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zvezdoliki
16 octobre 2005

Les noces de Figaro au TCE

Vendredi, j'ai obéi aux ordres (qui étaient formels) et bien m'en a pris, la production du TCE des Noces de Figaro vaut effectivement le détour. Orchestre survolté, tempi rapides et nerveux, notamment dans l'ouverture qui est pourtant la seule des ouvertures d'opéra avec Da Ponte à être C et pas C barré (comme le signale Harnoncourt), mais aussi et ça c'était bien, dans l'air du Comte (le n°18, qui me plaît terriblement) à l'acte III, agressif à souhait.

Mise en scène explicite et raffinée (même en ne lisant pas les sous-titres, impossible de ne pas comprendre) poussant les chanteurs dans leurs retranchements (ils sont plusieurs à devoir chanter couchés, face aux coulisses !). Décor de musée de peinture à l'ancienne, bas de Crucifixion androgyne pour les appartements de la Comtesse, ambiance de leçon de musique hollandaise pour un Voi che sapete à couper le souffle (Chérubin à la tourne de pages et la Comtesse au clavier, interloquée par ce qui finit par sourdre du cadre de la partition), nature de peinture française du XVIIIème pour l'acte IV. Parti-pris de tableau vivant, tout pour l'action, les comédiens se figeant dans une pose statique dès que la lumière s'éteint.

Entendre l'oeuvre dans son intégralité permet aussi de repérer les grandes masses de tonalités: le changement de climat à l'arrivée de la Comtesse à l'acte II correspond à la fois à l'irruption du chant des vents et l'arrivée de mib majeur après le do majeur qui conclut l'acte I. Et de repérer les scènes de dévoilement et de retournement: le terzetto de l'acte I, le trio de l'acte II (le n°14, celui où, avant que Suzanne ne vienne retourner la situation, le Comte menace la Comtesse, avec force accords de septièmes électriques et Giudizio menaçants); et puis le sextuor de l'acte III (le n° 19), le plus beau de tous.

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16 octobre 2005

J-2: on révise ses tables

25 septembre 2005

Rusalka de Antonin Dvořák

Vu Rusalka à Bastille.

Une histoire de barrière d'espèces: Ondine voudrait devenir humaine, pour séduire le Prince. Hélas, l'opération tourne mal: elle devient muette (pratique, cela lui permet de se reposer la voix après avoir chanté des folies à l'acte I) et conserve les extrémités gelées, ce qui la met en mauvaise posture face à la concurrence, une brune brûlante et bavarde. Trahie par le Prince, elle finira par errer dans les limbes, ni ondine ni humaine; et quand celui-ci, bourrelé de remords, revient, c'est pour des prunes, uniquement pour geindre sur l'amour perdu qui ne reviendra pas et la pression sociale qui est si déplaisante.

Un bon sujet, traité d'une façon un peu mièvre. Ni la Rebecca de Hitch, ni la Jenufa de Janacek (écrite deux ans plus tard !). Côté musique, davantage qu'à l'acte II, celui des intrigues humaines, Dvořák est à son meilleur dans les actes I et III, ceux de l'eau, du merveilleux.... Par exemple, à l'acte I,

-la scène entre Ondine et son père (dans la radio);

-l'air de Rusalka à la lune, en sol b majeur (qu'on peut écouter ici et voir sur la vidéo 2 du site de l'opéra), beau comme du Puccini, avec la trompette qui double la voix.

Et puis à l'acte III,

-le premier air de Rusalka (avec ses tortillons chromatiques).

-La scène finale est un salmigondis sans nom: elle démarre avec une musique de choral genre Symphonie Réformation de Mendelssohn (qui ne peut rien présager de bon), avant que le Prince ne rende l'âme sur un enchaînement d'accords parfaits ré bémol-sol bécarre qui ne déparerait pas chez Pelléas.

Décors vaguement surréalistes d'hôtel 4* aux Etats-Unis (pédiluves, lits king size). La mise en scène, sans briller par sa pertinence, sauve l'acte II de l'ennui: la scène est coupée en deux par un (faux) miroir, l'action est dédoublée, c'est la confusion entre la vraie Rusalka et son clone. Pas nécessairement une illustration intelligente du texte, qui oppose clairement la princesse et l'ondine.

30 mai 2005

De la maison des morts, de Leos Janacek

Une musique géniale.

Je pense que c'est une erreur de trop tirer le texte dans le sens de l'illustration du Goulag, de la lutte contre les totalitarismes. Cet opéra, c'est davantage Faits divers qu'une journée d'Ivan Denissovitch.... Oui, il y a la dépersonnalisation du bagne, la musique de l'acte I le dit avec éloquence. Mais le coeur de l'opéra reste ce corpus de récits de prisonniers, qui ressassent leur vie passée, leurs amours, la vie de province. Et dans cette histoire d'hommes, ce sont, comme dans Katia Kabanovna et Jenufa, des beaux portraits de femmes, en creux, qui font les plus beaux moments de musique (l'histoire de Louiza, celle d'Akoulinka, opéra dans l'opéra davantage que la pantomime de l'acte II).

Des trois récits principaux, je retiens au premier acte l'histoire de Louka Kouzmitch, dense et incroyablement violente (radio), qui rappelle Wozzeck que Janacek venait de découvrir. Le récit du IIIème acte, celui de Chichkov (Johan Reuter, magnifique), m'a le plus impressionné, C'est le plus long et le plus complexe. Celui d'un homme doublement humilié, un personnage qui rappelle le Laca de Jenufa (mais sans le happy end). C'est un bon à rien à qui un père ivre de fureur donne en mariage sa fille Akoulinka. Celle-ci a été déshonorée par un certain Filka Morozov, qui lui faisait la cour et a refusé de la demander en mariage en faisant croire qu'elle s'était donnée à lui. Pendant la nuit de noces, Chichkov se rend compte que Filka Morozov a menti, qu'Akoulinka est encore vierge. Il sort rosser Morozov qui lui objecte qu'il devait être ivre au moment de la nuit de noces. Chichkov finit par battre sa femme, lui demander pardon....et elle lui avoue qu'elle aime encore Filka Morozov. Chichkov finit par l'assassiner après l'avoir emmenée en charette dans la forêt. Ce long (plus de vingt minutes) récit cruel est raconté dans une langue imagée et chaude, à la Babel (tiens, il est d'ailleurs question de Tambov dans cet opéra, comme dans Cavalerie rouge.....)

L'un des fils rouges de l'opéra est le personnage de Goriantchikov, dont l'incarcération et la libération délimitent l'espace de l'opéra. C'est un personnage secondaire par le nombre de répliques mais crucial dans l'économie de l'oeuvre. C'est le seul prisonnier politique du camp, un personnage qui reste toujours non intégré (scène terrible de l'agression du jeune Tartare que protège Goriantchikov); c'est un double de Dostoievski le prisonnier. Le violon solo qui parcourt l'oeuvre (Janacek a recyclé de grandes parts d'un concerto pour violon qui n'a pas été écrit) dès l'ouverture est bien celui de l'idéal auxquels s'opposent les rythmes lourds caractérisant les chaînes. Vendredi, c'était José van Dam qui apportait son charisme, son épaisseur, sa classe à ce personnage pivot.

Le décousu chez Janacek: oui, mais c'est aussi une des forces de cette musique, cette alternance de plans qui se contredisent. C'est l'arme atomique anti-kitsch. Cet ivrogne qui interrompt par des "il ment" ce récit intime si sensible, c'est ce qui garantit que la sensibilité ne tombe pas dans la sensiblerie (un des mes sujets récurrents d'inquiétude....). Cela n'empêche pas Janacek d'organiser des entrées en résonance magistrales: la fin du récit de Louka Kouzmitch (à qui un militaire borné a presque arraché les oreilles) rentre en résonance avec la sortie de la salle de torture de Goriantchikov, par exemple; ou encore, toujours dans le récit de Chichkov, la coïncidence finale: Louka Kouzmitch n'était autre que Filka Morozov.....

Je m'aperçois que j'ai peu parlé de musique. Je voudrais recommander la lecture de cette excellente analyse de Pierre Michot, accessible et très pédagogique (un lien précieux, j'ai mis un temps fou à en retrouver l'adresse.....). Je garde en mémoire les quartes de ce thème du commandant, les dissonances du thème de la souffrance,

un motif lié à la torture dont je n'arrive pas à me débarasser,

la pantomime du second acte avec le pastiche d'élan graisseux à la Strauss, les choeurs d'hommes bouche fermée dans la fosse, les stridences des piccolos et l'incroyable force de la fin libératrice.

Vendredi, l'aigle noir n'était pas très réussi (une grosse peluche se transformant en un cerf-volant qui s'échappe à la fin de l'opéra), mais il y avait d'autres belles trouvailles visuelles: l'arbre noueux de l'acte I, la scène du petit théâtre de l'acte II avec ses têtes de morts et ses couleurs vives (pas d'accord avec l'ami Francis). La salle était à moitié vide (nous avons pris une place à 5€ à 19h !).

Je mets dans la radio le récit de Louka Kouzmitch à la fin du 1er acte, (le seul moment où la musique de l'ouverture réapparaît, comme le note Michot) et la fin de l'opéra avec la libération de Goriantchikov.

 

25 mai 2005

Борис Годунов, de Модест Петрович Мусоргск

 

C'est l'histoire d'un ténor qui veut le fauteuil d'une basse....et qui a trouvé l'arme fatale: la sixte majeure ! Dès que la sixte majeure apparaît (la tête du thème associé à l'enfant assassiné, le tsarevitch), Борис la basse tourne de l'oeil, se roule par terre, fait sortir tout le monde et commence à vaticiner en roulant des yeux exorbités. Comme ici : c'est Chouiski, le boïard torve, qui chante:

Très impressionnant et à la limite du gênant. Enfin. Je vous le signale, ça peut être efficace: Machin vous ennuie ? Une sixte majeure dans les dents, et vous verrez, il ne s'en remettra pas.

Enfin, on a envie de noter deux ou trois choses sur cette représentation de Boris Godounov (garantiesans Ramey en tutu, on est moins jet-set que d'aucunes...hum) à la Bastille, où par le plus pur des hasards on a croisé Ph, sans s (tiens, par esprit d'escalier, justement, quelqu'un sait-il pourquoi l'entrée via le grand escalier de la Bastille est fermé ?). Donc, notons:

  • 1er tableau: le peuple attend la fumée du conclave que Борис ait accepté de se voir conférer le pouvoir (comme il a très peur, déjà, de la sixte majeure, on comprend qu'il hésite). Grandes sonneries de cloches, cloches de gloire et d'angoisse, dès le début.
  • 2ième tableau: Pimène le chroniqueur et Grigori le moine. Magnifique fil rouge sinueux des violoncelles, l'Histoire qui s'écrit, se reconstruit, la mémoire qui va donner l'idée à Grigori d'usurper l'identité du tsarévitch assassiné.
  • 3ième tableau: scène bouffonne dans l'auberge à la frontière lituanienne. Après le tube de l'hôtesse, et de Varlaam (une histoire qui se passe à Kazan), une scène de manigance alors qu'un vagabond saoul chante une mélopée répétitive; une dissonance très réussie, qui m'a rappelé Peter Grimes, je ne sais plus où.
  • 4ième tableau: la première grande scène de Boris. Moussorgski fait jouer aux violoncelles des sons filés, tiré, très fort, sur le chevalet, quand Boris commence à gamberger. Effet garanti.
  • 5ième tableau: l'acte polonais. Aucun intérêt, on introduit un élément féminin, une gourgandine manipulée par un jésuite cynique (fatal). Il y a une grande pause entre ce tableau et le suivant, c'est normal, on déménage de Sandomir en Pologne à Moscou et ça doit être loin.
  • 6ième tableau: retour de la foule. Se clôt sur la scène où l'Idiot repousse le tsar qui a du sang sur les mains; un des sommets de l'opéra, l'air de l'idiot est repris tout à la fin de l'oeuvre. L'intervalle de l'Idiot, c'est la seconde (fa-mi). Berg a dû s'en souvenir dans Wozzeck, dans la scène de l'Auberge ("Ich riech' nach Blut !") et puis à la fin, avec les tierces qui oscillent.....
  • 7ième tableau: la mort de Boris.
  • 8ième tableau: la forêt de Kromy. Une scène très violente, presque révolutionnaire.

Question ouverte: pourquoi n'a-t-on pas eu de grand opéra historique en France, à la Boris ? A part les Huguenots de Meyerbeer (quelle blague, la bénédiction des poignards) ou les Troyens (mais c'est quand même très loin de l'atmosphère de Boris......)

MAJ : je rajoute le commentaire de F

Ah, Boris (c'est un de mes opéras préférés). Dans quelle version était-il montré ? Les versions habituellement jouées dans les corrections de Rimsky-Korsakov ou de Chostakovitch, et les différentes versions de Moussorgsky (encouragées seulement récemment, le premier enregistrement dans cette version date de 1957, par Bochum, mais est chanté en allemand) sont très différents dans l'orchestration mais aussi dans l'histoire (la fin, le moine n'est pas toujours un moine, etc..).

Sinon, musicalement c'est un chef d'oeuvre. As-tu remarqué comment Moussorgsky résout le problème (très spectral) de la simulation des cloches, instrument au son très inharmonique peut imitable à l'ochestre (il n'y avait pas encore Tristan Murail qui simule dans sa pièce d'orchestre Gondwana des sons de cloche gr-ace au calcul préalable à l'ordinateur) ? Moussorgsky utilise un triton do fa# do (pas de sixte cette fois) et altèrne sur ce triton les accords de ré7/lab7, tonalement les plus opposés (effet de balancement, pas de stabilité tonale), accords qui contiennent tous les deux ce triton. Héhé, astucieux et pas "cloche", le Modeste.

La meilleure version (en DVD) est selon moi le Boris par Claudio Abbado à Vienne (ou Berlin), avec la superbe mise en scène de Tarkovski (un balancier de pendule qui se balance sur toute la scène). Sinon, l'opéra, par son sujet politique sur la Russie éternellement dictature et d'un peuple russe subissant son destin (dernière scène, le chant du clochard), est fascinant (même s'il y a d'autres opéras politiques : Verdi, Fidelio, Puccini, etc..). En France, les artistes prendraient peut-être traditionnellement moins position politique, malheureusement (Benvenuto Cellini) ? Mais Boris aura beaucoup influencé en France le Pelleas de Debussy, alors que celui-ci cherchait une solution pour sortir des leitmotiv wagneriens. L'idée géniale de Moussorgsky est de construire une mélodie sur l'intonation parlée de la langue (ici russe). Debussy reprendra exactement l'idée (il en parle dans Monsieur Croche, alors qu'il vient de découvrir Moussorgsky), mais en prenant évidemment l'intonation du français, ce qui donne des mélodies plus suaves.

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27 avril 2005

Mon premier Tristan (et quelques autres aussi, Isolde, Bill, Peter, Esa-Pekka)

(C'était dimanche dernier, Tristan et Isolde à l'Opéra-Bastille dans la production Salonen/ Sellars/ Viola).

Tout d'abord j'ai trouvé qu'il y avait un vrai problème d'équilibre perceptif entre la mise en scène, le discours musical, le texte du livret, la vidéo (qui sur très grand écran sidère, capte toute l'attention). C'est un problème habituel à l'opéra, où si l'on veut se concentrer sur la musique, il faut parfois faire abstraction d'un des autres paramètres....Dimanche, j'ai fait une croix sur le texte du livret de Wagner (placé où j'étais, je n'ai pas vu un seul surtitre) et sur la mise en scène de Sellars (très éloignée de sa signalétique habituelle, rien à voir avec ses mémorables Grand Macabre ou Rake's Progress au Châtelet).

Donc, Viola. Il m'a semblé que la vidéo, avec toutes ses qualités, était vraiment loin de l'opéra de Wagner, dont elle n'a conservé que quelques symboles forts: l'eau, le feu. Surtout au premier acte que Viola réduit à un rituel de purification impliquant un homme et une femme face à la caméra (c'est bien ça le facingness?) et en écran séparé (c'est bien ça le split-screen ?). La vidéo gomme tout ce qu'il y a de conflictuel dans cet acte, évacue toutes les manigances d'Isolde. Et pourtant, du conflit, il y en a, notamment au moment de l'entrée en scène de Tristan à la 4ième scène, avec cette musique tendue de grands fauves qui rôdent.

 

 

J'ai trouvé gênant, pour ne prendre qu'un exemple, de perdre complètement le fil du récit d'Isolde (qui raconte que Tristan, qu'elle avait guéri d'une plaie inguérissable, l'a trahie pour la livrer au roi Marke: c'est un grand moment d'ironie féroce et de haine, tellement fort que je le mets dans la radio, hop) pour rester sidéré par le spectacle du déshabillage lent et hiératique d'un genre de couple d'universitaires crades entre deux âges de Berkeley. Justement, les plaies qui suppurent, Viola ne s'y intéresse pas davantage au troisième acte, qu'il peuple toutefois d'images marquantes: le vent qui souffle, des flux variés qui balaient l'écran et qui rendent tangibles le redémarrage du temps après la nuit de l'acte II; et à l'arrivée tardive d'Isolde, le triomphe de l'eau sur le feu. Pour finir, le Liebestod illustré avec la neige qui tombe, comme chez Adamo; mais au risque de passer pour un abruti, j'ai aussi toujours trouvé un peu toc cette musique avec ses scintillements.....

C'est une expérience forte que de suivre l'opéra dans sa continuité, avec son sous-texte musical si riche de sens, si complexe par rapport au discours musical des classiques qui fonctionnent à l'économie à partir d'un nombre limité de petites cellules. Evidemment on sort de là en proie à un délire interprétatif carabiné. En étymologiste allumé (d'ailleurs, fève et haricot ne viennent-ils pas de la même racine, via favaricus ?), je me perds en conjectures pour retrouver tout ce qui, de ces motifs proliférants, relève du versant Tristan et du versant Isolde. C'est la faute à Siegfried, le bibliothécaire de l'abbaye bénédictine de St Ottilien près d'Augsburg, (où, digressons, on s'intéresse, ces jours-ci, à un autre ténor bavarois), qui met le ver dans le fruit en mettant sur son site un bottin des leitmotivechez Wagner. En fait, je me demande si c'est Wagner lui-même qui a donné des noms à ces thèmes, ou si c'est l'invention diabolique a posteriori de musicologues fanatiques. Je reste perplexe sur ces noms, rien qu'à la première mesure de l'opéra je me demande

 

 

pourquoi chez Kobbé a est Tristan, b Isolde, alors que dans la liste de Siegfried a est l'amour, b la souffrance....

Toujours victime du haut mal, j'ai tendance à soupçonner une intention de Wagner lui-même si le thème dit du jour (que l'on entend un nombre de fois incalculable au 2nd acte, en cascade ou très lentement):

 

 

s'entend comme un renversement du Liebestod

 

 

tout en ressemblant très fort, évidemment au thème a (Tristan). J'arrête là car l'ambulance approche.

Sinon, qu'est-ce que qui m'a marqué cette fois ?

- J'ai accroché avec l'acte III, que j'écoute moins spontanément que les 2 premiers. Notamment son prélude (radio), qui part de l'extrême grave avec le son chaud et métallique des violoncelles et ses gammes avec secondes augmentées. Et puis tout le travail de réminiscence des motifs des actes précédents qui irrigue les scènes de délire de Tristan.

- Toujours au rayon des musiques dépressives, je réévalue celle du roi Marke, à la fin de l'acte II et de l'acte III, aussi désabusé et inapte à l'action qu'Arkel dans Pelléas. J'y ai beaucoup pensé à Pelléas, notamment l'acte IV avec ses "je veux qu'on me voie": comme dans Tristan, se mettre en pleine lumière, c'est aller au-devant de la mort.

- Windgassen sur mon disque est bien fadasse à côté de Ben Heppner, qui rappelle Vickers, en grand fauve, mais à qui j'ai trouvé des défauts (quelques dégueulandi douteux dans l'acte II, sacrilège). Rien à dire du reste de la distribution, de premier ordre.

-Il faudrait écrire une note sur le schtounk des 25 contrebasses dans le prélude de l'acte I. C'est à 1'35" du début dans la version Böhm (hop dans la radio), on ne peut pas le louper, après ça, la musique devient diatonique, optimiste et tout et tout. Ce pizz fait absolument un effet boeuf et, si j'osais, c'est lui qui met le feu au lac. On retrouve le même effet au moment de la scène du philtre où il déclenche la suite de l'action. Et bien évidemment à la fin de l'acte II, reprise de la musique du prélude (au cor anglais), mais là plus de pizz...le désespoir. Un peu comme sur ma gazinière quand le bidule ne marche plus.

26 novembre 2004

Saint François d'Assise: sacré Messiaen ! (1/2)

Désolé, je dois avoir attrapé le virus, pas plus que Messiaen, je n'ai su faire court.

SFDA et moi en 1983. Saint-François d'Assise, l'opéra de Messiaen, c'est une longue histoire pour moi. J'en ai vu des bouts à la télé dans les années 80. A l'époque j'étais au Conservatoire et en classe d'analyse on travaillait sur les Trois petites liturgies: j'adorais ça et, toujours prêt à tout, je sautillais dans les couloirs en chantonnant: "il est venuuu le bien aimé, c'est pour nous, POUR NOUS !" et en secouant mes couettes. A l'époque, j'aimais tout Messiaen jusqu'à Chronochromie inclus. De St François, en 1983, le consensus, enfin, ma prof d'analyse, qui était le centre du monde du moment, disait le plus grand mal: " il n'y a rien de nouveau par rapport aux grandes oeuvres des années 40, c'est ennuyeux, c'est irreprésentable, c'est mystique". Donc fermons le ban, je n'avais pas vraiment fait l'effort de m'y intéresser.

Messiaen est mort. Aujourd'hui, Messiaen est mort depuis 12 ans. Avec un peu de recul on peut réévaluer l'oeuvre, que je vois dans son intégralité pour la première fois. Il faut se rendre à l'évidence: ma prof vénérée d'analyse avait parfaitement tort (jalouse, va !), ça tient très bien le coup. Comme le dit justement Cambreling c'est une oeuvre facile d'accès pour le profane tout en étant d'une complexité redoutable pour le musicien (ce qui est un bon cahier des charges, de mon point de vue). J'ai eu en fait le déclic en écoutant l'oeuvre dans sa continuité; ça m'était déjà arrivé avec les Troyens, opéra auquel je ne comprenais rien avant de l'avoir vu in extenso. Oui, c'est très long... mais après tout moins que la Tétralogie. Et puis, au fond, c'est une succession de très petites formes, pas une série de mouvements lents à la Bruckner; la preuve, j'arrive à faire tenir en 4' le chant de l'ange dans la radioblog. C'est Boulez, je crois, qui disait avec son impayable humour à froid que Wagner était un champion de la petite forme; et bien Messiaen c'est un peu pareil.

Oui, c'est une musique avec des répétitions. Mais c'est un ingrédient de base, en musique, la répétition. Comme chez Wagner, on peut aller à la pêche aux leitmotivs: par exemple, sur laradioblog, a et c démarrent avec le motif, associé à François. De même, le rythme dochmiaque (frappant, si j'osais) avec lequel l'Ange frappe à la porte est réutilisé, tel quel, au moment où François reçoit les Stigmates. Mais Messiaen va plus loin: à la différence des classiques, par exemple, il répète de façon quasi littérale des séquences assez longues, très fragmentées; hétérogènes. C'est un véritable plaisir (comparable à la mémorisation du montage/remontage de la 12-7) de reconstituer la précieuse mécanique de l'enchaînement de ces petites cellules, comme si on répétait des phrases très complexes qu'on ne comprend pas. On a ce phénomène dans la scène des laudes, où les répétitions suivent les strophes du texte. Mais c'est aussi très net dans la scène de l'ange voyageur. Cette scène, très vivante chez Nordey, représente l'ange sans ses attributs d'ange (ses ailes dans un coffre à roulettes) qui vient frapper à la porte du monastère, se fait éconduire, et revient à la charge: à ce moment là on redéroule toute la scène, comme s'il ne s'était rien passé, d'où le comique de situation que j'évoquais avant-hier.

Un retable....mais une gradation dramatique En somme, c'est une musique sans transformation, avec que des aplats, en phase avec la peinture de l'époque de François. Ce qui me frappe, c'est que Messiaen décrit l'approfondissement d'une expérience, pas la conversion. Pour reprendre une lecture récente, rien à voir avec Bobin qui évoque en détails le moment où François tourne le dos aux richesses. Rien à voir non plus avec le monde de la forme sonate, où le matériau est transformé, ici c'est un système clos: le matériau musical, somptueux, richissime, est donné, comme un trésor et n'évolue pas (enfin, je ne crois pas). Cela n'empêche pas qu'il y ait une gradation dramatique : le premier acte est tendu vers le baiser au lépreux, avec un premier trajet de l'ombre à la lumière; le deuxième acte est centré sur l'ange et les oiseaux, le troisième introduit les choeurs pour les épreuves, les stigmates et la mort, avant la joie de la vie nouvelle. Nordey a organisé de façon très intelligente à mon sens le passage de l'horizontal au vertical: on passe d'un petit carré sur terre (les fondations de l'Eglise ?) à une porte qui est aussi une question, à un mur de cathédrale avec deux statues, à un triptyque de couleurs pour aboutir à un retable en cinq panneaux qui reprend tous ls éléments.

Gros naïf, va. Ce qui est beau aussi, c'est la volatilité des humeurs de cette musique, qui bouge tout le temps, sans illustrer mécaniquement le texte. Un mélange de naïveté et d'hénaurme, qui tend vers la joie. C'est naïf comme Pelléas l'est, comme Siegfried l'est : excusez du peu. Les scènes kitsch (il n'y en a pas chez Debussy) ne sont jamais longues- en tous cas elles sont beaucoup plus courtes que les moments d'extase chez Wagner. Un ami que je ne vais pas griller ici dit que la différence entre la musique contemporaine allemande et la française, c'est que les Allemands refusent absolument le kitsch, moyennant quoi leur musique oscille entre le presque-beau et l'horrible; alors que les Français refusent absolument le laid, moyennant quoi leur musique oscille entre le beau et le kitsch. Héhéhé.

Et la croix dans tout ça ? où elle est la croix ? Un dernier mot: je crois avoir dit tout le bien que je pensais de la mise en scène de Nordey, je n'ai pas de problème avec le fait qu'un incroyant s'approprie cette oeuvre. Mais tout de même, ne pas représenter du tout la croix dans une oeuvre où elle est présente du tout début à l'extrême fin frise le contresens. Surtout quand on remplace la lumière de la croix par ce qui est en train de devenir un des pires clichés des mises en scène d'opéra récentes: une rampe de scène aveuglant le public.

27 octobre 2004

Saint François d'Assise: sacré Messiaen ! (2/2)

Comme je ne doute de rien, je continue avec quelques notes sur le spectacle, tableau par tableau, pour garder une trace ici de ce que j'ai vu.

la croix: le tout début de l'oeuvre, c'est un chant de fauvettes aux percussions (vibraphones et autres xylophones)

les laudes: le thème grave (cf radioblog, morceau a), ondes (numériques, on dirait des portables: on a envie de se retourner pour insulter son voisin, et non, ce ne sont que des ondes placées au premier balcon), bois graves puis choeur d'hommes.

le baiser au lépreux: l'intervention de l'ange puis la joie tellurique du lépreux, comme dans laTurangalila. Nordey a évacué les pustules, on ne voit qu'un homme à bandelettes, en blanc sur fond blanc, qui rappelle l'homme invisible. C'est une illustration intelligente de "l'invisible se voit", un des fils conducteurs de l'oeuvre.

l'ange voyageur: excellente scénographie de Nordey, qui rend la scène drôle et vivante. Il fait danser l'ange sur le rythme rigolo dont j'ai parlé. Il ya une vraie dimension comique à cette situation de l'ange qui se contrefait et pose une charade au moine qui l'envoie bouler. Christine Schäfer s'amuse et a le timbre délicieux du personnage.

l'ange musicien: Saint-François, debout sur sa colonne fait un long discours (un des rares moments où j'ai eu l'impression de perdre le fil du discours) qui le mène tout droit à l'hallucination: l'ange qui sort comme un baby kangourou de la poche verte. Et voilà le frotti-frotta délectable de l'ange à la viole. Je crois qu'un critique du Figaro (déjà à l'époque, ils étaient inspirés) parlait en 1945 de musique de négresse lubrique au moment de la création des trois petites Liturgies. Il n'est sans doute pas excessif de parler d'érotisme au sujet de la musique de ce tableau, de même qu'on peut utiliser ce mot au sujet au sujet du quintette en sol de Mozart.

le prêche aux oiseaux. Très différent de ce que j'avais anticipé; peu de séquences analogues au fouillis d'oiseaux de Chronochromie. La scène est vivante parce que François transmet une sagesse à Frère Massée (Charles Workman, voix souple et fraîche, retenons ce nom), le guide à travers les chants d'oiseaux, avec des petits commentaires astucieux sur le faucon crécerelle, le gammier (qui fait des gammes descendantes puis montantes !), la gerygone. Evidemment, c'est beaucoup moins ennuyeux que la rousserolle effarvatte où il y a 50 minutes de roulades. Comme d'habitude, Nordey n'est pas littéral; les oiseaux, ce sont les lettres proliférantes du texte de l'énigme. La lumière éclatante rappelle Pelléas, et sa sortie du souterrain. Un moment où la tension se relâche, après l'émotion du tableau précédent.

Les stigmates: la musique qui m'a le plus impressionné. Incroyable début éclaté, avec des fa# obstinés aux violoncelles. Une musique très violente sous le choral du choeur. L'idée visuelle de Nordey et son décorateur est géniale: un triptyque, vert, noir et blanc; quand François subit les stigmates, le carré du centre est progressivement barbouillé en rouge.

-la mort et la nouvelle vie: des réminiscences de toute l'oeuvre, on reconnait le thème des laudes, des oiseaux, avant un grand retour à la musique de l'ange et du lépreux, pour l'apothéose finale.

25 octobre 2004

trop Grave, ce Messiaen

Je continue mon festival de blagues foireuses autour de la haute personnalité d'Olivier Messiaen. Pour le titre de mon compte-rendu de Saint-François d'Assise (vu hier), j'en ai prévu une encore plus mauvaise. Attendez-vous au pire, ça devrait sortir demain. Aujourd'hui, c'est juste un discret hommage à la Grave, un des lieux chers à Messiaen, face à la Meije.

Je me suis dit qu'une des meilleures façons de rendre justice à ce chef d'oeuvre était de préparer un petit assortiment de quelques extraits qui m'ont marqué sur la radioblog (rappel: il suffit de cliquer). Je me suis aidé pour le repérage avec l'analyse de l'oeuvre par Messiaen lui-même (disponible dans le Kobbé) une lecture bien préférable au blabla pseudo-poétique du programme de l'Opéra....

J'ai choisi quelques moments, pas forcément les climax de l'oeuvre. C'est un choix subjectif, c'est mon choix (hum). C'est la version Nagano-Van Dam-Upshaw.

a) Un extrait des Laudes (le tableau 2). Saint-François chante le cantique des Créatures, (voir ici pour la version farces & attrapes), plus particulièrement la strophe qui évoque "soeur Eau" et "frère Feu". Au chant de François, à 1'33'', succèdent un motif très grave- comme mon titre- (ondes puis contrebasson puis choeur d'hommes) et des houhouhou du meilleur effet.

b) Dans le tableau 4 (l'Ange voyageur), un extrait orchestral qui annonce l'arrivée de l'ange. C'est une séquence typique de Messiaen: un enchaînement de discours très hétérogènes, très typés, avec des couleurs très vives. A 0'51", on entend la première occurence du thème de l'ange, un des marqueurs de l'oeuvre (le chant d'un oiseau, la gerygone), avec des piccolos rigolos staccato. Je parlerai demain du comique de situation de cette scène (oui absolument, vous avez bien lu, comique de situation).

c) Dans le tableau 5 (l'Ange musicien), après l'appel de François (et un thème-fusée de joie qui rappellera la Turangalila à ceux qui connaissent), un moment sublime et très simple: le chant de l'ange (en mode deux, pour les amateurs), interrompu régulièrement par le chant de l'oiseau piccolosrigolos staccato.

d) Ce qui suit immédiatement est purement orchestral, et décrit la caresse de l'Ange sur la viole, un moment d'une délicatesse suprême, qui fait défaillir François. Puis les vibrations de la forêt, la nuit qui avance (on pense à Ravel ! et aussi à Wagner). Pour clore la scène, un accord de sixte et quarte en do majeur avec solo des ondes Martenot.

e) Pour finir, un des moments les plus dramatiques, juste avant que François ne subisse les Stigmates. Le choeur est accompagné par un "orchestre d'angoisse", aux sonorités inouïes. Messiaen cite entre autres des sifflements de l'Eoliphone, une montagne de sable qui s'écroule, des montées en clusters des 6 cors.

La suite demain avec des commentaires sur le spectacle lui-même. Pourquoi je fais tous ces jeux de mots stupides, au fait ? Sans doute l'euphorie d'avoir découvert cette musique rutilante et fraternelle....

18 juillet 2004

L'affaire Macropoulos, de Leos Janacek

C'était samedi dernier au Deutsche Oper. Triomphe de la mythique Anja Silja, à peine plus jeune que son personnage (337 ans....) qui n'arrive pas à mourir, diva odieuse. Grande classe, voix en bonne forme pour le grand solo du troisième acte sur l'approche de la mort. Pour ceux qui ne connaissent pas, AS, c'est un mythe, entre autres pour moi la Marie de Wozzeck dans l'enregistrement de Dohnanyi....

Il y a deux histoires dans le livret: la première est la plus apparente, c'est celle du contentieux entre les descendants d'un M. Prus et d'un M. Gregor, dont l'issue va décider de la ruine de l'un ou de l'autre; l'autre, c'est celle d'une cantatrice qui va jouer un rôle décisif dans la résolution du dit litige, et dont on comprend à la fin de l'opéra qu'elle est sur le point de perdre l'immortalité. L'idée un peu paradoxale du texte de Capek: l'immortalité ne permet plus de goûter de la vie.

Difficile de ne pas penser que cette cantatrice a acquis ses pouvoirs d'immortalité à l'époque de l'Orfeo de Monteverdi. Propos "conservateur" de Janacek: il y a encore beaucoup de musique sensible à composer, pour prolonger le bail du genre opéra....???

Janacek voit le personnage comme tragique, fait conclure l'opéra par un "Vater unser"; curieusement, c'est presque un opéra plus religieux que la très dyonisiaque messe glagolitique.

L'acte II fait très années 20, annonce Lulu. Les admirateurs de E. M. peuvent se suicider, elle n'en a rien à cirer.

- Je vous ai plu?

- Oui.....

- Vous savez dire autre chose que oui ?

- Oui....

- Vous êtes vraiment bête, alors....

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