne. En somme, une Léonore qui viendrait disputer son mari à une Maréchale magicienne. Le détail de l'intrigue est beaucoup plus compliqué; mais les travestissements, les simulations et la stratégie amoureuses sont au service du triomphe de l'amour vrai. C'est une méditation baroque sur le vrai, le faux, l'artifice.

Je prends note, avant réécoute au disque, de quelques grands moments, que je classe par ordre croissant de sidération:

1) le grand air de bravoure de Ruggiero (sublime Vesselina Kassarova, basses veloutées, phrasé impeccable, voix corsée, je n'ai eu d'yeux et d'oreilles que pour elle) au 3ième acte, orchestré avec des cors et des bois, en sol majeur, où il est question d'une tigresse et de sa tanière.

2) l'air au 2ième acte où Ruggiero feint de déclarer sa flamme à la déjà méfiante Alcina (alors que le sortilège a déjà pris fin); où il déclare "n'aimer que son idole" et ajoute en aparté "mais pas toi....", avec une intervention comique d'un duo de flûtes qui vient contrecarrer le discours aux violons, une équivalence musicale amusante du double jeu du personnage.

4) un aria dolent d'Alcina en la mineur avec violoncelle solo, au premier acte. Le personnage d'Alcina est absolument bouleversant. C'est une femme de pouvoir, amoureuse, qui sent que ses pouvoirs lui échappent. Haendel prend ça très au sérieux, et ne fait pas une seconde le malin....

3) l'air de Ruggiero au 2ième acte; le texte dit quelque chose comme "Vertes prairies, vous perdrez votre beauté". C'est une méditation cruelle sur le vieillissement, sur cette nature artificielle de l'île d'Alcina peuplée de ses anciens amants qui ont été transformés en rochers, en arbres et, par opposition, sur l'amour qui dure, au-delà des artifices, celui de Ruggiero pour Bradamante. La musique est d'une sérénité olympienne, d'un mi majeur lumineux (et rappelle l'aria magnifique qui ouvre Serse, le protrait d'un ...arbre) et forme un contraste saisissant avec l'amertume du texte.

5) le grand air d'Alcina au 2ième acte, air de douleur à 3/4, qui ressemble un peu à l'air du froid de Purcell, avec une partie centrale furioso, et retour à la dépression après... Saisissant.

Un mot de la mise en scène: pas de souliers à boucles hélas, mais quelques beaux moments (notamment les vertes prairies....) et surtout des très beaux éclairages et une bonne utilisation des volumes de la scène de Garnier.

Sinon, pour la petite histoire, les places au 2ième de rang des loges de côté à 10 euros qu'avait prises M, c'est un très bon plan; si on ajoute à ça qu'I, ma voisine préfére du RSO, à qui il arrive d'être ouvreuse à Garnier, nous a placés discrètement au fond d'une loge de face à l'entr'acte, je me dis que nous avons été bénis des dieux hier soir...

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16 mai 2004

Les Paladins, de Jean-Philippe Rameau

Une caricature de soirée parisienne au Châtelet ; une rareté de Rameau, une mise en scène chic et choc à base de hip-hop et de gay attitude..... un public hystérique et divisé. J'étais en compagnie de gens férocement CONTRE, mais je suis moi même assez mitigé, ce que je n'aime pas être.

J'ai bien aimé les gags à la Lewis Carroll, à base de bébêtes variées en train de courir dans tous les sens; des poules en train de se dandiner sur du Rameau, ça vaut le déplacement... Et j'étais content de découvrir cette belle et rare musique de Rameau, sophistiquée et fraîche (avec mon Fabien préféré n°2 dans la fosse, clin d'oeil privé).

Mais la diction des chanteurs était globalement très déficiente, au point qu'on ne comprenait rien du texte, ce qui n'est pas acceptable. J'inclus dans cette critique Stéphanie d'Oustrac, qui a un beau timbre et des jambes à la Cyd Charisse; le seul à avoir une diction correcte était un certain François Piolini, qui a très bien chanté le rôle de la fée..... Et puis sans même qu'on mentionne le nombre ahurissant de messieurs tout nus sur le plateau, on peut juger que le spectacle est quand même à deux doigts du racoleur, notamment quand Christie/ Montalvo fait taper les mains des chanteurs dans certains airs confinant à la rengaine, comme si on était chez Claude François.... Trop, c'est trop.

26 avril 2004

Dialogues des Carmélites, de Francis Poulenc

Je ne connais pas de moment d'opéra aussi efficace que la fin des Dialogues des Carmélites. Elle produit chez moi des effets aussi indésirables qu'incontrôlés : tremblements généralisés, sécrétions lacrymales, déglutition difficile. C'est cette scène dans laquelle les Carmélites montent l'une après l'autre à l'échafaud en chantant le Salve Regina, leur chant étant ponctué par les coups du couperet de la guillotine. Techniquement, l'arpège la-do-sol-la qui parcourt toute l'oeuvre y est résolu en un arpège plus pauvre et en boucle la-do-la (ou une transposition, peu importe). Plus pauvre car il s'agit d'accompagner du grégorien, en boucle pour signifier le caractère inexorable et à la fois pacifié du destin des Carmélites. Vers la fin de la séquence, la musique s'interrompt: l'héroïne, Blanche, choisit de partager le destin de ses compagnes et monte à l'échafaud à la suite de son amie Constance, dernière en chantant le Salve Regina. Ce que je vais écrire est à la fois immodeste et impudique, mais depuis que je fréquente cet opéra - assez longtemps car c'est un de mes premiers souvenirs d'enfance - je me suis toujours identifié à ce moment là. En dernier ressort, mais seulement en dernier ressort, je rejoindrai la cohorte des pédés, ou des catholiques d'ailleurs (au fond c'est le même problème). Fin de la parenthèse immodeste et impudique.

Il n'y a pas que la fin dans les Dialogues, il y a aussi le début et le milieu. Le fil rouge de la trame, c'est la peur de ce qui va arriver, qu'on pressent sans le comprendre, la destinée qui se révèle à l'extrême fin, comme dans la "Bête dans la jungle" à laquelle j'ai pensé toute la soirée. Blanche de la Force - en religion, Soeur Blanche de l'Agonie du Christ - est vouée à un destin épouvantable, annoncé par ce qui arrive à ses deux "mères", sa vraie mère, avec un accident que raconte le Marquis au tout début de l'opéra, mais aussi sa mère spirituelle, Madame de Croissy: la scène de son agonie, au centre de l'opéra, est d'une horreur absolue, râles, blasphèmes, absence de Dieu. Felicity Palmer y est incroyable. On est loin des certitudes de Messiaen dans son Saint-François: on voit dans les Dialogues la grâce mais aussi le doute et l'épouvante ....

Un mot de Dawn Upshaw: j'ai une immense affection pour cette chanteuse, sa voix reconnaissable entre toutes, sa fraîcheur, ses aigus de petite fille, son engagement et la tension qui accompagnent la moindre des lignes qu'elle chante. Mais son français n'est pas impeccable (notamment en regard de celui de Felicity Palmer....) et c'est gênant dans une oeuvre où le texte est absolument central.

17 avril 2004

Béatrice et Bénédict, de Berlioz

Bon désolé, j'ai dû oublier mes cachets, je vais faire une crise d'enthousiasme; ne vous inquiétez pas, ce ne sera qu'un petit mauvais moment à passer.

Plus çà va, plus Berlioz est un de mes Dieux, mon enthousiasme n'a fait que grandir cette année, avec les Troyens (que j'ai mis très longtemps à comprendre), Benvenuto Cellini et hier soir au Châtelet, Béatrice et Bénédict de Berlioz.

Le tout début de l'ouverture me trotte dans la tête depuis hier. C'est un peu comme à la fin d'un film de Lubitsch, quand on est incapable de raconter le scénario. Même après avoir passé en boucle le disque, je suis incapable, sans la partition, que je n'ai pas, de dire ce qui se passe sur ces 15 premières mesures (et c'est très irritant, vous en conviendrez): çà démarre par 3 mesures à 9/8 très rapides, un silence long et mesuré (5 temps ?), puis un retour des figures de triolets, mais groupés par 2 et plus par 3, du coup on ne sait plus où on est, les accents sont déplacés, et on ne retombe sur ses pattes que bien plus tard. Une blague à la Haydn, au fond, si on fait abstraction de la bizarrerie harmonique (sol-sol# s'entrechoquant).

Berlioz aurait détesté la comparaison avec Haydn, mais elle me semble fondée; même bonne humeur, même orchestre dégraissé et solaire, même goût pour les snapshots (les hi-han du songe d'une Nuit d'été). On voit bien l'inanité de tout le discours psychologisant sur la musique; Berlioz a composé cette musique euphorique et délicate en pleine dépression, comme Schumann avec sa solaire et beethovénienne 2ième symphonie.

Les moments que j'ai préférés: l'ouverture, la fin (qui reprend la musique de l'ouverture), le premier duo Béatrice/ Bénédict, l'air de Béatrice au deuxième acte (avec ses excentriques enchaînements harmoniques, figuration du fil de la mémoire (?), sur le texte Je me souviens), et le duo alto/ soprano nocturne de la fin de l'acte I (et son sublime post scriptum orchestral ).

Pour la chronique mondaine, la représentation d'hier au Châtelet était une version de concert, sans mise en scène. Béatrice et Bénédict est un opéra comique, comme Carmen, donc avec du texte parlé entre les morceaux de musique. Ce texte a terriblement vieilli, et Jean-Claude Carrière a inséré pour la représentation du Châtelet un commentaire fin et drôle sur le thème de la guerre des sexes, dit par Carole Bouquet. L'histoire est celle de la conversion de deux jeunes gens qui font profession de se détester mutuellement et d'abhorrer le mariage, et qui finissent par se marier. La pièce se conclut par ces vers croustillants, à verser dans le lourd dossier du mariage (hein, G):

Adorons-nous donc, et quoi qu'on en dise,

Un instant soyons fous!

Aimons-nous!

Je sens à ce malheur ma fierté résignée;

Sûrs de nous haïr, donnons-nous la main!

Oui, pour aujourd'hui la trêve est signée;

Nous redeviendrons ennemis demain!

1 février 2004

Sémélé, de Haendel

Grâce à B et sa Grenoble connection, j'ai eu la chance d'assister à la pré-générale de Sémélé de Haendel, la nouvelle production de Marc Minkowski et ses Musiciens du Louvre au Théâtre des Champs Elysées. C'est un spectacle excitant qui devrait faire un tabac.

En liminaire, je tiens à dire que j'ai plutôt des a priori défavorables contre Haendel, je ne suis pas de cette chapelle-là; en opéra baroque, j'aime mieux Rameau ou Purcell. Mais le goût évolue, et surtout, je suis devenu plus patient et plus positif, donc je suis prêt à aller écouter 3 heures d'arias da capo. Ma voisine Adèle, 2 ans, la fille du corniste à ce que j'ai compris, est restée nickel chrome sans dire un mot pendant tout le premier acte: j'ai atteint ce stade, le stade d'Adèle, avec juste un peu de retard.

J'ai un problème avec les airs à qui Kobbé décerne le label de tubes haendeliens; je me dis que le goût a dû évoluer depuis l'époque de lord H., l'immortel rédacteur du Kobbé. Ce sont de beaux airs (surtout "Where'er you walk", l'air de Jupiter, dont lord Harewood dit drôlement que sa "fraîcheur éternelle résiste aux traitements qui lui ont fait subir les amateurs"), mais ils sont tous du même caractère apollinien et impérial, plein de plénitude. Et ce que moi j'aime le plus chez Haendel, ce sont les explosions d'énergie, le côté sportif (le choeur "Happy, happy" à la fin où tout le monde se déshabille, c'est de l'aérobic), les airs de fureur et de vengeance, et puis la musique affettuoso, avec les legatos aux cordes, presque préromantiques... l'action, quoi. Avec Sémélé on est servis de ce côté-là.

J'ai trouvé l'histoire (inspirée des Métamorphoses d'Ovide) et le thème (l'hubris, chacun à sa place) intéressants. Comme le résume B, Sémélé se fait carboniser à cause de cette salope de Junon. Sémélé est une mortelle que Jupiter séduit et enlève dans un cercle magique au sommet du mont Citharon. Mais la jalouse Junon veut se venger et convainc Sémélé, en prenant l'apparence de sa soeur, d'exiger de Jupiter qu'il se montre dans son apparence divine; mais ce faisant, Sémélé se condamne à mort, sans le savoir. C'est un peu le thème de Barbe Bleue, et de l'éternelle curiosité féminine. Il y a un minimum de psychologie, et un peu plus de zoologie. Sémélé est présentée dès le début associée à une alouette, dans un air de virtuosité à roulades; dans cette veine, l'air de confrontation finale avec Jupiter est éblouissant (et m'a rappelé celui de la Folie dans Platée de Rameau). La musique traite parfois Sémélé comme une poupée victime (l'air du miroir), le jouet des coups du destin. La veine ornithologique est cultivée par la mise en scène, les deux méchantes (Junon et sa soeur) étant représentées comme des rapaces, avec des robes de cour à balai brosse genre Ménines.

D'un point de vue vocal, il y a un couple étonnant: mezzo/ contreténor, et c'est le seul qui marche... puisqu'ils se marient à la fin. Ces deux personnages ont exactement la même tessiture, d'ailleurs ils font un duo où ils roucoulent autour des mêmes notes. Tout le contraire de Sémélé et Jupiter (soprano/ ténor), aux timbres bien séparés.

Un personnage accompagne toute l'action, c'est Cupidon. Rock star androgyne, il utilise sa flèche de façon tout expressive ("New desire I'll inspire..."), mais petit à petit la flèche devient canne d'aveugle. Et à la fin, quand Sémélé se fait manipuler par Junon, Cupidon est devenu totalement aveugle.

Il y a beaucoup de belles idées de mise en scène, parfois de l'humour de potache anglais (genre Jupiter clope après avoir fait l'amour, ou le strip tease général de la fin de l'opéra). C'est parfois à la limite du raccoleur, mais on ne s'ennuie jamais. Minkowski est mieux dans l'énergie que dans le registre intime- les airs avec violoncelle obligé sont parfois assommants. J'ai particulièrement adoré le ténor (Richard Croft). Voilà, c'est un peu confus, pas très construit, mais le spectacle stimule l'imagination et mon envie de partager ce beau moment.

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