Match franco anglais ; à la mi-temps c’était mal parti pour la France, car Purcell (Didon, Fairy Queen) écrase de son génie Lully (Amadis). En deuxième partie, c’était plus équilibré entre Rameau (Pygmalion) et Haendel (Jephta, Semele). En bis, Where’er they walk de Semele, un air d’Acis et Galatée, puis de nouveau l’air de Pygmalion. Un concert contre le Brexit… ne partez pas, messieurs les Anglais !
Didon : ouverture à vagues, grande classe. L’histoire de la musique aurait pu s’arrêter après One charming night (« than a hundred lucky days…. than a thousand, thousand several ways »)
Pygmalion : Ouverture très excentrique, avec des sextolets rapides (6 et parfois 3 +3). Deux airs : un air à flûtes, et un air à silences et virtuosité haendelienne (Lance tes traits dans nos âmes, pris à toute vibure).
Grand art de Bostridge, français impeccable, tension et élasticité de la ligne, silhouette longiligne qui rappelle Cuénod. Concert très euphorisant.
samedi 24 mai 2014
Voiture balai
Pour mémoire, vu:
un concert Currentzis (Dixit+Didon) en 3D (pas sûr que la 3D soit un progrès, mais on a l'impression que tout ce qu'on avait entendu jusque-là est raplapla) avec un bis mémorable, a cappella (Indian Queen)
un Platée très drôle (Carsen/Agnew),
la générale de la production Sellars/Viola de Tristan (qui m'a hanté pendant les 15 jours qui ont suivi),
une Flûte enchantée Carsen/Jordan avec un beau Tamino,
un Stravinsky/de Falla de l'Opéra Comique oubliable,
un récital catastrophe de Michael Volle (opus 35 + 24, Beshazzar et Der arme Peter). Moins catastrophe qu'un récital mémorable de la sublime Fassbaender à Gaveau; mais je n'ai pas aimé, même en faisant abstraction des problèmes de voix, cette façon de surscénariser les piques des lieder de Heine (der arme Peter, Tragödie); très loin du voile merveilleux que met Goerne, par exemple dans l'opus 35 n°2.
... et une création de Julian Anderson, Thebans, à l'ENO. Trois tragédies pour le prix d'une (une aubaine; mais c'est peut-être un peu court pour un projet d'une telle ampleur, on a juste le temps de suivre les grandes lignes de l'action). Acte I: la chute d'Oedipe (qui correspond à Oedipe roi), "le passé" (50'). Acte II: Antigone ("l'avenir"), acte II (20'). Acte III: Ila mort d'Oedipe (qui correspond à Oedipe à Colone), "le présent" (30'). L'(unique) coup de force du livret est de placer l'histoire d'Antigone avant la grande scène de la mort d'Oedipe dans la forêt sacrée. Musicalement, les actes II et III sont les plus facilement caractérisables, le II par un flux de noires régulières figurant l'Etat policier de Créon, à laquelle échappe Antigone (une idée simple.... trop simple?), le III par une séquence des bruits de la forêt (je lis dans la note d'intention que c'est l'accélération de la musique du début de l'acte I).... mais le reste de l'acte est assez hétéroclite (la fin, avec l'aigü d'Antigone, n'est pas très convaincante). La musique de l'acte I est plus difficilement caractérisable, il y a beaucoup de texte. Oedipe est souvent associé à des volutes de clarinettes; le choeur intervient dans des chorals impressionnants. La musique de Tirésias (une basse qui ressemble à une vieille femme) est associée à des bois très graves. Un des moments réussis est une musique en microintervalles en descente lente, donnant une impression de délitement. C'est globalement une musique non thématique (ça nous fait des vacances). Au total, je suis moyennement emballé. En revanche, la salle de l'ENO, le London Coliseum, quel confort et quel rapport qualité-prix....
samedi 2 janvier 2010
(Lorraine nous hante)
Bonne année 2010 ! Beaucoup de bonheur, de swing et de musique.... à vous tous, lecteurs et commentateurs, réguliers ou occasionnels.
dimanche 22 novembre 2009
Allez, on remet sa perruque et on lève les jambes. Plus haut, les jambes!
Week-end strictement haendelien; je n'ai rien écouté d'autre que du Haendel en boucle, et c'est plutôt une bonne fréquentation. Je me suis interrompu cette après-midi pour voir de quoi ça parlait sur France Musique, mais j'ai pris peur quand ils ont parlé de Siberia de Giordano (OMG, il ya des gens pour s'intéresser à ça).
Haendel, donc ses vertus aérobiques (Sémélé, acte II): sautiller sur du Haendel m'a permis d'éliminer une succulente potée opportunément lorraine servie avec d'étonnants panais (le légume fashionista, cet automne)....
.... de tressaillir sur des triples croches bavardes (Israël en Egypte, Exode)....
(He spake the word, and there came all manner of flies and lice in all quarters / He spake; and the locusts came without number, and devoured the fruits of the ground)
(apparemment, les mouches et les poux asticotent seulement les violonistes alors que - OMG - les locustes s'attaquent aussi à nos gros amis les violoncellistes et les altistes)
(c'est qu'on apprend des choses, sur les blogs)
... puis de m'endormir du sommeil du juste (Sémélé, acte III)
(Leave me, loathsome light/ Receive me, silent night!/ Lethe, why does thy ling'ring current cease?/ Oh, murmur, murmur me again to peace!)
mardi 4 juillet 2006
la sélection haendelienne du mois
Ceci est aussi un bloc-notes : s'il y a bien une oeuvre où je me perds, c'est bien celle de Haendel. Dans ce déluge de musique, un nouvel objet de fascination: l'air Se pietà di me non senti du Jules César en Egypte. Un air sérieux, où Cléopâtre - ici, la Kozena sous la baguette de Marc Minkowski - craint pour Jules César. On y respire bien.
jeudi 20 mai 2004
Alcina, de Georg Friedrich Haendel
Je dois réviser mes préjugés les plus rances, à l'issue d'une année où j'ai vu Serse, Semele et, hier soir, le plus beau des trois, Alcina, qui m'a vraiment emballé. Un nouveau théorème d'existence: il y a bien des choses passionnantes dans les opéras de Haendel. Il faut ajuster ses anticipations, et accepter de s'installer dans la durée, à la fois sur le plan macro (hier: plus de trois heures de musique, hors entr'actes); mais aussi micro, chaque air da capo étant non-évolutif, sans surprise majeure une fois qu'on a compris quelle était son idée principale. L'action avance dans les récitatifs, chaque air représentant au contraire un état statique de la nature (un niveau d'excitation, comme diraient certains ;o)) de chacun des personnages de l'opéra.
Alors que Serse et Semele étaient plus protéiformes, Alcina est d'une tonalité générale mélancolique, très opera seria, relativement austère (peu de choeurs, pas de ballets, un seul trio, sinon que des airs solistes). L'histoire est simple; c'est celle d'une femme, Bradamante, qui vient, travestie en homme, rechercher son époux, Ruggiero, qui a succombé aux charmes d'Alcina la magicienne. En somme, une Léonore qui viendrait disputer son mari à une Maréchale magicienne. Le détail de l'intrigue est beaucoup plus compliqué; mais les travestissements, les simulations et la stratégie amoureuses sont au service du triomphe de l'amour vrai. C'est une méditation baroque sur le vrai, le faux, l'artifice.
Je prends note, avant réécoute au disque, de quelques grands moments, que je classe par ordre croissant de sidération:
1) le grand air de bravoure de Ruggiero (sublime Vesselina Kassarova, basses veloutées, phrasé impeccable, voix corsée, je n'ai eu d'yeux et d'oreilles que pour elle) au 3ième acte, orchestré avec des cors et des bois, en sol majeur, où il est question d'une tigresse et de sa tanière.
2) l'air au 2ième acte où Ruggiero feint de déclarer sa flamme à la déjà méfiante Alcina (alors que le sortilège a déjà pris fin); où il déclare "n'aimer que son idole" et ajoute en aparté "mais pas toi....", avec une intervention comique d'un duo de flûtes qui vient contrecarrer le discours aux violons, une équivalence musicale amusante du double jeu du personnage.
4) un aria dolent d'Alcina en la mineur avec violoncelle solo, au premier acte. Le personnage d'Alcina est absolument bouleversant. C'est une femme de pouvoir, amoureuse, qui sent que ses pouvoirs lui échappent. Haendel prend ça très au sérieux, et ne fait pas une seconde le malin....
3) l'air de Ruggiero au 2ième acte; le texte dit quelque chose comme "Vertes prairies, vous perdrez votre beauté". C'est une méditation cruelle sur le vieillissement, sur cette nature artificielle de l'île d'Alcina peuplée de ses anciens amants qui ont été transformés en rochers, en arbres et, par opposition, sur l'amour qui dure, au-delà des artifices, celui de Ruggiero pour Bradamante. La musique est d'une sérénité olympienne, d'un mi majeur lumineux (et rappelle l'aria magnifique qui ouvre Serse, le protrait d'un ...arbre) et forme un contraste saisissant avec l'amertume du texte.
5) le grand air d'Alcina au 2ième acte, air de douleur à 3/4, qui ressemble un peu à l'air du froid de Purcell, avec une partie centrale furioso, et retour à la dépression après... Saisissant.
Un mot de la mise en scène: pas de souliers à boucles hélas, mais quelques beaux moments (notamment les vertes prairies....) et surtout des très beaux éclairages et une bonne utilisation des volumes de la scène de Garnier.
Sinon, pour la petite histoire, les places au 2ième de rang des loges de côté à 10 euros qu'avait prises M, c'est un très bon plan; si on ajoute à ça qu'I, ma voisine préfére du RSO, à qui il arrive d'être ouvreuse à Garnier, nous a placés discrètement au fond d'une loge de face à l'entr'acte, je me dis que nous avons été bénis des dieux hier soir...
dimanche 1 février 2004
Sémélé, de Haendel
Grâce à B et sa Grenoble connection, j'ai eu la chance d'assister à la pré-générale de Sémélé de Haendel, la nouvelle production de Marc Minkowski et ses Musiciens du Louvre au Théâtre des Champs Elysées. C'est un spectacle excitant qui devrait faire un tabac.
En liminaire, je tiens à dire que j'ai plutôt des a priori défavorables contre Haendel, je ne suis pas de cette chapelle-là; en opéra baroque, j'aime mieux Rameau ou Purcell. Mais le goût évolue, et surtout, je suis devenu plus patient et plus positif, donc je suis prêt à aller écouter 3 heures d'arias da capo. Ma voisine Adèle, 2 ans, la fille du corniste à ce que j'ai compris, est restée nickel chrome sans dire un mot pendant tout le premier acte: j'ai atteint ce stade, le stade d'Adèle, avec juste un peu de retard.
J'ai un problème avec les airs à qui Kobbé décerne le label de tubes haendeliens; je me dis que le goût a dû évoluer depuis l'époque de lord H., l'immortel rédacteur du Kobbé. Ce sont de beaux airs (surtout "Where'er you walk", l'air de Jupiter, dont lord Harewood dit drôlement que sa "fraîcheur éternelle résiste aux traitements qui lui ont fait subir les amateurs"), mais ils sont tous du même caractère apollinien et impérial, plein de plénitude. Et ce que moi j'aime le plus chez Haendel, ce sont les explosions d'énergie, le côté sportif (le choeur "Happy, happy" à la fin où tout le monde se déshabille, c'est de l'aérobic), les airs de fureur et de vengeance, et puis la musique affettuoso, avec les legatos aux cordes, presque préromantiques... l'action, quoi. Avec Sémélé on est servis de ce côté-là.
J'ai trouvé l'histoire (inspirée des Métamorphoses d'Ovide) et le thème (l'hubris, chacun à sa place) intéressants. Comme le résume B, Sémélé se fait carboniser à cause de cette salope de Junon. Sémélé est une mortelle que Jupiter séduit et enlève dans un cercle magique au sommet du mont Citharon. Mais la jalouse Junon veut se venger et convainc Sémélé, en prenant l'apparence de sa soeur, d'exiger de Jupiter qu'il se montre dans son apparence divine; mais ce faisant, Sémélé se condamne à mort, sans le savoir. C'est un peu le thème de Barbe Bleue, et de l'éternelle curiosité féminine. Il y a un minimum de psychologie, et un peu plus de zoologie. Sémélé est présentée dès le début associée à une alouette, dans un air de virtuosité à roulades; dans cette veine, l'air de confrontation finale avec Jupiter est éblouissant (et m'a rappelé celui de la Folie dans Platée de Rameau). La musique traite parfois Sémélé comme une poupée victime (l'air du miroir), le jouet des coups du destin. La veine ornithologique est cultivée par la mise en scène, les deux méchantes (Junon et sa soeur) étant représentées comme des rapaces, avec des robes de cour à balai brosse genre Ménines.
D'un point de vue vocal, il y a un couple étonnant: mezzo/ contreténor, et c'est le seul qui marche... puisqu'ils se marient à la fin. Ces deux personnages ont exactement la même tessiture, d'ailleurs ils font un duo où ils roucoulent autour des mêmes notes. Tout le contraire de Sémélé et Jupiter (soprano/ ténor), aux timbres bien séparés.
Un personnage accompagne toute l'action, c'est Cupidon. Rock star androgyne, il utilise sa flèche de façon tout expressive ("New desire I'll inspire..."), mais petit à petit la flèche devient canne d'aveugle. Et à la fin, quand Sémélé se fait manipuler par Junon, Cupidon est devenu totalement aveugle.
Il y a beaucoup de belles idées de mise en scène, parfois de l'humour de potache anglais (genre Jupiter clope après avoir fait l'amour, ou le strip tease général de la fin de l'opéra). C'est parfois à la limite du raccoleur, mais on ne s'ennuie jamais. Minkowski est mieux dans l'énergie que dans le registre intime- les airs avec violoncelle obligé sont parfois assommants. J'ai particulièrement adoré le ténor (Richard Croft). Voilà, c'est un peu confus, pas très construit, mais le spectacle stimule l'imagination et mon envie de partager ce beau moment.