Je rappelle les règles de notre grand jeu-concours de ce soir, il faut:
- avoir 29 ans
- écrire au sein d'un quatuor en la, un mouvement à variations en ré majeur, mouvement qui fera l'ojet d'un vote du jury !
Qui ( roulements de timbales, majas desnudas, averse de gloubiboulga) de nos deux candidats de ce soir, Ludwig v. et Wolfgang A., va l'emporter ?
Alors là, j'arrête tout de suite, dans mon souvenir - car ce grand jeu a déjà eu lieu, c'est du différé, je dois bien l'avouer- le jeu était équilibré, Ludwig s'en sortait plutôt bien, le mouvement lent de l'opus 18 n°5 tenait la route par rapport à celui du KV 464. Et bien, je dois dire que, tout bien réécouté, avec mes oreilles d'aujourd'hui, je dirais maintenant que Wolfgang sort nettement vainqueur de notre grand jeu-concours.
La comparaison n'en reste pas moins très instructive sur les deux musiciens, écoutons donc.
Commençons par le Mozart: c'est le le 3ième mouvement du 18ième quatuor K464 daté de 1785.
Déjà, le thème est magnifique; élégamment asymétrique (8 +10 mesures), avec du relief, des chromatismes subtils, un équilibre rythmique étonnant avec cette formule entourée ci-dessous qui installe un contretemps qu'il faut résoudre, qui revient telle quelle une deuxième fois et crée carrément la surprise (forte subito). On la retrouvera plus tard (héhéhéhé), je n'en dis pas plus ici (teasing.....).
- 1ère variation (à 1'28"): c'est le 1er violon qui tricote (vite et bien) son fil rouge autour du thème. C'est une variation dite ornementale, dans le jargon.
- 2ième variation (à 2'56'', logique): le fil rouge passe au 2nd violon, du coup ça chante, ça respire.
- 3ième variation (à 4'16", c'est implacable): des dialogues, par blocs; ça se détricote, ça se détend, parce que plus tard, il faudra bien reconverger.... (manoeuvre subtile !)
- 4ième variation (à 5'44"): ré mineur. Des sextolets de doubles que l'on s'échange entre musiciens de bonne compagnie. Les rythmes pointés de la dignité outragée. Donna Anna, quoi. Au fond je n'aime pas beaucoup ce drame un peu factice (beurk, de l'opéra).
- 5ième variation (à 7'25") retour au majeur, avec une musique pleine d'effusion chromatique, chaude et contrapunctique à la fois. Je craque, je fonds de bonheur (enfin, il faudrait choisir).
- 6ième variation (à 8'44"): sur un rythme militaire au violoncelle, les 3 autres cocos complotent ensemble, mezza voce, à l'intérieur du chaudron.
- 7ième variation (coda, de 10' à la fin) : le rythme militaire s'élève progressivement d'instrument en instrument vers un la cadenciel, qui ne demande qu'à être résolu. Le thème est réexposé à 10'47", écoutez bien, on suit la phrase du début jusqu'à la formule magique que j'ai entourée dans le thème, qui se révèle être un raccourci pour conclure, en évitant le centre du thème (à caractère centrifuge si vous me permettez cette contradiction). Presque aussi énigmatique que la fin de l'opus 111 avec ses décélérations.
Passons maintenant à Beethoven avec son opus 18 n°5 en la de 1799. En fait, il a lu, aimé et recopié le quatuor KV 464, et il y a pensé, manifestement, en écrivant ce beau mouvement lent. Même s'il a moins d'expérience que Wolfie au même âge, ce n'est tout de même pas un poulet de l'année: il a déjà derrière lui des sonates pour piano, des trios.
Déjà le thème: il est tout simple, tout carré, c'est du 2*8 mesures, sans chromatisme ni relief tourmenté. Un thème-prétexte, comme souvent chez B.
- variation 1: Pas inconscient, Beethoven sait bien que son thème est nul et qu'il faut intéresser l'auditeur. Alors il écrit une variation avec beaucoup de caractère et d'humour, avec une succession de têtes baroques rigolotes. C'est une solution logiquement différente de celle de Mozart qui aime tellement son thème qu'il en respecte la lettre en se contenant de lui mettre du persil dans les naseaux (du moins, dans cette première variation).
- variation 2: le moment de bravoure (relative) du 1er violon (en sextolets; ça accélère et c'est une marque de fabrique de Beethoven de varier la pulsation de base: voir encore l'opus 111, c'est différent de Mozart qui garde son fil rouge rythmique inchangé). Rien à faire, un violon 1 qui fait le coq, ça me fout en boule.
- variation 3: accélération rythmique, clapotis du 2nd violon. Me touche surtout l'alto, qui, idéaliste tendance grave, chante un monde meilleur, au début de la seconde mi-temps.
- variation 4: variation mystérieuse, pianissimo, avec des successions d'accords qui s'animent de façon imperceptible. Ces enchaînements chromatiques frappent davantage l'imagination que ceux de Mozart car on ne les a pas entendus avant (c'est une bonne idée de Beethoven, ça)
- variation 5 (6'44"): Bastringue ! c'est la fête à Neuneu. M n'a pas tort, Beethoven c'est vulgaire. Mais que c'est drôle de voir ces marquises sauter sur leurs réveille-matin qui font dring....
- variation 6 (7'56"): bifurcation en si bémol une modulation, retour à ré.....cadence et thème déconstruit, liquidé. Ressemble étrangement à la fin du Mozart, en moins excitant je trouve.
Récapitulons: chez Mozart je trouve plus réussis le thème, la variation 2 (celle qui chante qui respire et qui palpite), la variation 6 (le complot sous contrainte militaire) et 7 (la fin, sublime). Mozart, 4 points.
Chez Beethoven, j'aime la variation 1 (son esprit "je casse tout"), la 3 pour l'idéalisme, la 4 pour les complots chromatiques. Et j'enlève un point à cause du bastringue. Beethoven, 2 points.
4 à 2 pour Mozart: c'est (presque) sans appel, non ? Enfin, dans la catégorie, thème et variations en ré majeur, compositeur de 29 ans....