Derniers remords avant l'oubli, de Jean-Luc Lagarce
Dernier remords avant l’oubli m'a complètement ébloui; cela faisait longtemps que je n'avais pas autant vibré au théâtre (telle une cloche: dong, donc), en spectateur d'une pièce drôle, rageuse, jubilatoire et profondément pessimiste. C'est une pièce de chambre, à six personnages. Hélène et Paul viennent à la campagne rendre visite à Pierre, dans la maison où ils ont vécu un ménage à trois, autrefois, et où Pierre habite encore, seul. Hélène souhaite vendre sa part de la maison. Hélène et Paul ont refait leur vie, chacun de son côté; deux pièces rapportées, à fort potentiel comique, sont là ainsi que la deuxième fille d'Hélène (et de qui ? on ne le saura pas), à fort potentiel sarcastique. Le contenu informationnel est amaigri, à dessein. Ce que le spectateur ne sait pas est presque aussi important que ce qui lui est donné à savoir. L'essentiel est ailleurs, réside dans ces rapports de force qui se nouent avec des phrases très simples. Ainsi, après le début de la pièce (une succession de Tu vas bien ? Vous allez bien ? Est-ce que vous allez bien ? sur tous les tons, avec un effet comique garanti), Pierre entame une tirade longue, dont le contenu informatif est en substance: je ne dirai rien, c'est à vous de commencer de parler. A cela, Hélène répond, folle de rage, en deux mots, que Pierre est taciturne et compliqué ...(le spectateur ne comprend plus trop qui est taciturne et compliqué...) et suscite, en représailles, une nouvelle avalanche de dénégations de la part de Pierre. Toute la pièce est une série de duels avec des phrases assénées à bout portant : je dois te dire que tu n’es pas quelqu’un de bien répété 15 fois de suite, sans qu'on sache vraiment pourquoi. C'est Pierre, qui résiste à la liquidation du passé, qui s'en prend le plus, et qui se réfugie dans le silence. Il n'y a pas de rémission, la pièce finit par une impasse et un aveu d'échec. A ce titre, les scènes impliquant la fille d'Hélène sont particulièrement saignantes et savoureuses. Paul et sa femme projettent sur cette fille qui n'en a rien à cirer, l'un le souvenir heureux du passé, l'autre la rancune contre ce même passé dont elle est exclue. L'un et l'autre se font rembarrer sèchement par celle qui résume au public avec ironie l'histoire du trio: Ils ont un peu tout fait : ils sont assez représentatifs, famille de la bourgeoisie naissante provinciale et commerçante. Poitiers, Dijon, Rouen, le triangle terrible, études larvaires, revendications diverses postadolescentes, montée vers la capitale, tentatives artistiques, littérature allemande et cinéma quart-monde, revendications multiples préadultes, fuite de la capitale, descente, l'air pur, la "vraie vie", alternatives artisanales, mauve et rose tyrien, le bonheur, le paradis, cette maison-ci, puis éclatement encore, chacun pour soi. (c'est mieux bien joué qu'écrit). Voilà, j'ai insisté sur le côté noir, je n'ai peut-être pas dit l'ironie, l'élégance....le plus beau lapsus, c'est quand même, C'est moins grave que nous ne pouvions l'espérer.