Production très efficace émotionnellement: Owen, Lechmere et Kate ont l'âge du rôle, on est de plein-pied avec les acteurs, l'espace de l'amphi est utilisé très intelligemment. Notamment dans cette scène terrible où la famille fond sur Owen comme des oiseaux de proie, en dévalant les quatre escaliers vers la scène. Magnifiques chanteurs (notamment Piotr Kumon, timbre de velours, grande classe). Discours musical très efficace, aux intentions transparentes: la musique du prélude de l'acte I, avec ce rythme jazzy (noire/ 2 croches/ triolets de noires); celle du 2ième prélude (la ballade a cappella, interrompue par les appels de cuivres et le choeur d'enfants). Retenons aussi à l'acte I, la scène 2: avec ces broderies revenant de façon obsessionnelle à (au?) sol et ces pincées de harpe dans l'aigü; à l'acte II: le grand éloge passionné de la paix par Owen, curieux choral de cuivres en accords parfaits avec guirlandes de percussions.
dimanche 6 novembre 2016
Britten/ Berlioz à l'Orchestre de Paris
Sérénade pour cor et ténor/ Roméo et Juliette: beau programme, avec des échos troublants d'une oeuvre à l'autre. On retrouve les "lulling charities" du sonnet de Keats dans le scherzo de la reine Mab, ou dans ce ground qui m'a toujours fasciné à la fin de la scène de bal, avec cette ligne qui plonge dans le grave, ouvrant la porte aux forces du rêve.
Je n'ai pas si souvent entendu la sérénade en concert, et c'est vraiment un chef d'oeuvre. Plus que les pièces de genre un peu entêtantes (Dirge - la procession - comme chez Harold en Italie; le Nocturne avec son refrain avec cor obligé), j'ai préféré ce soir Pastoral (où les aigüs très doux de Padmore ont fait merveille .... pas près d'oublier ce Till Phoebus, dipping in the west/ Shall lead the world the way to rest, à 4'30"), le Sonnet de Keats (pour les lulling charities et l'assomption finale), et bien sûr l'Elegy de Blake (où c'est le cor qui chante - trouvaille que cette seconde descendante qui revient et contamine tout - le ver dans la rose).
Il ya des oeuvres avec lesquelles on n'accroche pas, on ne sait pas pourquoi, et pour lesquelles, on ne sait pas non plus pourquoi, le déclic se produit. Cela a été le cas pour moi avec le War Requiem à Londres ce dimanche dernier. Peut-être à cause de la mise en condition de ce jour un peu spécial du Remembrance Sunday, où c'était difficile d'échapper aux poppies (photo).
Il y avait deux War Requiem programmés le même jour; même si l'oeuvre a été créée pour commémorer la destruction de Coventry, je trouve plus conforme à son génie de lui associer le souvenir de la Grande Guerre. Le War Requiem de Southbank (dans l'immense Royal Festival Hall) était précédé d'un petit film très excitant sur sa préparation. Il faut dire que l'oeuvre est en soi presque déjà un projet de société, qui mobilise un grand orchestre, un immense choeur, un orchestre de chambre (placé à la droite du chef, à l'extrême droite du plateau); un choeur d'enfants (très jeunes et très dissipés, se tortillant dans tous le sens pendant l'heure et demie que dure le Requiem, et dirigé par une jeune femme placée avec l'orgue dans une tribune). Et trois solistes, aussi jeunes que la moyenne des interprètes (l'orchestre de la Royal Academy of Music), et comme le veut la tradition, de trois nationalités différentes: une Moldave, un Anglais et un Allemand.
A la soprano le redoutable honneur d'affronter les grandes masses orchestrales et chorales pour la partie en latin, aux deux hommes la confrontation avec l'orchestre de chambre pour ce qui a le raffinement d'un cycle de lieder, sur les textes du poète Owen. Les interpolations entre les deux dispositifs sont très ingénieuses et riches de sens. C'est dans ce cycle que j'ai trouvé certains des passages les plus riches: un air véhément dans le Dies irae; la longue séquence de rapprochement des ennemis (I am the enemy you killed, my friend), dans le Libera Me. Et cet air de ténor dans le Sanctus:
....que le ténor conclut en mettant en avant le triton de la cadence qui conclut les sections a cappella des Dies Irae, du Libera Me: bifurcation mystique, clé vers l'ailleurs.
Déçu par la mise en scène, costumes moches et chanteurs jouant très mal (la bagarre des officiers....), rien à voir avec l'engagement et la fraîcheur des chanteurs du Conservatoire il y a quelques années. Ce n'est sans doute pas un hasard si les personnages de l'histoire sont figés; après tout, le sujet de l'opéra (le viol et l'attitude un peu ambigüe de Lucrèce qui explique son suicide) est irrépresentable, et Britten a souhaité tourner autour du pot en donnant la part belle au Choeur Homme, qui dit voir cette histoire préchrétienne avec les yeux du Christ. Ce personnage, le plus vivant et expressif de l'opéra,a sans doute les plus beaux moments musicaux de la partition (la chevauchée, les deux prologues); pas vraiment une surprise si Britten avait réservé ce rôle à Pears.
dimanche 15 janvier 2012
Présences: Strasnoy/ Britten au Châtelet
Beaucoup dormi pendant les cinq Interludes de Peter Grimes (mais je me suis quand même rendu compte qu'il y avait un beau solo d'alto dans la Passacaille tirée du même opéra). Pas dormi du tout en revanche pendant le Bal, l'opéra de Strasnoy en deuxième partie, qui m'a laissé des sentiments mitigés. La musique en est très composite: il y a du bruitisme (le début), une scène de leçon de musique un peu fofolle qui fait théâtre musical, une scène très rythmique où ça swingue (avec la mère), des chansons irlandaises franchement grivoises, un passage qui rappelle Philippe Hersant, des citations attendues de Berio/Mahler et la clarinette de la scène de danse du Wozzeck. La fin avec son atmosphère de désastre est plutôt réussie. Non, le problème est plus que c'est une comédie qui arrache parfois un sourire, guère plus (la faute à qui? un texte trop anodin, entre comédie bourgeoise et surréalisme? les acteurs qui surjouent et dont la diction n'est pas à la hauteur?). Relative déception, donc.
vendredi 14 octobre 2011
Le tour d'écrou de Britten à l'Athénée
Je ne sais pas pourquoi, mais c'est un des rares opéras de Britten avec lequel (jusqu'ici) je n'ai jamais accroché. Je l'ai toujours trouvé plus difficile d'accès que le viol de Lucrèce, par exemple, qui implique aussi un petit effectif dans la fosse. Je crois avoir finalement trouvé la porte d'accès avec cette représentation de l'Athénée. Une représentation très efficace du point de vue théâtral, avec deux fantômes bien incarnés et un petit garçon à la présence étonnante (la petite fille est comme la Fanny de Fanny et Alexandre, un personnage secondaire). Je crois qu'il est aussi utile de savoir que tout l'opéra est construit à partir d'un thème de douze sons (le tissage de deux gammes par tons, tout simplement) qui est traité en variations pour chacun des interludes, et joue un rôle important dans la dernière scène. Au personnage de Quint est associé le célesta et des vocalisations tournoyantes d'hypnotiseur (comme dans cette scène où le gamin répond avec des glissandi étranges). De façon générale, aux deux fantômes est associé un univers musical plus riche et flamboyant que celui des vivants. Un des grands plaisirs de l'oeuvre est la variété des situations dramatiques, de la bouffonnerie sinistre à l'effroi pur. J'ai été très impressionné par la scène finale (avec le thème sur une base de passacaille + un duo de violons délicieux dans l'aigü quand le gamin chante; la disparition de Quint et ses volutes parasoufies; et la chanson de Malo, en finale funèbre). Pour ceux qui veulent aller plus loin, l'article de Lord Harewood dans le Kobbé fournit une analyse détaillée vraiment remarquable.
vendredi 3 avril 2009
The rape of Lucretia, de Britten
Si vous n'avez rien de mieux à faire, il faut aller voir The rape of Lucretiace samedi à 15h au CNSMDP: c'est spectaculaire (on est de plein pied avec le chanteurs et les musiciens dans l'espace Fleuret), c'est très bien chanté, que des voix fraîches et puissantes (le coryphée homme, Cyrille Dubois ... magnifique), très bien joué (le Tarquin a une présence physique terrible terrible) et, ce qui ne gâte rien, c'est gratuit.
Il va falloir que je réécoute cette belle oeuvre que je découvre ce soir, en commençant par
le duo Tarquinius/ Junius, à l'acte I, véhément et théâtral
la bizarre chevauchée de Tarquinius: peut-être une montée du désir, mais aussi alors vraiment bancale, et interrompue par le Tibre, qu'il s'agit de franchir, comme le Rubicon.
la musique des femmes qui ouvre l'acte II
la grande chaconne qui suit la mort de Lucrèce, avec ces rythmes pointés (is it all?) qui s'évaporent.... (que je trouve plus sublime que la musique qui précède le récit de Lucrèce)
vendredi 20 mars 2009
Le drame affreux de la musique anglaise résumé en un seul morceau
.... ça commence en flamèches et pétarades .... et ça finit en tisane tièdasse.....
(sur ce coup-là ce n'est pas entièrement la faute de Britten, qui signe tout seul comme un grand la fulgurante introduction (jusqu'à 55") menant à la roupillatoire citation du thème de son vénéré maître Frank Bridge)
lundi 9 mars 2009
Sors, Hareng, sors! (Albert Herring, de Britten à l'Opéra-comique)
Du Great Britten (comme dit le chat). Une adaptation du Rosier de Madame Husson de Maupassant: l'histoire d'un fils à sa maman, choisi comme lauréat d'un prix de vertu en l'absence de candidate convenable (ben alors! les filles!) par les membres d'une sorte de ligue de vertu locale; mais ce prince Albert élu comme Queen King of May tourne mal et claque l'argent du prix en libations (heureusement hors champ). Intrigue un peu ténue, comédie à la fois triviale et réaliste (c'est une histoire d'épicier), mais pas dépourvue d'ambition et dans laquelle Britten a mis, je crois, beaucoup de lui-même (ce qui n'est pas nécessairement une garantie de réussite).
L'histoire d'une libération, donc, l'une des oeuvres les plus solaires, assertives de Britten, qui vient alors d'emménager avec Pears dans le Suffolk de son enfance, à Aldeburgh. C'est un opéra de chambre: orchestre de chambre réduit mais très virtuose, grande distribution vocale (13 solistes, une troupe au complet!). Sous-texte musical particulièrement riche, véritable festival d'opéra qui convoque Purcell, Mozart, Rossini, mais aussi Tristan et même Pelléas.
Tout le début a un petit côté opéra dans l'opéra avec une collection de mariolles gratinés, une diva sur le retour, une gouvernante pimbêche, une institutrice roucoulante et un maire qui chante à toute vitesse. Tout change avec Albert. Qui change lui-même grâce à un philtre concocté par un couple d'amoureux (qui lui veulent du bien); c'est avec la citation exacte de l'accord de Tristan que l'opéra quitte le registre de la comédie bouffonne pour retrouver une tonalité plus noire, plus existentielle. Le destin d'Albert se joue dans la deuxième scène de l'acte, avec un tirage au sort complétant l'effet du philtre (et on se souvient de l'effet de diversion d'un banc de harengs qui améliore un tirage au sort crucial dans Peter Grimes). Le dernier acte est celui de la vraie-fausse mort d'Albert et multiplie les références funèbres (grand air mahlérien de Nancy, grand thrène à neuf voix). Si la mise en scène tient à ramener Albert à la cave, la musique, elle, est pleine d'optimisme sur l'émancipation d'Albert....
4 extraits en bonus:
Quand il est question d'Albert, pour la première fois ... un moment que je trouve schubertien (à 50" du début), où le superintendant décrit Herring comme un garçon "aussi propre que les foins qu'on vient de couper".... à la fin de la piste, un ensemble un peu kitsch avec harpes et gloss où le vicaire chante la pureté:
le moment Tristan. Après les toasts et l'hymne, l'effet du philtre....(à 90")
le moment Pelléas: au début Nancy se sent coupable de ce qui arrive à Herring (rappel fugace du moment Tristan) mais, après un petit duo en canon avec Sid son amoureux, on passe aux choses sérieuses, comme dans Pelléas, les amoureux discutent de savoir s'ils doivent s'embrasser dans l'ombre ou la lumière: accords de neuvièmes qui finissent en glissando, comme dans un turboréacteur, réussissant à faire chanter les deux chanteurs à l'unisson....(ouf)
le thrène en forme de passacaille sur le texte de la Mort de la reine Mary de Purcell
lundi 10 décembre 2007
Gesang der Jünglinge
L'oeuvre mythique de Stockhausen (j'en rêve depuis longtemps, quel beau titre, l'oeuvre n'est pas enregistrée en CD, et pour cause, je ne l'avais jamais entendue), est écoutable ici (via Alex Ross).
La découverte du jour: les jeunes garçons de Stockhausen chantent des bribes du chant des jeunes hébreux dans la fournaise, au chapitre 3 du livre de Daniel (un texte que j'ai dans ma Bible papier et que je peine à retrouver sur le web, aussi bien en français qu'en allemand). Or ce texte est aussi celui qui a inspiré Britten dans The Burning Fiery Furnace, quelques années après Stockhausen. L'oeuvre la plus neuve des deux ... est sans doute encore la plus ancienne.