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zvezdoliki

7 avril 2005

concert Kagel à la Cité de la musique

Vu avec F. (merci toi) un concert Kagel, mercredi à la Cité de la musique, dans une salle vide comme j'en ai rarement vues à Paris (et encore, manifestement largement remplie avec des invitations....).

Kagel, c'était presque une découverte pour moi. Trois oeuvres au programme:

- Doppelsextett, une oeuvre assez grise, pour 2 violons, 2 violoncelles, 2 contrebasses et l'équivalent chez les bois (ie, sans alto ni clarinette, pas très schumannien, ça, Monsieur Kagel)

- Finale, une oeuvre écrite par Kagel pour ses 50 ans. Elle met en scène (entre autres) une crise cardiaque du chef. C'est gentil, sans plus, mais orchestré de façon séduisante, avec cuivres et percussions.

- Le morceau de résistance, c'était ...., den 24.XII.1931 , Nouvelles tronquées pour baryton et instruments (quatuor à cordes + piano+ percussions inventives et pléthoriques: presque tout le sous-sol du BHV.... et un peu du 1er étage aussi). Kagel a repris des extraits de journaux allemands du jour de sa naissance, à Buenos Aires, comme support au texte chanté par le baryton. L'ensemble tient remarquablement le choc: c'est à la fois drôle, poétique, puissant et d'une belle cohérence souterraine. Des idées de bricoleur de génie, qui passent bien, citons, en vrac au début de la pièce, un métronome qui démarre (normal pour une naissance), plus loin, un container d'objets qui tombe pour figurer l'effondrement du toit de la bibliothèque Vaticane.

A la fois le sujet de la dernière pièce (sur la transmission par courant électrique du signal des cloches à Noël, de Palestine à New York puis à Buenos Aires) et l'orchestration du très délicat et magique numéro 4 (une marche de Mahler cotonneuse, les instrumentistes chuchotant des "chhh" tout en jouant des harmoniques...sublime) inspiré par cette ahurissante annonce publicitaire:

Der Nationalsozialist raucht nur : Parole ! Sechs Pfennig. Mild und aromatisch. (Le national-socialiste fume uniquement : Parole ! Six sous. Léger et aromatique).

m'ont rappelé ce moment de grâce absolue chez Britten, sur:

J'ai tendu des cordes de clocher à clocher, des guirlandes de fenêtre à fenêtre, des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse

(que je colle dans la radio, et hop; c'est Pears qui chante et Britten à la baguette)

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1 avril 2005

la 6ième de Mahler, par Chung au TCE


Le moment qui me laisse à chaque fois baba dans la 6ième, c'est la musique de l'introduction du finale. En très peu de temps c'est à la fois un monde qui s'ébauche et une énigme qu'on peine à déchiffrer, même si elle revient à quatre reprises dans le mouvement.

Pour décrire brièvement on entend :

  1. un chant prometteur des violons, sensuel, qui semble émerger de la brume, sur un accord de 7ième sur la bémol
  2. changement brutal d'ambiance (la majeur puis mineur, soit très loin de la bémol): thème rythmique aux timbales, à fond les ballons.
  3. Dès lors (à 30" du début) c'est le règne du chaos, la chute vers le grave, gargouillis dans l'extrême grave, gamme chromatique descendante qui hésite. Le Mahler que j'aime (celui de la 7ième ou de la 9ième): bruitiste, perdu, à mi-chemin entre Beethoven et Lachenmann.

Ce début, il me fait l'impression d'un fruit tranché en deux. C'est aussi un geste autodestructeur: en 45", Mahler saborde son début: tout est à recommencer, la musique est devenue aphasique, déstructurée, il faut réapprendre les fonctions de base du langage.

Un mot sur ce que fait Mahler du schéma harmonique de ce début dans les 2 dernières occurrences: la reprise à la réexpo se fait 1) labM- 2)do M/m (car le retour en la aura lieu plus tard). La dernière reprise de l'introduction se fait en la, et y reste, avec un effet terrible: il n'y a pas que les timbales pour couper la parole aux violons, il y a aussi le marteau (qui revient pour la troisième fois). L'accord final, quelle douche froide !

A part ça, quel foutoir cette symphonie ! Je croyais que c'était une symphonie sérieuse, sans vaches, et bien non, des vaches, il y en a tout le temps et partout. En coulisses, sur scène, pendant les moments calmes, pendant les Höhepünkte, ça clarine de partout. Elles n'ont même pas peur du marteau, les vaches. Pauvre percussionniste, il a dû se faire un de ces tours de rein. Trois grands coups dans le finale, tout ça pour faire peur aux vaches qui n'en ont rien à braire meugler. Tant qu'on est sur scène, il y avait une femme corniste (c'est assez courant, ça) et un harpiste homme (ça c'est vraiment dingue et à la radio vous ne l'avez pas entendu; merci qui ?).

A part ça, direction très classe de Chung dans le 1er mouvement, pris avec un tempo lent, très articulé. Scherzo de luxe avec ses snapshots faussement baroques, sur tous les tempi, à tous les étages (même celui des contrebasses, qui font beuar, beuar), émietté, atomisé. Grand moment magique dans le mouvement lent: les sol qui amorcent la partie centrale: altos puis harmoniques puis flûtes. Sublime. C'était sans doute moins chic qu'à la Scala mais c'était quand même une soirée très excitante.

28 mars 2005

La Tourette à la sauvette

Comme souvent, les craintes que j'exprimais dans mon dernier billet se sont révélées infondées: c'était un des mariages les plus joyeux auxquels j'ai assisté, et davantage que de casser des liens, je crois avoir pu en renforcer quelques uns.

Dimanche, comme nous étions dans le Beaujolais, j'ai poussé à ce que nous fassions un saut au couvent de la Tourette. C'est un des hauts lieux de l'ordre des Dominicains, une des grandes réalisations du Corbusier (avec une contribution de Xenakis d'après ce qu'on lit sur le site). Entre chien et loup, nous avons rôdé autour du couvent qui était fermé, le soir de Pâques. Que mes amis décrivent l'endroit comme un mélange entre déchetterie et cité U à l'abandon n'a pas cassé mon enthousiasme. L'architecture joue subtilement du relief : le couvent est adossé à la pente, l'église, la plus éloignée de l'entrée est sur pilotis. De l'extérieur, on voit les dispositifs d'entrée de la lumière (photo du bas à gauche).

C'est un lieu auquel j'avais beaucoup rêvé, à cause de son architecture, à cause du rayonnement intellectuel des Dominicains, à cause de la référence à Thomas More et l'Utopie, à cause du colloque Pasolini dont m'avait parlé P, à cause de la figure de Dominique, qu'on déteste à Toulouse et commémore à Bologne. Un endroit où je retournerai.

13 mars 2005

mon pan de mur jaune hier soir vers 18 heures

12 mars 2005

In memoriam Frau Mira


Dans les années 70, on a souvent eu des nouvelles de Brigitte Mira, grâce à Fassbinder, qui lui a fait tout jouer, de la mère abusive à la femme amoureuse....

PS: en fait, après avoir ruminé tout le week-end, je sais pourquoi Brigitte Mira m'émeut tant: c'est pour son côté femme enfant- mère Courage....comme Giulietta Masina dont elle avait le regard....

 

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11 mars 2005

Autour du finale de la 80ième symphonie de Haydn

Crainte: on ne loue pas assez Haydn.

Axiome: il y a toujours quelque chose d'intéressant dans une symphonie de Haydn.

Illustration: prenons, hum, au hasard, enfin, presque, la 80ième symphonie.

Je ne risque pas la concurrence dans la blogosphère à son sujet; même les musicologues l'évitent, pas même une note de bas de page. Rosen, mon idole, l'ignore superbement; j'ai juste lu que Geiringer en célébrait le mouvement lent qu'il qualifie aimablement de mozartien: il est vrai que cette symphonie est de 1783, un des grands moments d'enrichissement mutuel des musiques de Mozart et Haydn. Il faut dire que la pauvre cocotte est dans un entre-deux douteux: bien qu'en ré mineur, elle n'est plus franchement Sturm und Drang (ce qui ravirait les amateurs d'émotions fortes), et puis il faut bien avouer qu'elle est moins uniformément géniale que celles qui suivent la 82ième. Je ne l'ai jamais entendue en concert. Je mets sur la radio l'enregistrement d'un orchestre australien dirigé par Sir Ch. Mackerras, le spécialiste de Janacek (tiens tiens, hum, intéressant....)


Là le grand moment de génie, c'est le finale, dont j'aimerais faire une analyse à l'écoute, en évitant de regarder la partition. C'est une musique très spirituelle, dont on comprend vite à l'oreille le secret et la saveur, mais c'est beaucoup plus difficile à expliquer par écrit. Je vais essayer (au point où j'en suis....je n'ai plus rien à perdre !).

Un petit jeu si vous le voulez bien: écoutez sans tricher les 5 premières secondes de ce finale, avec la radio, puis mettez en pause. C'est parti.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Franchement, qu'avez-vous entendu ? en laissant toute mauvaise foi au vestiaire ?

Moi j'entends un dialogue entre 3 notes longues répétées, et deux 2 notes brèves, à un autre registre. Qui semble définir une pulsation de 4 temps. Un petit dialogue, que j'entends comme cela

 

que je retranscris comme ceci:

 

 

ou éventuellement comme cela:

 

 

Vous êtes autorisé[s] à poursuivre l'écoute (et me remercier, je suis un dictateur éclairé). Vous serez d'accord avec moi, non ?, vers 8", on commence à se dire, tiens, c'est bizarre. Et ce n'est qu'à 22" que c'est bien sûr, on comprend (après avoir compilé comme un vieil ordinateur de 1988): la figure du début que nous croyions être une figure stable s'appuyant sur les temps forts, est en fait une figure en contretemps, en syncopes, une figure d'accompagnement, secondaire,
comme ça:


Ce qui arrive...et ce que l'on attend, en somme.

 

 

-C'est tout zvezdo ?

-Et bien oui, c'est tout. C'est très exactement le genre de petit jeu qui m'excite en musique....

- (flop)

Un début excentrique, à la manière du finale de l'opus 76 n°5 dont j'ai déjà parlé et qui traîne dans la radio. Mais aussi un carburant qui irrigue tout le mouvement, et qui se résoudra comme toujours dans le style sonate, canalisé définitivement à l'extrême fin.(*) Je ne développe pas, c'est très simple, il suffit d'écouter, on entend les syncopes et le petit jeu de dialogue dans tout le mouvement.

Il m'émeut ce petit tortillon de rien poétique. Et il m'amuse aussi, car au fond, c'est une blague d'orchestre, très pratique, très concrète (à la manière de la fausse entrée du cor dans l'Eroica): voir des instrumentistes jouer à contretemps par rapport au chef, vérifier que le bloc des instrumentistes qui fait les deux brèves saura les caser au moment idoine, sans retard. Une blague sur la quelle on construit un mouvement. Un peu à la manière des Mikrokosmos, cet autre feu d'artifice poétique sur des éléments simples du langage.

Haydn: le contraire du papa Haydn dont on nous rebat les oreilles (le drame des gens d'esprit jeune qui meurent vieux); un galopin qui joue, le sourire aux lèvres, des ressources d'un langage tout neuf qu'il explore avec appétit (104 symphonies). Le Klee de la musique moderne.

(*)Idée[s] de définition de la forme sonate, ce grand cachalot blanc, ce maudit bic (parce qu'au fond, ça ne sert à rien de donner le topoguide d'une forme sonate, ça n'explique rien, pourquoi c'est là, à quoi ça sert ):
une forme sonate est un fil qui cherche son double pour former une corde. (Haydn marin)

une forme sonate est une façon de faire passer une crampe (Haydn kiné)

une forme sonate est une flamme dont on canalise l'énergie (Haydn électricien).

une forme sonate est la reconstitution d'un frigo à partir de tortillons dispersés dans la stratosphère (Zabriskie Haydn)

2 mars 2005

Découvrons avec Jacques Roubaud les moeurs étonnantes des hétéros médiévaux

Et aussitôt elle entama les hors-d'oeuvre, deux douzaines d'huîtres de Colchester. Wallwein était tout affamé et ne se fit pas prier pour jouer sa partie dans la partition dînatoire. Dire que la Guivre mangeait salement serait peu dire. Elle mettait ses griffes partout, s'essuyait la gueule avec sa manche, aspirait les huîtres avec un bruit glougloutant, et ainsi de suite jusqu'au dessert, pétant et rotant en contrepoint de sa déglutition.

Enfin, ayant achevé d'engloutir une montagne de myrtilles à la crème de Cornouailles, elle repoussa son assiette, et regarda Wallwein (qui avait, tout au long du repas, fait des efforts pour isoler son estomac de ce contexte peu appétissant) avec une concupiscence avinée (elle avait descendu de nombreuses bouteilles de vin du Kent). "Et maintenant, beau chevalier, c'est l'heure du poutou qui pue." Wallwein avait beau ne pas connaître le mot "poutou", les intentions de la Guivre, qui s'était levée et s'approchait de lui en se déhanchant comme un ornithorynque, étaient on ne peut plus claires. Mais les règles de l'Aventure sont formelles: on ne refuse pas le baiser de la Guivre, sous peine d'être un chevalier récréant, c'est-à-dire froussard et couard, indigne désormais du nom de chevalier. Wallwein donc se leva, essuya sa bouche avec sa serviette aux armes de Rhegedd et dit: "Je suis prêt". "RRRAAHHH!" fit la Guivre avidement. Et, prenant la tête de Wallwein entre ses pognes, elle lui flanqua sa grosse langue écumeuse dans la bouche.

Mais aussitôt, en lieu et place de l'horrible bestiasse, Wallwein eut dans les bras une délicieuse créature, construite un peu, jugea-t-il, à la manière de Silence, sa (son) frère-et-soeur, sauf qu'elle était blonde et nettement plus abondante des mamelles, plus ample et cambrée de l'arrière-train. Elle avait sous les bras et au bas du ventre un toisonnement bouclé et parfumé, ma foi, d'une manière plutôt agréable; et d'une blondeur, d'une blondeur véritablement blondissime. Sa langue chatouillait les dents de Wallwein qui sentit un trouble généreux et vigoureux l'envahir, ce dont la nouvelle version de la Guivre se montra fort satisfaite. Elle le prit par la main et l'amena dans sa chambre, où elle lui fit découvrir toute une panoplie de jeux que Silence et lui, malgré leur grande inventivité, n'avaient point encore trouvé d'eux-mêmes. Et ils ne s'endomirent point avant que l'aube, encore virginale, ne signale, timide et rougissante de pudeur, sa venue.

Jacques Roubaud, le Chevalier Silence, chapitre 15

25 février 2005

parlons du chat aux parents

Hier soir (encoooore: ils sont tout le temps là à Paris, these days), dîner avec papa et maman.

Nouvelle contrainte oulipienne: à chaque fois qu'on se voit, tasser à mes parents, au détour d'une phrase, quelque chose sur *** (que j'appelle ici le chat). C'est utile quand la discussion devient trop animée, ça la fait retomber illico comme un soufflé au congélateur.

Hier soir, c'était donc, assez classiquement: "Oui, enfin tu sais, vivre dans moins de 200m², même pour une famille nombreuse, ça se fait: regarde la famille de ***, ils étaient 7 enfants et leur apparte de M faisait moins que ça."

Je vous raconterai la suite du feuilleton oulipien. La prochaine fois, essayer de caser chat+ congélateur. Mais sans préparer: comme ça, à l'inspiration.

23 février 2005

Schönberg à la Cité de la Musique

Avant toute chose, je dois déclarer ma dette et ma flamme au site du Centre Schönberg à Vienne, qui est tout bonnement ce que j'ai vu de mieux en matière de site consacré à la musique. C'est vertigineux, il ya tout de Schönberg, à écouter, à voir et à lire. Il y a même une radio. Je sens que je vais y passer de longues soirées d'hiver. Tous les extraits musicaux en lien dans cette note proviennent de ce site magique.

Hier soir, concert Schönberg/ Wagner à la Cité de la Musique, un concert exceptionnel par son exigence artistique, sa cohérence et sa variété, grâces en soient rendues à Michael Gielen et le choeur et l'orchestre symphonique de la radio de Berlin. Un échantillon finalement assez complet de l'oeuvre "à texte" de Schönberg. Des oppositions violentes: les longues plages sensuelles et sacrées du Parsifal et le foutoir innommable de la scène du Veau d'Or; l'idéalisme de Paix sur terre et l'horreur concrète d'Un Survivant de Varsovie......Mais aussi la variété dans le traitement vocal (opéra, mimodrame, choeur en chanté-parlé, choeur a cappella) et dans les styles (sériel-néoclassique pour Moïse et Aaron (1930), tonal pour Paix sur terre (1907), atonal athématique pour La Main heureuse(1913), sériel bruitiste pour Un Survivant de Varsovie(1947)). Première écoute pour moi de La Main heureuse et du Survivant de Varsovie.

Prélude de Parsifal. Direction précise de Gielen pour une musique qui flotte, avec ses longs accords chatoyants. Le programme cite pertinemment Wagner qui disait du Prélude qu'il était un exorde, "comme l'exorde d'un sermon, les thèmes sont simplement mis les uns après les autres".

Friede auf Erden: une pièce chorale de 1907, encore tonale, un ré mineur qui devient majeur. Enchaînements harmoniques étonnants, à l'extrême fin. Dommage que le choeur ait été doublé par les cordes, localement, sans rester strictement a cappella.

A survivor from Warsaw. Un grand choc pour moi, une musique d'une efficacité redoutable, directement émotionnelle, notamment le crescendo accumulation de rythmes, à partir d'un accord pianissimo aux cordes (qui évoque le gaz), sur ce texte: "In einer Minute will ich wissen, wieviele ich zur Gaskammer abliefere! Abzählen!" They began again, first slowly: one, two, three, four, became faster and faster, so fast that it finally sounded like a stampede of wild horses, and all of a sudden, in the middle of it, they began singing the Sema’ Yisroel. Trois langues: l'allemand (la langue du tortionnaire), l'anglais (la langue du survivant), l'hébreu (la langue des morts). Impression curieuse de voir un orchestre allemand se faire ovationner avec cette musique....

Die glückliche Hand. Une pièce de la grande période des pièces de l'opus 16 (qui m'excitent), et d'Erwartung (qui ne m'a jamais excité). La version de concert permet d'évacuer le problème insoluble de la représentation de ce qui peut se passer en 20 minutes dans la tête d'un baryton (dont la femme est attirée par un dandy et dont l'art est incompris....). Musique raffinée; orchestre éléphantesque traité comme un ensemble de chambre; très proche de Mahler, finalement. Grand coup de marteau fécond, comme dans la VIème de Mahler, qui conduit à une cristallisation, puis à un incroyable crescendo de couleurs.

la scène du Veau d'or dans Moïse et Aaron: La musique du début, marche vulgaire avec ses archets jetés. Couleur du piano, percussions éléphantesques. Etonnante fin, dispersion !

8 février 2005

autour d'un trio des Noces

A ceux qui croient encore, naïfs hirondeaux nourris au lait du Conservatoire, que la forme sonate est ce carcan académique dont les vaillants novateurs des XIXième et XXième siècle ont su s'émanciper, on conseille d'aller écouter sur la radio le merveilleux terzetto de l'acte I des Noces de Figaro de Mozart: tout le contraire de l'académisme, de la forme en action, toute vivante et palpitante. En un peu moins de 5', c'est une forme sonate aussi complexe qu'un premier mouvement de symphonie qui surgit, qui souligne finement une histoire tragico-burlesque de double sortie d'un placard. Une forme sonate, c'est cela: exposer des tensions, des dissonances, puis les résoudre, après les avoir révélées.

La situation est la suivante: à la scène précédente, Basile, manoeuvrant pour le Comte, essaie de faire chanter Suzanne en insinuant qu'elle se laisse courtiser par Chérubin. Au tout début de la scène qui nous intéresse, le Comte, qui a tout entendu, sort de sa cachette, furieux, jaloux et dominateur, prêt à tout pour confondre l'impudent Chérubin (qui, en fait, rêve à la Comtesse). Basile cherche à renforcer son avantage, à sa manière torve. Mais la scène se corse : le Comte, en racontant et mimant comment il a démasqué Chérubin, quelque temps avant, finit par le dénicher...sous un autre fauteuil. A la fin de la scène, Suzanne est catastrophée, Basile triomphe et le Comte tonne. Vous suivez ? sinon, le livret est ici..

Toute la scène fonctionne musicalement sur des idées très simples, comme toujours chez les classiques, tellement banales qu'on risque de ne pas les repérer..... Comme principaux ingrédients de la scène, j'entends la cadence fa-si bémol (qui ouvre la scène), un rythme modulant caractéristique qui revient aux moments cruciaux (associé à l'idée de manigance, on le voit sur la partition ci-dessous), un rythme pointé, plus martial et moins crucial, qui est associé au Comte (c'est juste avant).

Et maintenant, le topoguide, avec les dénivelés et tout et tout:

Exposition: du début à 1'25''. Première note: un fa.... qui est une dominante, en fait. On est en si bémol. Comique du style classique: le thème initial n'est qu'une cadence (comme le finale de l'opus 76-5 de Haydn, aussi dans la radio), pire encore, pas même une cadence parfaite. Une décadence. Je signale juste en passant (ça servira plus tard) que cette cadence intervient à la première sortie de placard (introducing le Comte)

à 2": le voilà, le comte, en si bémol, avec son rythme pointé (c'est un seigneur qui tonne, et dialogue avec les violons)

à 20": le rythme de Basile, dont je parlais, modulant, très repérable;

à 28": musique dramatique et bouffonne à la fois: Suzanne se lamente en do mineur (qui annonce fa, évidemment)

à 55": musique de conclusion en fa majeur (très romantique avec ses accents, ses chromatismes et les violons qui s'excitent, on y retrouve le rythme de Basile).

Développement

1'21": on module en ré puis en mi bémol; sur la musique de la conclusion, puis le rythme de Basile, qui nous mène en fa (fatal).

Réexposition

2'05": c'est la musique du début, mais qui prend tout son sens avec les voix (et plus seulement le Comte et les cordes). Un savoureux "quoi quoi quoi" suspensif de Suzanne, sur fa, mène à une....

2'30" ...extraordinaire cadence (à tous les sens du terme, comme dans un concerto....). Temps suspendu; le temps du récitatif est celui de la narration, du souvenir, mais celui-ci reste en cohérence avec la forme sonate: le thème rythmique cette fois-ci nous ramène à bon port, sans galéjer avec des chromatismes.....sur une cadence, qui coïncide avec la sortie de Chérubin de sa cachette (comme le Comte au début de la scène). Cosa Veggio, chante le comte, effaré: la bête est dans la nasse (en si bémol).

3'21": On est bien en si bémol, tout est résolu: Le rythme initial se retourne contre Suzanne (le Comte lance un ironique "Onestissima Signora") Suzanne est une menteuse confondue, le Comte est décidé à punir Chérubin.

Cette note est un essai, à tous les sens du terme....un peu bâclé, mais je voulais parler différemment d'une musique qui est à la fois plus primesautière et complexe qu'il n'y paraît. Je ne recommencerai pas, c'est promis. Evidemment en misérable ver de terre, je dois tout au plus beau livre jamais écrit sur la musique, le Style classique de Charles Rosen (mon idole), qui ne parle pas de ce trio mais analyse le sextuor de l'acte II, avec ses "Ciel ! Maman ! Ciel ! Papa !".

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