Chose promise, chose due, retour aux fondamentaux. Je recopie ici des extraits d'une interview de Debussy en 1914, "une appréciation de la musique contemporaine" (extrait de Monsieur Croche, que je découvre). C'est une saine incitation à se taire quand on parle de musique et c'est truffé de remarques pertinentes. Bien sûr j'aurais pu choisir un éreintement de la Tétralogie, il y en a toutes les deux pages (le pauvre ! il les a vraiment toutes vues....). Mais vous m'accorderez que cela ne cadre pas avec Ma-Ligne-Editoriale-Eclectique-Et-Néanmoins-Cohérente. On ne retrouvera donc pas ici le style féroce du carnetier des concerts du répertoire, est-ce vraiment un mal ?
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Je ne prétends pas faire de la "critique" mais donner, simplement et franchement, mes impressions. Dans la critique le sentiment personnel joue un rôle beaucoup trop grand et souvent tout ce qui est écrit ou dit peut se résumer à: "vous avez tort parce qu'il se trouve que je pense différemment" ou l'inverse. Ce qu'il faut faire, c'est découvrir les principales impulsions qui ont donné naissance aux oeuvres d'art et le principe vivant qui les constitue. (...)
Je ne suis pas beaucoup l'actualité. Il arrive un moment dans la vie où l'on veut se concentrer et maintenant je me suis fait une règle d'entendre aussi peu de musique que possible.
Prenez par exemple, Schönberg. Je n'ai jamais entendu aucune de ses oeuvres. Mon intérêt étant suscité par ce que l'on écrit sur lui, j'ai décidé de lire de lui un quatuor, mais je n'ai pas encore réussi à le faire.
Un point que je veux souligner, c'est que je considère comme un crime de juger prématurément. L'habitude d'autrefois, qui consistait à permettre aux artistes de mûrir en paix et de ne pas leur prêter attention jusqu'à ce que leur art se soit pleinement affirmé, je la considère beaucoup plus saine que celle d'aujourd'hui. C'est imprudent de déranger de jeunes artistes en en faisant des sujets de discussions souvent superficielles et partiales. La hâte fébrile que l'on met à discuter, à disséquer et à classer est une maladie de notre temps. A peine un compositeur a-t-il fait son apparition que l'on commence à lui consacrer des articles ; on se jette sur ses oeuvres et on leur applique d'ambitieuses définitions.
J'estime, par exemple, que, aussi tentant que cela peut l'être, le moment n'est pas venu de juger les jeunes hongrois tels que Bartok et Kodaly. Tous deux sont deux jeunes artistes extrêmement intéressants et pleins de mérites, qui cherchent passionnément leur voie, il n'y a aucun doute. Ils sont à peu près sûrs de la trouver. Et l'une des caractéristiques importantes de leur musique est l'évidente affinité entre leur esprit et celui de la musique française moderne. Mais je n'en dirai pas plus.
Igor Stravinsky offre un autre excellent exemple d'un jeune artiste doué d'une vive et ardente curiosité. Il est bon pour de jeunes artistes d'être ouverts et d'aller chercher leur voie dans toutes les directions, mais je pense qu'il s'assagira en temps voulu. Il est le seul des jeunes russes avec lequel je sois en relations. (...)
Pourquoi parler de l'opéra italien moderne ? Cela serait lui attribuer une importance dont il est absolument dépourvu. La majeure partie du public se délecte dans la vulgarité et le clinquant, et s'est de tout temps complu dans le mauvais goût. Les Italiens, bien conscients de ce que veut le public, comblent ces voeux. Je ne pense pas que leur influence soit nuisible, car chaque artiste compose les oeuvres qu'il était prédestiné à écrire. Si quelqu'un est attiré par le médiocre, la réalité le révèle lui-même médiocre et nous pouvons supposer que de toute manière il ne pourrait dépasser la médiocrité.(...)