mercredi 17 novembre 2010
Mathis le peintre, de Hindemith
J'étais très excité à l'idée d'écouter un opéra de Hindemith que je ne connaissais pas et de voir un spectacle sur Grünewald et la Réforme, mais je dois avouer que je suis sorti un peu abruti et pour tout dire assez froid. C'est un spectacle très long, très (trop?) riche, avec du bon et du moins bon.
Les sept tableaux entremêlent les trajectoires d'un peintre qui quitte la peinture pour souffrir dans le siècle, d'un archevêque en manque d'argent qui hésite sur la conduite à tenir, celle d'une grande bourgeoise qui passe de la déception amoureuse au sacrifice pour la foi luthérienne. On est très loin du totalitarisme dans cette évocation des années 1520 où un vrai choix est possible, la trajectoire en zigzags d'Albert de Brandebourg (un vrai transformiste) est là pour le montrer. Py a choisi de tout aplatir en faisant des papistes des nazis, je crois que c'est un contresens qui rend certaines scènes incompréhensibles; même si Hindemith a pensé au nazisme dans la scène d'autodafé, la vision qu'on a maintenant de cette période, après la guerre, va bien au-delà de ce que Hindemith voulait dépeindre. Il y a d'autres facilités qui agacent, comme ces cages gothiques de bordel chic qui reviennent comme un tic chez le metteur en scène, et ces mouvements frénétiques de machinerie avec force svobodas dans la scène de guerre des Paysans (censés montrer la dérision d'une situation absurde?). Mais il y a aussi quelques scènes sublimes: le début, avec le making of d'une scène de crucifixion derrière un écran, ou la fin, où Mathis se dépouille dans une fosse de l'essentiel, quelques objets très simples comme un ruban rouge qui a déjà servi.
J'ai trouvé la musique parfois émouvante, moins sèche et sarcastique en tous cas que celle de Cardillac. Il y a du contrepoint (mais pas au kilomètre), des ensembles où plusieurs personnages disent des choses qui n'ont rien à voir sur la même musique. Mais aussi de belles idées harmoniques, par exemple dans les fanfares de cuivres dans la scène de guerre. Les scènes chorales sont fortes, et l'un des climax de l'oeuvre est le face à face entre Ursula Riedinger et l'archevêque - vocalité tendue, qui se résout dans une musique très simple. J'ai bien aimé aussi le début de la scène de tentation, avec son côté délices rhénans. Mais là encore (ce n'est pas vrai que de ce sixième tableau), la mise en scène est en dissonance par rapport à cette bonhomie souriante qui fait parfois le prix de la musique de Hindemith; même ce petit ange aux ailes rouges a l'air méchamment narquois.
Enfin, il y a Goerne. Avec lui le dernier tableau pourrait durer des heures, on ne s'en lasse pas. Il donne beaucoup de lui-même, on s'en rend compte au moment des saluts.... Mais je dois constater que ses choix de répertoire me laissent parfois froid (Eisler, maintenant Hindemith.....)
Ailleurs: Joël
jeudi 10 décembre 2009
Bach/Eisler par Goerne et alii au TCE
Comme il s'agit d'un concert, intéressons nous à la chorégraphie: le chanteur s'enroule en des torsades baroques (sur glauben, par exemple) ou manque de s'envoler, tandis que la violoniste a de très subtils mouvements de rotation (on dirait qu'elle est composée de plusieurs sphères de diamètre différents posées les unes sur les autres). Les autres musiciens sont assis, un peu chavirés par tous ces mouvements (et se raccrochent souvent à l'archet de la violoniste). Au fond, quatre chanteurs chantent sporadiquement un choral.
Du Bach d'abord:
* Der Friede sei mit Dir BWV 158: une cantate très courte avec un air de bravoure pour le violon solo - qui fatigue le baryton ("Welt, ade, inch bin müde") et, bien davantage, le choeur (qui chante, détaché du monde, un choral lointain)
* Ich will den Kreuzstab gerne tragen BWV 56: celle avec l'air à envol initial (Ich will den Kreuzstab...) et le mélisme accablé (traaaaaaaaaaaaaaaagen); et aussi un bel air avec hautbois solo.
* Ich habe genug BWV82: celle comme une symphonie en trois mouvements avec une immense aria existentielle pour commencer, une allemande-berceuse au milieu, et une gigue pour finir.
L'homme à la voix engorgée et assez grise enchaîne sans interrompre (c'est la permanence de l'expérience existentielle allemande) sur un cycle de Eisler, sept chants sérieux (avec orchestre à cordes). L'épilogue est sirupeux et raté, mais le reste est intéressant, parfois spectaculaire. Goerne (que je n'avais pas trop aimé dans le Hollywood Songbook, à l'auditorium du Louvre, il y a longtemps) est ici à son meilleur et chante cette musique avec une humanité bouleversante.
vendredi 27 novembre 2009
La belle Maguelonne, de Brahms
Au disque, je n'avais jamais fait attention à l'histoire, racontée hier par Eric Genovese, en français, une histoire dans laquelle s'intercalent les romances de Brahms: une belle histoire d'amour partagé et heureux; un voyage circulaire et une histoire d'appétit pour le vaste monde, interrompue un moment par un corbeau emportant trois anneaux attachés par un ruban rouge. Les deux premiers lieder sont un peu atmosphériques (notamment le second, qui doit être chanté à pleine voix) et mettent en place le décor; avec le troisième on rentre dans l'action, chacun des lieder qui suit décrivant les messages de Pierre à Maguelonne et la progression de l'intrigue amoureuse. C'est un Brahms solaire et enthousiasmant, avec une partie de piano magnifique et très riche - on est très loin de l'humeur dépressive des cycles de Schubert ou Schumann, il n'ya guère que trois lieder tristes (le 10, modulant et furieux, le 11, dépressif et décoloré et le 12, une magnifique élégie), tout le reste est particulièrement anticyclonique. J'ai eu l'impression de redécouvrir une musique que j'avais surtout écoutée au disque.... tout est très beau, mais c'est le n°8 qui m'a le plus frappé l'oreille, hier soir - avec son début équivoque rythmiquement, indémêlable, lourdement bémolisé ("Wir müssen uns trennen") et sa la fin, chantée pianissimo par Goerne, dans une ligne immense ("Senke die Zügel, Glückliche Nacht! Spanne die Flügel, Daß über ferne Hügel Uns schon der Morgen lacht!"). Fin de soirée joyeuse et impromptue: suis allé dîner avec S., que je n'avais pas vu depuis un an, une année pendant laquelle il a enchaîné un cycle schubertien complet (il mérite maintenant un grand cycle brahmsien, large et en majeur) et avec A (qui connaît bien BC et JM, quel petit monde).
(le n°8; ici, ce sont Prégardien et Staier)
jeudi 23 octobre 2008
Beaucoup de cor, et Goerne
Un très beau programme ce soir à Pleyel:
1) Schumann: Ouverture de la Fiancée de Messine. Une musique sombre, sous pression et plutôt variée, pour du dernier Schumann. Dans l'introduction lente, bizarres arpèges rapides aux altos.... ne débouchant sur rien.
2) Schumann: Konzertstück pour quatre cors. Du Schumann pur jus, à la fois virtuose et introspectif. Dans le 2ième mouvement: la densité de cors baisse (chômage technique pour #3 et #4). On met du temps à comprendre la pulsation, petit jeu très malin. Belle partie centrale frémissante et lyrique. Finale festif.
3) Mahler: Des Knaben Wunderhorn. Grand moment avec Goerne. Je prête attention aux paroles, pour une fois. Deux des poèmes sont de la critique musicale; celui avec les morues qui aiment le sermon, mais veulent rester morues; celui avec l'âne qui préfère les tierces du coucou au chant sophistiqué du rossignol. Le poème sur la vie terrestre est bouleversant et me touche plus que Urlicht, qui suit, avec son choral de cuivres (forcément rougeâtres) et sa forme bizarre (c'est ça le problème avec l'éternité).
lundi 1 octobre 2007
Goernelieder à Garnier
Hier soir à Garnier. Un concert moins excentrique qu'on ne l'avait espéré sachant que Pierre-Laurent Aimard en est le programmateur (il avait été question du Livre des jardins suspendus de Schoenberg). On retrouve avec émotion le grand le mieux-que-plantigrade le félin l'immense Goerne, avec au menu:
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un peu de Berg: l'adagio palindrome du concerto de chambre puis les lieder de l'opus 2, qu'on entend rarement. Le fil directeur des quatre poèmes est le sommeil, qui devient la mort dans le poème final, vers lequel converge tout le cycle, sorte d'opéra miniature, un mini Erwartung. Le premier lied est aussi très beau, avec un postlude au piano pour liquider les oscillations de la berceuse du début, que l'on retrouvera d'ailleurs à la toute fin de l'opéra miniature, après unStirb ! définitif. Le tout est très court, cinq-six minutes, pas davantage.
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beaucoup de Schumann: l'opus 35 (les Kerner-Lieder) et l'amour et la vie d'une femme. Dans ce dernier cycle, Goerne prend très lentement le premier texte, l'étirant jusqu'à la rupture. Mais j'ai été surtout impressionné par l'opus 35. Par son n°2, tout simple, strophique, l'histoire d'une fille qui a une crise mystique dans une cathédrale sous l'oeil effaré d'un garçon qui en est amoureux; dans les deux derniers refrains, le chanteur interprète successivement la fille (qui supplie qu'on la fasse nonne), avec une voix aigüe et extatique (miraculeux Goerne), et l'amoureux déçu avec une voix grave redescendue sur terre (et peut-être plus bas que terre). Et surtout par l'incroyable triade qui clôt le cycle. Stille Tränen, le grand théâtre des émotions, à la Ich grollle nicht, est suivi de deux lieder reprenant exactement la même musique, un peu décalée, blanche, au-delà des affects. C'est la fin du cycle, qui n'avance plus, le chanteur attend qu'un ange le réveille; le public fond, évidemment.
Vivement le prochain concert de la série (Moussorgsky Messiaen).
Quelques illustrations sonores dans la radio Lied.
dimanche 18 mars 2007
Goerne à Pleyel dans Schumann et Brahms
Vendredi soir.
Goerne (saurez vous le reconnaître sur la photo ci-dessus ? un indice: il est pourvu d'une glotte): une voix de velours, souple et chaude, des grumeaux et de l'air. Pas un poil d'afféterie: c'est plus Prey que Fischer Dieskau. On ne comprend pas nécessairement tout le texte, mais on s'en fout, tant c'est la ligne qu'on écoute. J'étais un peu comme un lapin médusé dans un champ magnétique (tous poils dressés), surtout quand Goerne confie à l'auditeur des douceurs comme Wie bist du, meine Königin(pour lequel il serait sans conteste une de mes voix d'Eros). C'était bien aussi de le voir bouger car on le voit bien dessiner la ligne musicale avec tout le corps (S. n'était pas d'accord).
Au menu, que du bon.... De Schumann, des lieder sur des textes de Heine (trois lieder isolés, dont le sublime mein Wagen rollet langsam, plus le Liederkreis op.24). De Brahms, les lieder op 32 et les quatre chants sérieux op. 121. Dans les Schumann (résolutions toujours retardées, révélations contenues dans les postludes du piano, alors que la voix s'est tue), j'ai été impressionné cette fois par le dernier chant du cycle, Mit Myrthen und Rosen (l'écriture du poème puis sa réception, au futur antérieur). Dans les Brahms, le texte souvent plat de von Platen (hum) ne vaut pas Heine. Mais ça redécolle avec l'Ecclésiaste et les trois premiers Chants sérieux (le dernier du cycle reprend les Epîtres aux Corinthiens, autre monde, autre tonalité). Le sommet du cycle, c'est ce troisième chant, où la musique (deux parties, l'une en mineur, l'autre majeur; ce thème en tierces descendantes, préparé dans le lied précédent, qui est renversé dans la deuxième partie - un cryptogramme qui s'entend très nettement, je trouve) se marie génialement avec le texte (la mort amère/ douce).
J'ai mis une petite sélection dans la radio Lied: dans le désordre, Fischer Dieskau dans l'opus 32 de Brahms et l'opus 24 de Schumann; Goerne dans Belshazzar (et d'autres lieder de Schumann, plus bas dans la radio); Fassbaender dans les Chants Sérieux.
samedi 14 février 2004
dingue de Matthias Goerne
Mercredi je suis allé voir l'Orchestre de Paris, pour la Symphonie lyrique de Zemlinsky. J'avais deux bonnes raisons pour çà; c'est une partition avec laquelle je n'arrivais pas à accrocher (et c'est toujours mieux d'essayer le live dans ces cas là); c'est l'oeuvre la plus célèbre de Zemlinsky dont j'aime tant les quatuors (notamment le 2ième), et Berg la cite, en bonne place, dans sa suite lyrique. En seconde approche, donc, c'est une oeuvre avec beaucoup beaucoup de notes, d'un style postromantique, mais raffinée comme celles de l'école de Vienne, et avec une pompe presque hollywoodienne pour évoquer l'Inde. On pense au chant de la Terre, mais autant je pense qu'il faut écouter le chant de la Terre comme une symphonie, en en suivant le fil de l'architecture musicale et en oubliant les voix, autant je trouve que la Symphonie lyrique gagne à être écoutée en lisant et comprenant le texte, très beau, de Tagore. Comme la première partie des Gurrelieder, c'est une alternance de lieder de voix d'homme et de voix de femme (avec avantage à l'homme qui démarre; 4 au baryton et 3 à la mezzo). Les deux premiers décrivent la montée du désir, les 2 suivants l'accomplissement, les trois finaux la rupture. Contrairement aux Gurrelieder, il y a deux sphères bien séparées et inconciliables pour l'homme (pour faire simple, le prince travaillé par la métaphysique) et la femme (qui est plus dans la séduction et l'érotisme), avec des musiques de caractère différents. Je pense que c'est cet aspect qui a dû motiver Berg dans sa citation de la suite lyrique (dont on connaît maintenant l'arrière-plan biographique). J'étais surtout venu pour Matthias Goerne. Il a grossi (il est presque bon pour le Bearsden:-) et il a une façon impressionnante d'extraire le souffle du torse, tout en utilisant l'ensemble du corps. Le résultat sonore est bouleversant, il a un grain de voix riche, jeune, et une diction subtile; une synthèse réussie de Prey et de Fischer-Dieskau. Je suis dingue (c'en est pathologique) de cette voix.