les Borodine jeudi, à décongélation lente. Mozart congelé et soporifique (le ré mineur; à part le 1er mouvement, ce n'est pas ma tasse de thé avec son côté comte-qui-fait-la-gueule; dans le 1, j'aime beaucoup la façon dont les triolets investissent et contribuent à liquider la fin du développement et la fin du mouvement). Tchaïkovsky à température ambiante, rare et pas trop passionnant (à part un choral pas vibré, très blanc). Pour finir, Borodine cuit à point: souple, vivant et chaud. Il faut dire que Borodine n'a pas son pareil pour escagasser le point G de l'auditeur (avec, par exemple, le ré suraigü du 1er violon à l'extrême fin: retour à la vie civile, liquidation précipitée des affaires du quatuor ?) (ou, dans un autre genre, le retour du thème du Notturno, à ***, les deux violons en canon, l'alto en frotti-frotta et le violoncelle en pizz: effet irrésistible sur nos nerfs déjà grandement ébranlés par le duo violon/violoncelle, juste avant)
les Arcanto, dimanche. Avec Queyras et Zimmermann, je m'attendais à de beaux graves, mais ce que fait la 1er violon est d'une élégance et d'une intelligence incroyables. Au programme, deux Schubert (le magnifique Quartettsatz et le quintette, que je crois avoir trop entendu et qui m'intéresse moyennement, comme je suis peu porté sur l'aérobic et/ou la mystique). Et surtout le KV464 de Mozart, qui est décidément une des oeuvres les plus intéressantes de Mozart (je suis sidéré par les pianissimos des Arcanto, par exemple dans le menuet, très contrapunctique, qui tend parfois vers le silence)
pour finir, le quatuor de Jerusalem. Mozart, KV589 (celui en si bémol avec le violoncelle en vedette; avec le trio du menuet au pouls qui s'emballe, comme à l'opéra). Janacek: le 1er quatuor (celui avec le finale au thème de Katia Kabanovna). Et, ce pour quoi on était venus, le Smetana de ma vie. Voilà un quatuor en pleine possession de ses moyens (qui sont immenses....)
samedi 31 décembre 2011
Le retour du refoulé
(il passe par la fenêtre, comme dans un mauvais vaudeville)
mercredi 19 septembre 2007
Janacek/Dvorak à Saint-Eustache
Fringale de musique chorale - et surtout, à vrai dire, de programmes jamais entendus (pour changer des inusables 4ième de Brahms ou de Schumann); je me rends compte que je n'ai jamais entendu les grandes oeuvres chorales de Schönberg, Janacek, Messiaen ou Xenakis autrement qu'en disque..... Ce soir à Saint-Eustache, beau programme comportant les deux psaumes slavons de Pärt, Notre Père de Janacek et la Messe en ré opus 86 pour choeur et orgue de Dvorak.
La grande réussite de la soirée, c'était ce Notre Père de Janacek, pour choeur, orgue et harpe (la harpe qui apporte la pulsation). Une oeuvre contemporaine de Jenufa, en 5 parties, destinée, à sa création, à illustrer des tableaux vivants.... Le Janacek des petites cellules, dès le début. Deux tableaux très agités: Donne nous notre pain quotidien - une prière de paysans priant pour la récolte et Délivre nous du mal, avec un thème d'orgue annonçant la grande cadence de la Messe Glagolitique.
Franchement déçu par la messe de Dvorak. Déjà, ce n'est pas du côté du texte que l'auditeur aura des surprises.... Pour la musique, je trouve que c'est difficile de trouver un moyen terme entre l'option extrême dépouillement (qui est celle des messes de Bruckner ou de cette éclatante réussite qu'est la messe de Stravinsky) et l'option éclatons-nous en oubliant le texte (qui est celle de la Messe Glagolitique ou des grandes messes de Haydn). Dvorak essaie bien de faire le malin tout en restant simple, le résultat est aussi peu convaincant que les icônes orthodoxes les plus récentes. Je suis resté perplexe devant ces modulations compliquées dans le Kyrie, ces torrents d'eau tiède dans le Credo, et n'ai été touché que par le Benedictus planant et les derniers accords, très simples, du Dona Nobis Pacem.
jeudi 5 juillet 2007
Palmer et Mackerras dans Katia Kabanova à Covent Garden
- Vertige de voir Mackerras diriger, lui qui a dirigé le premier opéra de Janacek en Angleterre en 1951, et qui a tant fait pour ce répertoire (par exemple, débarrasser Jenufa des trahisons imposées à Janacek). Depuis, et grâce à lui, l'Angleterre aime passionément Janacek.
- Reprise d'une production de 1994: très réaliste (il y a des vrais chevaux et des vraies croix orthodoxes) mais avec un décor unique très frappant: une sorte de tore sur lequel circulent les personnages, rappelant le cinéma expressionniste et évoquant irrésistiblement à la fois l'oeil du cyclone et la boue torrentielle du dégel russe.....
- Ce qui me déplaît dans Katia Kabanova, ce drame de la belle-mère ? La méchante (incarnée par lagrande Felicity Palmer) l'est trop; difficile de trouver des qualités à Kabanicha (contrairement à Kostelnicka dans Jenufa). C'est la sale bête type, elle n'est que nuisance et volonté de nuisance. Quant à Katia, elle est passablement allumée, et déjà dans un état grave au tout début de l'opéra (elle entend des voix et se prend pour un oiseau, ça finit mal).
- A vrai dire, je m'ennuie un peu dans les trois premiers tableaux; tout change avec le quatrième, la nuit d'été; après ce tableau-là, l'action accélère. L'acte de l'Orage (qui a donné son nom à la pièce d'Ostrovski) passe comme un éclair, la dernière scène concentre un nombre impressionnant d'événements (si on récapitule tout ce qui s'y fait et dit .....)
- Les grands moments de musique ? les quartolets dans l'introduction, aux timbales piano puis déchaînés.... que l'on retrouve au moment du serment de Katia. Et surtout la nuit d'été, cette fascinante musique nocturne avec le décalage si typique de Janacek, ici entre les deux héros maudits, en coulisse, en pleine extase romantique, et sur scène, les deux jeunes gens "sains", avec leur musique de jolie ballade populaire....
samedi 12 mai 2007
L'affaire Macropoulos à la Bastille
Revu l'affaire (enfin, la chose, la formule, le secret) Macropoulos. Anja Silja campait un monstre sacré, Angela Denoke est d'une séduction plus animale, directe. Une soeur (grand-mère ? aïeule ?) de Lulu, avec toute la ménagerie qui va avec : un King Kong, une jeune chanteuse en mal d'identification, comme dans All about Eve, des quinquagénaires fous d'amour. Le marché conclu avec Prus (à grands renforts de timbales) rappelle la brutalité de la scène du Tambour Major, dans Wozzeck. Makropoulos a plus d'excuses que Lulu tout de même: elle séduit pour une lettre un père et son fils (qui se suicide, au passage) mais elle a eu une affaire vraiment sérieuse avec leur arrière arrière grand-père
Elina ne s'intéresse - comme nous - qu'à la musique de 1827 et de 1585 (+ 16). Je lis (car je ne l'entends pas, je n'entends ici que du Janacek, du meilleur Janacek, le vieillard amoureux fou d'une jeune femme) que les fanfares du prélude figurent pour Janacek la musique de l'époque de l'empereur Rodolphe (Schütz ou Gabrieli ?). Mais quelle trace reste-t-il alors de la musique du contemporain de Pepi Prus, Ludwig van ?
Curieuse expérience d'auditeur, comprendre quelles situations illustre une musique déjà connue. On a quelques surprises. Je n'avais pas souvenir qu'à l'acte III, la révélation du secret se faisait sur une musique aussi acide (un thème de toccata entrelardé des éclats de rire d'une femme saoule). Cette scène conduit à une séquence apaisée, lyrique, par laquelle EM finit par accepter de mourir (car elle est grillée avec toutes ces manoeuvres grossières). Scène magnifique dans la mise en scène de Bastille, glissade dans une piscine froide, minérale.
lundi 30 mai 2005
De la maison des morts, de Leos Janacek
Une musique géniale.
Je pense que c'est une erreur de trop tirer le texte dans le sens de l'illustration du Goulag, de la lutte contre les totalitarismes. Cet opéra, c'est davantage Faits divers qu'une journée d'Ivan Denissovitch.... Oui, il y a la dépersonnalisation du bagne, la musique de l'acte I le dit avec éloquence. Mais le coeur de l'opéra reste ce corpus de récits de prisonniers, qui ressassent leur vie passée, leurs amours, la vie de province. Et dans cette histoire d'hommes, ce sont, comme dans Katia Kabanovna et Jenufa, des beaux portraits de femmes, en creux, qui font les plus beaux moments de musique (l'histoire de Louiza, celle d'Akoulinka, opéra dans l'opéra davantage que la pantomime de l'acte II).
Des trois récits principaux, je retiens au premier acte l'histoire de Louka Kouzmitch, dense et incroyablement violente (radio), qui rappelle Wozzeck que Janacek venait de découvrir. Le récit du IIIème acte, celui de Chichkov (Johan Reuter, magnifique), m'a le plus impressionné, C'est le plus long et le plus complexe. Celui d'un homme doublement humilié, un personnage qui rappelle le Laca de Jenufa (mais sans le happy end). C'est un bon à rien à qui un père ivre de fureur donne en mariage sa fille Akoulinka. Celle-ci a été déshonorée par un certain Filka Morozov, qui lui faisait la cour et a refusé de la demander en mariage en faisant croire qu'elle s'était donnée à lui. Pendant la nuit de noces, Chichkov se rend compte que Filka Morozov a menti, qu'Akoulinka est encore vierge. Il sort rosser Morozov qui lui objecte qu'il devait être ivre au moment de la nuit de noces. Chichkov finit par battre sa femme, lui demander pardon....et elle lui avoue qu'elle aime encore Filka Morozov. Chichkov finit par l'assassiner après l'avoir emmenée en charette dans la forêt. Ce long (plus de vingt minutes) récit cruel est raconté dans une langue imagée et chaude, à la Babel (tiens, il est d'ailleurs question de Tambov dans cet opéra, comme dans Cavalerie rouge.....)
L'un des fils rouges de l'opéra est le personnage de Goriantchikov, dont l'incarcération et la libération délimitent l'espace de l'opéra. C'est un personnage secondaire par le nombre de répliques mais crucial dans l'économie de l'oeuvre. C'est le seul prisonnier politique du camp, un personnage qui reste toujours non intégré (scène terrible de l'agression du jeune Tartare que protège Goriantchikov); c'est un double de Dostoievski le prisonnier. Le violon solo qui parcourt l'oeuvre (Janacek a recyclé de grandes parts d'un concerto pour violon qui n'a pas été écrit) dès l'ouverture est bien celui de l'idéal auxquels s'opposent les rythmes lourds caractérisant les chaînes. Vendredi, c'était José van Dam qui apportait son charisme, son épaisseur, sa classe à ce personnage pivot.
Le décousu chez Janacek: oui, mais c'est aussi une des forces de cette musique, cette alternance de plans qui se contredisent. C'est l'arme atomique anti-kitsch. Cet ivrogne qui interrompt par des "il ment" ce récit intime si sensible, c'est ce qui garantit que la sensibilité ne tombe pas dans la sensiblerie (un des mes sujets récurrents d'inquiétude....). Cela n'empêche pas Janacek d'organiser des entrées en résonance magistrales: la fin du récit de Louka Kouzmitch (à qui un militaire borné a presque arraché les oreilles) rentre en résonance avec la sortie de la salle de torture de Goriantchikov, par exemple; ou encore, toujours dans le récit de Chichkov, la coïncidence finale: Louka Kouzmitch n'était autre que Filka Morozov.....
Je m'aperçois que j'ai peu parlé de musique. Je voudrais recommander la lecture de cette excellente analyse de Pierre Michot, accessible et très pédagogique (un lien précieux, j'ai mis un temps fou à en retrouver l'adresse.....). Je garde en mémoire les quartes de ce thème du commandant, les dissonances du thème de la souffrance,
un motif lié à la torture dont je n'arrive pas à me débarasser,
la pantomime du second acte avec le pastiche d'élan graisseux à la Strauss, les choeurs d'hommes bouche fermée dans la fosse, les stridences des piccolos et l'incroyable force de la fin libératrice.
Vendredi, l'aigle noir n'était pas très réussi (une grosse peluche se transformant en un cerf-volant qui s'échappe à la fin de l'opéra), mais il y avait d'autres belles trouvailles visuelles: l'arbre noueux de l'acte I, la scène du petit théâtre de l'acte II avec ses têtes de morts et ses couleurs vives (pas d'accord avec l'ami Francis). La salle était à moitié vide (nous avons pris une place à 5€ à 19h !).
Je mets dans la radio le récit de Louka Kouzmitch à la fin du 1er acte, (le seul moment où la musique de l'ouverture réapparaît, comme le note Michot) et la fin de l'opéra avec la libération de Goriantchikov.
lundi 19 juillet 2004
loge présidentielle à Garnier
Hier soir, concert au Palais Garnier avec A***.
En première partie, que nous avons passée à l'amphithéâtre haut, le château de Barbe-bleue, de Bartok, un de mes opéras préférés. Une musique dépressive pour l'éternelle histoire des couples. Hier, ce que j'ai trouvé très beau :
la montée de la tension avec la ligne en quartes des violoncelles au début
la première porte (les instruments de torture) avec ses dissonances
la façon dont l'ambiance musicale de chaque ouverture de porte est corrompue par des dissonances (précisément au moment où le texte parle de sang)
la cinquième porte où l'orchestre sonne comme un orgue, avec les accords parfaits comme dans la cathédrale engloutie....un texte troué d'interventions de Judith, a cappella, voix blanche, dans une tonalité éloignée, en réponse à la démonstration de puissance de Barbe-bleue.
Très bel orchestre; mais je n'ai pas été emballé par les voix (Ramey avec son vibrato hyperlarge....bof). Je reconnais que je suis intoxiqué au dernier degré au disque sublime avec Varady et Fischer-Dieskau, le couple idéal pour chanter cet opéra. J'en reparlerai le jour où je me déciderai à mettre de la musique en ligne.
En deuxième partie, la Sinfonietta de Janacek, un autre chef d'oeuvre absolu. Nous avons croisé à l'entr'acte l'inénarrable I, ouvreuse à Garnier dont j'ai déjà parlé; d'un coup de baguette magique, elle nous a placés dans la loge présidentielle, qui était exceptionnellement libre ce soir... Quel choc....on avait l'impression d'être à l'intérieur de l'orchestre. Avec Janacek, c'était une vraie fête, avec ses fanfares, ses petites cellules qui prolifèrent, ses contrastes de timbres et ses ruptures de discours.
A*** et moi avons eu l'oeil attiré par ce qu'on ne voit habituellement pas, les clins d'oeil entre instrumentistes (on dirait des blogueurs), l'écoute réciproque (les sourires en coin des altistes quand les violoncellistes ont un trait injouable .....), la précision qui manque aux amateurs (le fait de vérifier très discrètement sa note avant de jouer....), en bref le plaisir du jeu. Un TRES grand moment de musique....
dimanche 18 juillet 2004
L'affaire Macropoulos, de Leos Janacek
C'était samedi dernier au Deutsche Oper. Triomphe de la mythique Anja Silja, à peine plus jeune que son personnage (337 ans....) qui n'arrive pas à mourir, diva odieuse. Grande classe, voix en bonne forme pour le grand solo du troisième acte sur l'approche de la mort. Pour ceux qui ne connaissent pas, AS, c'est un mythe, entre autres pour moi la Marie de Wozzeck dans l'enregistrement de Dohnanyi....
Il y a deux histoires dans le livret: la première est la plus apparente, c'est celle du contentieux entre les descendants d'un M. Prus et d'un M. Gregor, dont l'issue va décider de la ruine de l'un ou de l'autre; l'autre, c'est celle d'une cantatrice qui va jouer un rôle décisif dans la résolution du dit litige, et dont on comprend à la fin de l'opéra qu'elle est sur le point de perdre l'immortalité. L'idée un peu paradoxale du texte de Capek: l'immortalité ne permet plus de goûter de la vie.
Difficile de ne pas penser que cette cantatrice a acquis ses pouvoirs d'immortalité à l'époque de l'Orfeo de Monteverdi. Propos "conservateur" de Janacek: il y a encore beaucoup de musique sensible à composer, pour prolonger le bail du genre opéra....???
Janacek voit le personnage comme tragique, fait conclure l'opéra par un "Vater unser"; curieusement, c'est presque un opéra plus religieux que la très dyonisiaque messe glagolitique.
L'acte II fait très années 20, annonce Lulu. Les admirateurs de E. M. peuvent se suicider, elle n'en a rien à cirer.