La carrière criminelle d'une femme qui s'ennuie, dans le district de Mzensk. La mise en scène encage l'héroïne dans une boîte à chaussures au plancher rose chair (vite souillé), îlot sur un plateau de terre battue délimité par une palissade qu'il sera finalement impossible de franchir. Musique mi-hystérique mi-catatonique, du Chostakovitch bien vert qui agace les gencives avec 100% d'acidité. Collection de pastiches et de grotesques, avec un goût pour le brandebourgeois déglingué (sur le modèle de la 2ième symphonie) - le contrepoint strict figurant invariablement la tension érotique (pas sûr que le grand Jean-Sébastien aurait aimé). A de rares moments, la musique se calme et les personnages deviennent autre choses que des pantins de grand-guignol; pendant cette berceuse zoologique (le poulain cherche la jument) un peu triste qui revient dans au moins deux tableaux; pendant la grande déploration orchestrale qui suit le meurtre du beau-père; pendant une scène d'amour un peu calme (en fa# ?) juste avant que le mari ne revienne; et surtout à la fin, dans cette grande scène si russe de bagne, avec le tic tac lugubre de la marche des forçats dans la steppe et le cri de Katerina, figuré à l'orchestre.
Schönberg + George et Webern à l'amphithéâtre de la Bastille
Mardi soir, à la Bastille, programme de classiques viennois: un tube-que-tout-le-monde-chante-sous-la douche (le 2ième quatuor de Schönberg), une oeuvre-célèbre-mais-jamais-jouée (Le livre des jardins suspendus, de Schönberg sur des poèmes de George) et des zakouskis de luxe (les 6 pièces pour piano op 19 de Schönberg entrelardées des 5 pièces de l'opus 5 de Webern - qu'on peut entendre ici dans la version du quatuor Thymos (oui, avec un transfuge des Diotima, qui n'ont presque plus personne d'origine), qui jouait mercredi, et puis trois des bagatelles de l'opus 9 de Webern, dans une version avec voix).
Forte cohérence: ce sont toutes des oeuvres des années 1909-1911, cette période de transition féconde entre toutes, des petites formes (mais en grande forme) avec l'apport de la voix.
J'étais très intimidé par le livre des jardins supendus, que je croyais aimer aussi peu qu'Erwartung (eh oui, personne n'est parfait). Alors un bon conseil pour ceux qui veulent plonger dans cette musique foisonnante: se trouver une bonne traduction des poèmes de George, qui ne sont pas si compliqués mais qu'un germaniste fatigué comme moi a un peu de mal à lire. La traduction canonique, celle de Max Deutsch et Cassou est très belle mais un peu éloignée du texte, celle publiée dans le programme en avant-première (de Ludwig Lehnen, qui sera publiée aux éditions de la Différence) est beaucoup plus utile car elle colle bien au texte. C'est important car j'ai l'impression que Schönberg, d'une façon plus modeste qu'on le pourrait imaginer, a souhaité illustrer de près ce texte; chacun de ces courts poèmes (une strophe) est caractérisé par une ambiance, un mouvement, une assonance - au sein d'une grande idée d'ensemble qui est une histoire amoureuse d'un couple dans un jardin, celui de Sémiramis ? approche puis détachement, mais dans une atmosphère beaucoup plus douce que celle d'Erwartung ou des Gurrelieder. Il faudra que je réécoute (chic, Fassbaender l'a enregistré - normal, elle est vraiment trop forte) mais je garde un souvenir fort du n°1 (avec ses figures énigmatiques de tierce et neuxième au piano), le n°6 (ou tot rime avec wenn der kalte klare morgen droht), du n°11 (un point bas de densité), et le dernier, travaillé par des accords tonaux (la tonalité comme couleur conclusive, comme dans le 2ième quatuor?).