mardi 16 octobre 2007
En ce moment j'écoute en boucle...
... la Rose des vents de Mauricio Kagel. J'ai longtemps sous-estimé Kagel, depuis ce concert-ci je me soigne activement. La rose des vents est un cycle de pièces pour orchestre de salon (clarinette+ quatuor + contrebasse+ piano + harmonium), la formation de Schoenberg pour le Verein für musikalische Privataufführungen, que Kagel épice avec beaucoup de percussions. C'est une oeuvre d'une ampleur étonnante: en matière de salon, c'est davantage le Divan du monde que convoque le compositeur qu'un cours de samba dans le XIième arrondissement. Il ne faut pas trop s'exciter sur la géographie; pour un Argentin, Südwesten, ça va du Mexique à la Nouvelle Zélande. On entend dans cette pièce (écoutable ici) des musiques du monde réinventées, des danses furieuses, le bruit du vent, les hurlements des loups dans les grands espaces. Comme toujours chez Kagel, le bricolage a une vertu poétique; mon moment préféré, c'est vers 12' ce bruit de seau qui déverse de plus en plus lentement je ne sais quel liquide, au-dessus d'une musique mystérieuse, qui se transforme en une sorte de danse chamanique (à 14').... D'autres kageliana trouvées sur Koogel, la boule magique: une vidéo de la Rose des vents (pas terrible), quelques films, un site et une thèse.
dimanche 7 octobre 2007
Pendant sa nuit blanche, le chat hait très fort les All Blacks
Remake de ça, mais sous forme de menace diffuse avec riposte impossible. Hébété comme j'étais après une semaine passablement merdique et un samedi de répétitions non stop, je me suis endormi samedi soir comme un bienheureux juste après avoir posé la tête sur l'oreiller, laissant le chat à une double peine: subir 1) moi ronflant et 2) la foule célébrant dans l'allégresse l'art contemporain et l'écrasement des antipodiens. Après deux heures de colère mal réprimée (dont je n'en rien su) le chat s'est éclipsé fort félinement, vers 4 heures du matin, en direction de ses appartements. Fin de l'épisode nocturne de cette histoire. A 8h22 pétantes, je suis réveillé en sursaut par une sono particulièrement agressive. Assez vite, je comprends qu'à l'animation de gauche de la nuit précédente a succédé une animation de droite (pour gens matinaux). La fort mythique course des 10 km de Paris centre a le fort mauvais goût de venir franchir sa ligne d'arrivée sous la fenêtre de mon salon. Je vous passe le discours de Legaret, l'arrivée de la course des benjamins de la poule jenesaisquoi, les "on applaudit bien fort Madame Michu.... plus fort, plus fort"; bien évidemment je n'ai rien raté de tout cela. La véritable épreuve existentielle de ce matin aura été de faire simultanément les trois choses suivantes:
lundi 1 octobre 2007
Goernelieder à Garnier
Hier soir à Garnier. Un concert moins excentrique qu'on ne l'avait espéré sachant que Pierre-Laurent Aimard en est le programmateur (il avait été question du Livre des jardins suspendus de Schoenberg). On retrouve avec émotion le grand le mieux-que-plantigrade le félin l'immense Goerne, avec au menu:
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un peu de Berg: l'adagio palindrome du concerto de chambre puis les lieder de l'opus 2, qu'on entend rarement. Le fil directeur des quatre poèmes est le sommeil, qui devient la mort dans le poème final, vers lequel converge tout le cycle, sorte d'opéra miniature, un mini Erwartung. Le premier lied est aussi très beau, avec un postlude au piano pour liquider les oscillations de la berceuse du début, que l'on retrouvera d'ailleurs à la toute fin de l'opéra miniature, après unStirb ! définitif. Le tout est très court, cinq-six minutes, pas davantage.
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beaucoup de Schumann: l'opus 35 (les Kerner-Lieder) et l'amour et la vie d'une femme. Dans ce dernier cycle, Goerne prend très lentement le premier texte, l'étirant jusqu'à la rupture. Mais j'ai été surtout impressionné par l'opus 35. Par son n°2, tout simple, strophique, l'histoire d'une fille qui a une crise mystique dans une cathédrale sous l'oeil effaré d'un garçon qui en est amoureux; dans les deux derniers refrains, le chanteur interprète successivement la fille (qui supplie qu'on la fasse nonne), avec une voix aigüe et extatique (miraculeux Goerne), et l'amoureux déçu avec une voix grave redescendue sur terre (et peut-être plus bas que terre). Et surtout par l'incroyable triade qui clôt le cycle. Stille Tränen, le grand théâtre des émotions, à la Ich grollle nicht, est suivi de deux lieder reprenant exactement la même musique, un peu décalée, blanche, au-delà des affects. C'est la fin du cycle, qui n'avance plus, le chanteur attend qu'un ange le réveille; le public fond, évidemment.
Vivement le prochain concert de la série (Moussorgsky Messiaen).
Quelques illustrations sonores dans la radio Lied.
dimanche 30 septembre 2007
un week-end
samedi 29 septembre 2007
Ligeti Jodlowski Puumala Grisey à la Cité
Vendredi soir à la Cité de la musique.
Quatre morceaux, quatre esthétiques très différentes....
Mélodien de Ligeti, je me faisais une joie de les découvrir en concert; c'est une musique d'une période de l'oeuvre de Ligeti avec laquelle j'accroche peu et c'est un rendez-vous raté, sans doute parce que j'étais trop fatigué pour en goûter les subtilités.
Drones de Jodlowski: esthétique de musique de jazz, petit ensemble avec cordes amplifiées (je déteste), prépondérance du batteur, écriture verticale, une musique virtuose et sans doute plaisante à jouer. Qui ne me pas empêché de piquer un petit roupillon à la Raymond (c'est toujours mauvais signe).
Chaînes de Camenae, de Puumala. 19' pendant lesquelles je ne me suis pas ennuyé une seule seconde: le discours est très lisible, c'est l'enchaînement parfois tuilé de petits moments musicaux à l'orchestration bien caractérisée, mais d'un style pour le moins... éclectique. Vers la fin, en entendant une espagnolade un peu lascive et d'unn goût douteux, je me prends à réévaluer l'ouverture du morceau qui m'avait fait forte impression, une marche funèbre à haute densité de grosse caisse.....
Le temps et l'écume, de Grisey. Encore une partition où il est impossible de s'ennuyer, et qui répond complètement à notre envie d'entendre enfin quelque chose d'inouï. On est frappé par l'habileté avec laquelle Grisey agence une multitude de petits événements sonores en donnant l'impression de quelque chose d'organique. Par exemple, au début, avec toutes ces percussions, on a l'impression d'une tempête de sable; dans la deuxième moitié, on entend l'orchestre ronfler ! oui oui, c'est comme une respiration suivie d'un ronflement; à la fin, c'est comme une catastrophe avec l'écroulement d'un mur. La pâte sonore est d'une richesse exaltante (qu'est-ce que c'est que ces yoyos que font tournoyer les percussionnistes, frôlant l'accident du travail ?), d'une beauté sans concession....
vendredi 28 septembre 2007
j'aime surtout le concept de ghetto hors ghetto
(merci à Th***) (MAJ qui l'a sans doute piqué ici - ouille ouille ouille)
mercredi 26 septembre 2007
une fameuse fresque du Poitou
Fameuse bien sûr parce que GC a déjà fait cette gentille blagounette dans une note de Touraine sereine que je ne vais pas me risquer à rechercher (non, non et non). (Excellents macaronés dans la boulangerie attenante, je viens d'en siffler le quart d'un de taille familiale, tant pis pour le chat). (Pour ceux que cela intéresse, les autres fresques de Saint-Savin sont en réfection; on voit déjà néanmoins un bout - prometteur - des restaurations dans le porche).
lundi 24 septembre 2007
Les Amours d'Astrée et de Céladon, d'Eric Rohmer
Selon une recette éprouvée, un mélange subtil de ridicule (on a souvent envie de donner raison au pourfendeur de l'idéalisme qui éclate de rire, le luth à la main) et de sublime (la fin est l'une des plus émouvantes de tous les films de Rohmer). Enfin un film queer !
dimanche 23 septembre 2007
Quelques clés pour se repérer dans le château (Ariane et Barbe-bleue, de Paul Dukas)
Add du 24/09: j'ai rajouté dans la radio de très larges extraits de l'opéra (tout l'acte I, la fin de l'acte II, le prélude de l'acte III et le début de la scène des adieux)
Attendu que
- j'ai de nouveau une vision d'ensemble de l'oeuvre après l'avoir vue vendredi (et que ça ne va pas durer)
- je suis infoutu de retrouver mes notes de cours d'analyse des années 80
- je me suis replongé dans la partition,
voici ce que je crois comprendre de l'opus magnum de Dukas et dont je veux garder la trace car ça m'évitera de réinventer l'eau tiède quand j'aurai tout oublié.
Dukas thèmes A et B: Ariane est un opéra à leitmotive (comme Pelléas, comme le Ring) mais resserré sur un petit nombre de thèmes qui apparaissent tôt dans la partition et irriguent les trois actes. Si Barbe bleue ne chante pas grand chose par rapport à ses femmes qui ont les premiers rôles, à l'orchestre, c'est une autre distribution des rôles; l'opéra commence avec deux thèmes associés à Barbe-Bleue; le premier ressemble à son château (deux octaves descendants se succédant)
et le second est un thème-catastrophe, en chute libre (couleur gamme par tons).
A Ariane sont associés (au moins) deux thèmes importants. Le premier, héroïque, sera varié dans la séquence des portes/couleurs/bijoux (on peut l'appeler Ariane lumière). Il apparaît aussi avec une rythmique désamorcée (que des noires à 6/4, dans la séquence centrale de l'air des diamants) et figure alors une Ariane calmée, arrivée à ses fins, que l'on retrouvera à la fin de l'acte II.
Le second est un thème de mouvement (Ariane tête chercheuse; on pourrait l'appeler le thème va chercher, Bergotte). C'est lui que l'on entend, tous trombones déployés, au début du second acte, un acte où l'on a bien besoin de ce carburant pour retrouver la lumière du jour.
Enfin, trois autres thèmes me semblent cruciaux: celui des paysans
(qui apparaissent sous toutes sortes de rythmiques, à l'acte I et III)
celui des femmes - la fameuse chanson d'Orlamonde.... qui existe sous forme longue, mais apparaît aussi très souvent de façon souterraine, notamment à l'acte II,
et celui d'Alladine, disait ma prof-qui aimait-plus-les-femmes-que-les-hommes. Il surgit à l'acte II, quand on fait connaissance de cette femme "qui ne parle pas notre langue", et devient central à l'acte III, notamment dès son (sublime) prélude. J'ai du mal à croire qu'un thème aussi doloureux et éloquent soit associé au personnage un peu secondaire d'Alladine; mais peut-être je me trompe; au fond, Alladine ne chante pas mais l'orchestre est toujours très éloquent quand elle intervient- serait-elle une Péri ? une déesse de la musique ? Quoi qu'il en soit, le traitement de ce thème par Dukas l'acte III renvoie à une musique de l'échec (on pense à Parsifal), à la faillite de la mission d'Ariane....
Dukas en fa# Quelques mots sur le trajet harmonique: tout l'opéra est en fa#; l'acte I commence en fa# mineur, le thème et variations des bijoux aboutit sur fa#majeur, l'apparition des femmes se fait en ré#mineur (son relatif), l'acte finit en fa# majeur (avec une magnifique coda qui réconcilie tous les thèmes antagonistes, comme dans toute forme sonate qui se respecte). L'acte II, cette grande recherche de la lumière, démarre en mib mineur (enharmonique de ré#mineur), se dirige vers do majeur, et conclut en si majeur. L'acte III finit en fa#mineur, comme l'opéra avait commencé.
Dukas d'or (du cador ?): L'opéra est largement truffé de musique en gamme par tons, mais qui sert de faire-valoir aux grands climax bien tonaux (l'air des diamants, la fin du second acte avec sa glorification de midi). Dukas apparaît comme un musicien des Lumières, comme le continuateur du Beethoven de Fidelio ou de la 5ième symphonie (c'est ça qui peut apparaître un peu irritant). De ce point de vue le dispositif scénique de la Bastille était intéressant, avec ces souris de laboratoire trottant d'une cage à une autre.
Dukas musicien de la Très Grande Forme: De l'acte I à l'acte III, mêmes ingrédients, symétries. L'opéra finit en fa#mineur, comme il a commencé. La musique dernière partie de l'acte III (Barbe-bleue à terre) liquide le thème du château (du début de l'acte I): les deux octaves descendants sont harmonisés différemment d'à l'acte I et apparaissent étales, inanimés, inopérants. A l'acte III, cette scène où les cinq femmes se pomponnent sous la supervision d'Ariane mettant en valeur qui une chevelure, qui des épaules etc... fait écho à la scène des cinq portes au premier acte, mais en valse à six temps, sur un mode badin et enjoué. C'est clairement la même musique; de même que la lumière sépare les couleurs, Ariane révèle chacune de ces femmes. Je ne parle même pas de la scène des paysans (avec à l'acte III ce curieux moment de bordel néo-classique sur "Au clair de la lune" !)
Parsifal, de Dukas La musique qui m'a le plus impressionné vendredi, c'était ce magnifique prélude de l'acte III, avec ce thème dolent, fauve aux altos et aux violons 2, dont j'ai parlé plus haut. A la fin de ce prélude apparaît un thème en quintes ascendantes, liées; c'est le renversement de ce thème descendant Barbebleue catastrophe, et c'est la musique qui illustrera le départ d'Ariane pour d'autres planètes (pour rester dans le registre d'une autre musique d'adieu lunaire en fa#mineur, celle de l'opus 10 de Schoenberg bien sûr).
Dukas l'as de la formule Si les formules choc de Maeterlink ne font pas toujours mouche, celles de Dukas sont aussi concentrées et fulgurantes que celles de Wagner. Je pense aux premiers mots d'Ariane, cet extralucide Elles ne sont pas mortes, qui marque une rupture du discours après le caquètement apeuré de la Nourrice; le thème Barbe bleue catastrophe y est méconnaissable, tout inoffensif, assaissonné aux cordes avec une sauce douceâtre. Je pense aussi à ce - Vous aussi ? -Moi surtout, où le thème héroïque d'Ariane explose comme une bulle de saveurs (avec des épices corsées).
Ariane, opéra de l'échec de l'analyse ? si le spectateur croit à l'acte III avoir démêlé l'écheveau des thèmes A et des thèmes B, attribué à qui de droit ses chevelures postiche, repéré les symétries et les chausse-trapes du château, la fin de l'opéra signe peut-être son échec..... (je vais me coucher)
mercredi 19 septembre 2007
Janacek/Dvorak à Saint-Eustache
Fringale de musique chorale - et surtout, à vrai dire, de programmes jamais entendus (pour changer des inusables 4ième de Brahms ou de Schumann); je me rends compte que je n'ai jamais entendu les grandes oeuvres chorales de Schönberg, Janacek, Messiaen ou Xenakis autrement qu'en disque..... Ce soir à Saint-Eustache, beau programme comportant les deux psaumes slavons de Pärt, Notre Père de Janacek et la Messe en ré opus 86 pour choeur et orgue de Dvorak.
La grande réussite de la soirée, c'était ce Notre Père de Janacek, pour choeur, orgue et harpe (la harpe qui apporte la pulsation). Une oeuvre contemporaine de Jenufa, en 5 parties, destinée, à sa création, à illustrer des tableaux vivants.... Le Janacek des petites cellules, dès le début. Deux tableaux très agités: Donne nous notre pain quotidien - une prière de paysans priant pour la récolte et Délivre nous du mal, avec un thème d'orgue annonçant la grande cadence de la Messe Glagolitique.
Franchement déçu par la messe de Dvorak. Déjà, ce n'est pas du côté du texte que l'auditeur aura des surprises.... Pour la musique, je trouve que c'est difficile de trouver un moyen terme entre l'option extrême dépouillement (qui est celle des messes de Bruckner ou de cette éclatante réussite qu'est la messe de Stravinsky) et l'option éclatons-nous en oubliant le texte (qui est celle de la Messe Glagolitique ou des grandes messes de Haydn). Dvorak essaie bien de faire le malin tout en restant simple, le résultat est aussi peu convaincant que les icônes orthodoxes les plus récentes. Je suis resté perplexe devant ces modulations compliquées dans le Kyrie, ces torrents d'eau tiède dans le Credo, et n'ai été touché que par le Benedictus planant et les derniers accords, très simples, du Dona Nobis Pacem.