mardi 14 janvier 2014
Le viol de Lucrèce à l'Athénée
La scène de chaleur avec harpe et timbales obsédantes; la passacaille avec Is it all?, et la fin
Déçu par la mise en scène, costumes moches et chanteurs jouant très mal (la bagarre des officiers....), rien à voir avec l'engagement et la fraîcheur des chanteurs du Conservatoire il y a quelques années. Ce n'est sans doute pas un hasard si les personnages de l'histoire sont figés; après tout, le sujet de l'opéra (le viol et l'attitude un peu ambigüe de Lucrèce qui explique son suicide) est irrépresentable, et Britten a souhaité tourner autour du pot en donnant la part belle au Choeur Homme, qui dit voir cette histoire préchrétienne avec les yeux du Christ. Ce personnage, le plus vivant et expressif de l'opéra, a sans doute les plus beaux moments musicaux de la partition (la chevauchée, les deux prologues); pas vraiment une surprise si Britten avait réservé ce rôle à Pears.
mercredi 1 janvier 2014
Vus depuis août
(en gras, particulièrement bons)
Magnifica presenza, Leave it on the floor, Michael Kohlhaas, Dans un jardin je suis rentré, Romeos, Grand Central, Jeune et jolie, Ilo ilo, Tip Top, Tirez la langue mademoiselle, La bataille de Solférino, Blue Jasmine, Miele, Ma vie avec Liberace, Ma vie domestique, Opium, La vie d'Adèle, 9 mois ferme, Haewon et les hommes, Une chambre en ville, Salvo, Un château en Italie, Le fond de l'air est rouge, Inside Llewyn Davis, Violette, La Vénus à la fourrure, Une femme douce, Les rencontres d'après minuit, Guillaume et les garçons, à table, Comment j'ai détesté les maths, A Touch Of Sin, La jalousie, The Immigrant
(je rajouterais au minimum Lincoln, La belle endormie, Camille Claudel 1915 et L'inconnu du lac dans les films particulièrement bons vus en début d'année)
vendredi 20 décembre 2013
Grisey/Schubert
Hier soir, concert crépusculaire avec Vortex Temporum de Grisey et l'Inachevée de Schubert.
* Vortex Temporum - pas la première audition pour moi, mais c'était il ya plus de 10 ans si j'en crois ce blog. L'introduction chaleureuse de Boffard ("une oeuvre qui a toujours été là"). Les dédicaces à Zinsstag, Sciarrino puis Lachenmann. Le matériau de départ: les arpèges de Daphnis, les sons filés crescendo aux cordes. La cadence de piano véhémente à la fin du 1er mouvement. Le mouvement lent, très lent, coeur mystique de l'oeuvre, qui part de rien, monte du très grave à l'aigü avant de redescendre, où l'on entend beaucoup des 4 notes désaccordées du piano. Le 3ième mouvement est deux fois plus long que chacun des autres, plus touffu et complexe qu'eux. L'extrême fin, beau comme du Lachenmann (le battement de coeur, la musique détimbrée).
* L'Inachevée, jouée très vite par les Dissonances. Le sublime conduit des cordes a cappella à la fin du 2nd mouvement (qui mène à deux chorals des vents, aventure extrême. Suivi des 12 mesures du scherzo (ce sera tout). En bis le mouvement lent de la 7ième de Beethoven (étonnamment en cohérence avec le 1er mouvement de Schubert).
dimanche 15 décembre 2013
Résumé des derniers épisodes
* Les Puritains à la Bastille. Un livret que l'invention des téléphones portables aurait ruiné (avec un SMS du type "chérie, je sors trois minutes sauver la reine, attends-moi, on ira se marier après", on n'aurait eu qu'une petite demi-heure de bel canto). Apothéose du plateau tournant (oh! un gorgonzola! oh! un parmesan! oh, un provolone piquant). Au second acte, ça tourne, mais à vide: il ne reste que les chanteurs immobiles sur le plateau tournant dans une lumière froide, c'est vraiment Holiday on ice. La musique n'est ni déplaisante ni mal chantée, mais il ne m'en reste aucun souvenir (sauf peut-être cet air au 2ième acte, qui forme un contraste saisissant avec ce qui précède).
* Quatuor Keller au Musée d'Orsay. Un quatuor de Kodaly que je ne connaisais pas (beau 1er mouvement, le reste est impressionnant mais très décousu); le 1er de Ligeti (un château de Barbe-bleue à 16 portes, dont certaines claquent plus que d'autres; je suis toujours inconditionnel du moment Enfant et sortilèges); plusieurs des duos de Bartok (peut-être le moment le plus fort de la soirée); le 4ième de Bartok (celui aux deux scherzos; je retiens que l'altiste fait les pizz solo avec le pouce et les pizz d'accompagnement avec l'index). Un brin déçu par rapport aux Kelemen.
* Les espaces acoustiques, de Grisey, à la Cité de la Musique. Un projet ambitieux, six pièces allant du solo d'alto au très grand orchestre, avec de nombreuses correspondances entre les pièces. Pas vraiment emballé par les 3 premières pièces (trop long, le solo d'alto; trop potache, le théâtre musical de la fin de Partiels). La magie opère plus sûrement avec les pièces à grand orchestre, notamment Transitoires (avec les incroyables coups de boutoir de la contrebasse solo!), et l'épilogue avec 4 cors. Add: ceci sur Partiels
* Dialogues des carmélites, au TCE. Olivier Py a eu deux belles idées de mise en scène pour les scènes d'agonie. Celle de la fin, un nocturne d'une grande douceur, est au sens premier la concrétisation de l'étrange songe de Constance (avec sa musique de sauts d'octave descendants). L'autre scène avec madame de Croissy (pas idéale vocalement) rappelle autant la crucifixion que la guillotine. Petibon et Devieilhe (qui remplaçait Piau) ont été magnifiques, mais je n'ai eu d'yeux et d'oreilles que pour Véronique Gens en madame Lidoine. La voix de l'amour.... l'envers aimant de cette mère Marie de l'Incarnation, orgueilleuse et dure, qui manque à l'appel, à la fin.
vendredi 29 novembre 2013
Siemens/ EIC/ Beaubourg
Concert de + en + enthousiasmant, avec la musique de 4 lauréats de la fondation Siemens:
* Michael Jarrell: Congruences. C'était peut-être bien, mais après avoir vu Sophie Cherrier s'harnacher de fils pour l'électronique, j'ai beaucoup dormi.
* Ulrich Kreppein: Départ (les compositeurs français mettent des titres en allemand et les allemands des titres en français, on dirait). Musique fine et précieuse, parfois véhémente. Une séquence longue de solo d'alto mélangé à la flûte; dans le suraigü (sur un tapis de choral de cordes). Cela m'a globalement bien plu.
* Arnulf Herrmann: rondeau sauvage. Pour 7 instruments (3 cordes, 2 vents, piano et une percussion très fournie; notamment des genres de macarons métalliques à frotter avec un archet, produisant des aigüs très brillants). J'ai envie de faire les mêmes commentaires qu'à l'écoute de la dernière oeuvre que j'avais entendue de lui, si ce n'est que cette fois l'impression sonore est encore plus riche et variée. Ce qui me frappe est la clarté du discours musical, avec des percussions très excentriques pour liquider chaque section. Très virtuose aussi (je serais curieux de comprendre la cellule rythmique du début), et franchement puissant. Mon voisin n'a pas aimé et dit à sa voisine, "c'est simple à comprendre, comme un blackberry" (une réflexion qui m'a laissé perplexe, je n'ai pas trouvé ça du tout putassier.)
* Mauricio Kagel: Orchestrion-Straat. L'orchestre par deux en diagonale (comme un wagon de TGV): 2 violons, 2 flûtes etc.... avec sur la tranche un accordéon, un saxophone, un piano et 2 percussions encore plus excentriques que chez Herrmann. Musique de bastringue, de rue. Comme toujours chez Kagel, ça va bien plus loin, avec une invention poétique et musicale géniale. A la fin, l'orchestre continue à jouer, les deux percussionnistes se ruent comme des possédés dans les travées du public en agitant sous le nez des spectateurs des brocs de cantine pleins de ferraille (et continuent à le faire alors que l'orchestre a fini de jouer). Génie.
lundi 18 novembre 2013
Written On The Skin, de George Benjamin
Livret classique, dans le plus pur style opéra-comique (avec quelques maniérismes un peu pénibles): dans cette nouvelle aventure, Golaud se venge en donnant à manger à Mélisande le coeur de Pelléas, un contreténor qui enlumine LE livre et embobine tout le monde avec son air de ne pas y toucher. Décollage un peu poussif, mais on finit par rentrer dans l'histoire. Orchestre chatoyant avec les les cuivres bouchés que l'on aime tant chez Benjamin, et en guest stars, des bongos, une viole d'amour et un glassharmonika. Magnifique trio de solistes (Hannigan/ Purves/ Davies).
On retiendra (tant pis si c'est anecdotique):
ceci pour la tension rythmique (une musique de bastringue bien acide)
ceci à 3'40" quelques mesures parfaites: les cordes divisées (le désir) puis une consonance qui s'évanouit vers l'aigü (comme la musique qui accompagne curieusement l'orgasme de la fin du 1er acte (Love is an act, vers 7'-7'30'')). Ce moment révélateur où le Protecteur se rend compte que le désir de sa femme a changé et s'exprime dans une étonnante crudité.
ceci pour l'utilisation des bongos et des percussions (un discours haché comme un steak, avant l'ingestion du coeur, sucré et salé)
le moment où la musique se vitrifie avec le glassharmonika, pendant la chute au ralenti de l'héroïne (l'extrême fin de l'opéra est aussi très remarquable).
Aussi (et mieux): ici
samedi 2 novembre 2013
Résumé des épisodes précédents
* Pierrot Lunaire à l'Athénée, en français (on ne comprend pas beaucoup mieux le texte), chanté par un homme (Damien Bigourdan). Mise en scène très explicite... (ça, on voit bien les Riesenfalter et le Mondfleck). Deuxième partie moins palpitante (Paroles et musique, Beckett/ Feldman). Le chef avait prévenu avant le début du spectacle, sortir son portable pour regarder l'heure expose à une perte définitive de contact avec le spectacle.
* le Helikopter Quartett de Stockhausen, pour la nuit blanche. Colère froide devant tant de désinvolture. Les quartettistes ont semble-t-il facilement communiqué entre eux pendant leur balade en hélicoptère, mais nous n'en saurons pas grand-chose, puisque la liaison avec le plancher des vaches fonctionne par intermittences. Si l'idée était de montrer 1/ que la musique contemporaine, c'est un truc qui plane en haut, loin du public 2/ que l'événementiel prime sur la musique, c'était très réussi.
* Musique de chambre à la salle Colonne. Beau programme Brahms: trio opus 114 (découverte; quel dommage de se passer de violons et d'alto) et quintette avec clarinette (celui avec séquences brésiliennes et tsiganes) / Hersant (Nachgesang).
* Aida. Quasiment une découverte. Bizarrement, ça commence modestement aux cordes avec ce prélude humble et torturé comme une esclave éthiopienne; assez vite un décor en cuivre nous en met plein la vue (et qu'on ne me dise pas que ce n'est pas en cohérence avec le projet musical de Verdi), jusqu'au triomphe des cuivres, la scène des trompettes, où l'on voit sur scène quatre femmes de ménage astiquer un arc de triomphe en cuivre. Autre bon moment scénique: la danse des esclaves maures (collant pilepoil à l'esprit de la musique). J'ai aussi bien aimé la séance d'aérobic des altos ici (à 0'55" ici ), la façon dont Verdi organise un crescendo en faisant gonfler une figure secondaire (ici), et puis les deux tubes séraphiques et diaphanes avec violons dans l'aigü (le duo final me rappelle ceci de Peter Grimes, il serait peut-être temps pour moi de reconnaître ce que Britten doit à Verdi).
* Elektra. Evidemment un spectacle dont on ressort comme un chat d'un micro-ondes, en se demandant si on a encore tous les organes internes en place (foie: check; rate: check; glandes lacrymales: check). Scénographie redoutablement efficace, avec un choeur grec démultipliant les gestuelles des chanteuses. On a envie de sous-titrer la première scène (un choc): "Débandade des contempteurs de Joël et Jordan, bien obligés de constater qu'un bon spectacle peut être monté dans LaMaisonMaudite". Strauss reste pour moi un bruitiste génial, capable d'illustrer avec son génie orchestral n'importe quel cartoon, de figurer les Dieux par des clarinettes affolées, de faire aboyer l'orchestre, de le faire se grattes jusqu'au sang. On en vient à détester les rares moments bien viennois et crémeux (celui, par exemple, où Chrystothémis rêve d'une famille "normale").
lundi 23 septembre 2013
Alceste, de Gluck
Toujours la même chose chez Gluck, on reconnaît l'intensité des émotions, mais les émotions musicales sont disjointes de celles suscitées par la tragédie. Il y a au moins dans cette production une scène de suspense palpitant et d'émotion non contaminée par l'ironie: celle où Admète essaie en vain de faire parler son épouse poursuivie par la Mort qu'il ne voit pas. La fin (*spoiler*) avec l'enfer de la fosse d'orchestre béant est très bien aussi (mais un Hercule de foire vient casser l'émotion). On se souviendra peut-être de ceci:
* un air de jardin des délices (presque aussi idyllique que celui d'Orphée)
* de beaux morceaux d'orchestre (l'ouverture et une chaconne que Minkowski déplace en début d'acte)
* le ballet du 2nd acte
* les graves dangereux des Divinités du Styx
* le finale du 2nd acte (Oh! que le songe de ma vie Avec rapidité s’enfuit, Comme la fleur épanouie, Qu’un souffle des autans flétrit)
lundi 24 juin 2013
Bouffes/ Posadas
Un concert auquel je suis allé en prévision de la diète à venir de deux mois, et dont le programme ne m'évoquait strictement rien. (Pour une fois, j'y suis allé en me fiant aveuglément aux interprètes: le quatuor Diotima et la sublime Barbara Hannigan). Je crois bien ne jamais avoir entendu de Nono, ni de Schoeller, ni de Posadas. Tirage de la loterie, donc:
Nono: Djamila Boupacha, une pièce pour soprano solo a cappella. Magnifique, mais très court.
Ensuite, ce qui était présenté comme un semi-opéra, Operspective Hölderlin, de Schoeller. Une oeuvre pour soprano, électronique et quatuor (très à l'arrière plan). J'ai un peu dormi (ce qui est mauvais signe). Ce n'est pas déplaisant d'imaginer Hannigan aux prises avec des fantômes dans un château hanté rougeoyant comme la scène des Bouffes du Nord, mais la musique m'a paru pour tout dire assez pauvre, à l'électronique trop envahissante. Et c'est un peu dommage d'avoir un quatuor de la classe des Diotima noyé dans des bruits de fantômes....
La bonne pioche était après l'entr'acte. Liturgia fractal, le cycle de 5 quatuors à cordes d'Alberto Posadas était riche, foisonnant, très spectaculaire, beaucoup d'idées musicales. Je ne suis pas certain d'avoir compris la note de programme (j'ai dû arrêter trop tôt mes études scientifiques), mais quasiment pendant les 53 minutes du cycle (et à la différence, au hasard, du Livre de Boulez) j'ai eu l'impression de comprendre le propos musical, se polarisant autour de certains modes de jeux, contrastés, violents, névrotiques, hypervirtuoses. Retenons 4) (Arborescencias) avec ses deux somptueux solos de violon. 3) (órbitas) démarrant avec des clusters bien acides. 2) (Modulaciones) avec ces modes de jeu flûtés. Plusieurs des quatuors ont des fins très marquantes, où l'on a l'impression que les musiciens se resynchronisent. C'est rare d'entendre une oeuvre nouvelle laissant une impression aussi forte.
Aussi: ici.
mardi 18 juin 2013
Brahms/ Jerusalem
Un concert où on était, sans l'avoir fait complètement exprès, littéralement aux pieds du (magnifique) altiste du quatuor de Jerusalem (que buvait des yeux le second violon, disposition oblige). Programme qu'on n'entend pas si souvent:
- l'opus 51 n°1 (do mineur). Celui très âpre (avec le carburant de l'alto qui se réveille pour une coda mémorable à la fin du 1er mouvement).
- le 1er quintette (fa majeur opus 88) avec Amihai Grosz (l'altiste du quatuor avant Ori Kam). Un fa majeur sportif et jovial (la transition vers la réexposition: une machine à ronronner qui s'emballe). Grand mouvement lent avec deux parties centrales sautillantes et une fin à soustractions.
- l'opus 67 (si bémol): celui à la Haydn (avec des moments bizarres où Brahms se force à faire du Brahms, au lieu de continuer avec ses délectables petits jeux rythmiques). Merveilleux 3ième mouvement à solo d'alto (où Brahms fait du Bach). Un finale à variations (avec un bel épisode en sol bémol majeur à pizzicati magiques), qui conclut avec le thème du 1er mouvement, entrelardé de fusées descendantes que je trouve irrésistibles.