Gigi, de Vincente Minnelli
....en femme (Leslie Caron est Gigi)
....en femme (Leslie Caron est Gigi)
Ce soir, dîner des gay anciens de ***. Course d'obstacles entre le métro Odéon et la rue de Lanneau où nous avions rendez-vous: beaucoup de grand-guignol boulevard Saint-Michel (plus de photographes que de manifestants, prêts à immortaliser la guéguerre des CRS et des lycéens), la rue Saint-Jacques totalement barrée. Au dîner, à la fois le plaisir de la découverte de petits nouveaux (en face de moi: un couple de petites lesbiennes toutes mimi) et des retrouvailles: à ma droite, J*** que je n'ai pas vu depuis bien 6-7 ans, son humour catastrophiste et son air savamment ahuri. Il est sidéré de voir que je me souviens encore de son numéro de fixe : 01 46 33 xx xx. Il m'apprend que son numéro se disait, il n'y a pas si longtemps, Médicis xx xx ; que le 633 correspond au central Médicis (MED en suivant les lettres des anciens cadrans téléphoniques). Je me surprends à me demander à quoi correspond 282 dans mon propre numéro (PIG pour Pigalle, BLA pour Blanche, MON pour Montmartre ??? marche pas); mais peut-être que mon numéro date d'après ce système de numérotation....
Considérant que le temps était à point (pas trop froid et très beau), j'ai successivement :
En premier lieu attiré par le sujet de l'opéra, inspiré des poèmes de Jaufré Rudel, seigneur de Blaye et l'un des grands troubadours de son époque, le chantre de l'amour de loin. La légende affirme qu'il est tombé amoureux à distance, après une vie aventureuse, d'une dame de Tripoli, pour qui il a écrit des chants d'amour et qu'il n'a rencontrée que mourant, au terme d'une grande traversée de la Méditerranée en bateau ("avec la voile et la rame à la recherche de sa mort" écrit Pétrarque). D'après ce que j'en ai lu, Jaufré Rudel est un poète moins hermétique que Raimbert d'Orange, le poète de la fleur inverse du livre de Roubaud ; si je parle de Roubaud, ce n'est pas que par hystérie de fan-de-JR, c'est aussi parce que Saariaho lui a emprunté le titre de son concerto pour violon (Graal Théâtre) - et lui a fait dire les vers de Jaufré Rudel en provençal dans la bande électronique de Lonh, une oeuvre écrite pour Dawn Upshaw et manifestement une des matrices de l'Amour de loin. Donc, sur le papier, un projet très excitant : l'Orient/ l'Occident, le texte/ la musique qui transforme la vie, l'amour/la mort/la mer, mais qui a été affadi par le livret, la musique et la vidéo... Le livret de Maalouf a quelques qualités - il est notamment centré efficacement sur trois personnages (Rudel, sa dame et le Pélerin : le go-between, l'entremetteur, de loin le personnage le plus intéressant de l'opéra, magnifiquement incarné, samedi, par Marie-Ange Todorovitch). Mais, le texte, pas ésotérique pour un sou, a tendance à trivialiser son sujet : un abus de certaines figures rhétoriques, comme des croisements sur le mode: les hommes affichaient la terreur et les femmes l'envie, à moins que ce ne soit l'inverse; une tendance au bavardage qui parfois prête à sourire (comme cette scène où Clémence explique qu'elle n'a pas encore commencé à souffrir.....). La vidéo de Barrière était au mieux inutile, au pire nuisible, dans la mesure où elle dispersait inutilement l'attention du spectateur. Très illustrative (les visages des chanteurs pixellisés....), elle souffrait largement de la comparaison avec le Tristan de Viola.... Quant à la musique de Saariaho, elle ne m'a pas semblé passionnante. Elle use et abuse d'effets faciles comme les nappes de sons (qui ne s'interrompent même pas au moment de la mort de Rudel) ou les appels de vents. L'usage de l'électronique est anecdotique et très peu audible. La prosodie française n'est pas très heureuse (les syllabes muettes sont mangées) et la vocalité un peu planplan si on excepte quelques envolées de Clémence (reste à imaginer ce que Dawn Upshaw a pu en faire....). Je retiens quelques moments, peut-être faciles mais qui restent en mémoire : la chanson strophique de l'amour de loin, le début marin du IVième acte (sol-ré-la-do-fa, si je me souviens bien....), l'extrême fin - l'amour de loin sublimé dans l'amour de Dieu - avec le contraste entre les cordes suraigües, métalliques, et l'extrême grave. On sort de là avec l'envie d'écouter quelque chose de plus consistant - du Szymanovski, du Messiaen.... Et puis, aussi, en codacarambar :
Retour au 2ième mouvement de la 93ième symphonie de Haydn, qui décidément rentre très bien dans le CadreEtroitDeMaTrèsStricteLigneEditoriale. (soyons clairs: ce qui suit va être long et encore plus abscons que cette sentence liminaire).
Quelle musique drôle, concise et variée ! Comme on y respire bien ! Quelle invention dans la forme - à la fois maîtrisée et énigmatique ! Vignal y voit une forme sui generis, qui tient du rondo et de la variation ; il note que le thème revient à 5 moments dans le mouvement, à chaque fois à la tonique (sol majeur), le plus souvent par blocs de 4 mesures, les deux premières, non variées, restant à la tonique (sol majeur) , les deux dernières menant à la dominante (ré). Tout cela est vrai, mais je trouve que c'est un peu court; on ne comprend pas vraiment l'architecture d'ensemble (qui est à la fois cohérente et variée), le pourquoi du prout (ce qui est très très embêtant), ce qu'il y a dans les parties intermédiaires....
J'aurais bien aimé rééditer le coup de force tenté avec le finale du KV428, y voir une forme sonate, pour changer. Ce n'est pas complètement convaincant (il manque le voyage tonique- dominante et sa résolution) mais je me lance à l'eau (je sais, ça fait topoguide, mais j'ai fait le travail et il ne faut pas gâcher). Je vois trois parties dans le mouvement (les numéros de mesures renvoient à la partition)
I- Un thème ironique, tout simple, qui a du mal à décoller du sol (4 modules, mesures 1 à 29, jusqu'à 1'54"):
II- On va à l'opéra (on dirait un développement, jeunes gens) (mesures 30 à 60; à 1'54")
III- On liquide tout (ça sent la réexposition, non ? en 2 époques, mesures 61 à 88) (à 3'39")
Je mets ce beau mouvement à la fois dans la radioblog canal historique (en compagnie du ©prout du Chant de la terre), et, promo !, dans la radio-Haydn avec le 1er mouvement (qui déménage aussi).
Je plaide coupable : j'ai eu hier soir un mal fou à rentrer dans cette musique, que j'ai structurellement tendance à trouver compacte et difficile d'accès comme une forêt tropicale. Difficulté d'accomodation avec un clavecin au son ténu, dans un temple mal isolé de la rue ? Présence inopportune d'une bouche de chauffage en furie qui m'a vite incité à la somnolence ? Tempi très lents de Benjamin Alard ? Je n'ai commencé à me concentrer qu'au cours de la deuxième partie, avec les dernières variations, les plus lumineuses. Il m'a semblé que les variations lentes et l'aria (souci du détail appuyé par la gestique corporelle) étaient plus intéressantes que certaines variations rapides, plus compactes (véritable brumisation de notes dans la 29ième variation). Beaux bis, public enthousiaste et nombreux dans les galeries massives du temple des Billettes. Et puis, plus tard : Et, en after d'after, les sublimes clapotis de la 5ième variation de l'avant-dernier mouvement de la sérénade Gran Partita, dans un véhicule amphibie à l'arrêt, place Blanche. Dans une bulle de musique, quel bonheur de faire la nique aux rabatteurs de baraputes, mes si chers voisins
- La Trahison: Celle de ce harki, au début du film, passé aux fellagha et revenu dans le camp des Français ? Ou celle de ces FSNA appelés du contingent (français de souche nord-africaine)? Ou celle du lieutenant (Vincent Martinez) qui les abandonne à la police militaire ? C'est une des beautés et une des forces du film que de laisser le spectateur dans le doute sur cette trahison. Celui-ci comprend vite que Taïeb et ses camarades sont pris dans une situation intenable, qu'ils passent pour des traîtres aux yeux de la population locale, et que le doute s'insinue aussi dans les rangs de leurs frères d'armes. Mais le spectateur ne les voit pas pour autant passer à l'acte; ceux-ci se demandent ce que vaut la parole de la France, ce que vaut la parole du lieutenant.... - Des beaux portraits à la Sander: une véritable typologie de cette population locale qui résiste en silence. Beaucoup de gens que l'on voit d'abord vivants, puis morts. Et puis aussi un jeune homme apeuré, à la chechia rouge. Et un homme au turban jaune; camouflé en tenue militaire, un sac sur la tête, il identifie et dénonce un suspect; on le retrouve quelques plans plus tard, lardé de coups de couteaux, expirant en criant: "ce n'était pas moi". - Les scènes d'actions sont complètement dédramatisées; on ne voit ni la torture ni l'exécution finale. C'est un des meilleurs films à ce jour, sec, subtil et équilibré, du doux Philippe Faucon (Muriel fait le désespoir de ses parents, Samia)
A Garachico, mardi 20 février, un concert inattendu qui m'a plongé dans la joie. C'était le Joven Orquesta Sinfonica de Tenerife qui jouait:
J'arrête là, je frôle le vulgaire (mais je réclame l'indulgence des amateurs; ce n'était pas le voyage de noces de perdreaux de l'année....)