Une symphonie clé dans l'oeuvre de Sibelius, qui date de 1910-1911, une période de rupture dans le discours, comme pour Schoenberg ou Mahler. Une symphonie que j'ai longtemps trouvée dure à cuire et à digérer, un peu comme les deux sonates violon et piano de Bartok que j'ai longtemps détestées avant de les trouver indispensables à l'écoute. Ne pas se laisser impressionner par une première écoute.... Ce qui peut décourager dans cette musique peut aussi finir par plaire: l'austérité du propos, le sérieux des mouvements lents (n°1 et 3), la fuite à la lisière de la tonalité, la couleur sombre dans les graves, le goût pour la monodie, le fonctionnement à l'économie. Mais c'est sûr, avec ce Sibelius-là on rigole moins que chez Haydn.
Ces notes prises après avoir remis le nez dans la partition sont un guide d'écoute du premier mouvement (ici dans la radio), sans doute trop technique et je m'en excuse d'avance. Je suis un peu frustré par la plupart des commentaires que j'ai lus, qui n'insistent que sur la modernité de cette symphonie, l'omniprésence du triton. C'est vrai mais c'est réducteur. C'est l'oscillation entre tonalité et atonalité, le jeu sur leur frontière qui est le véritable moteur de cette musique.
Ce que je comprends de la forme: c'est une forme sonate en deux volets (4'58" étant le pivot). Avec un mouvement harmonique, dans la première partie, d'un mélange de gamme par tons et de la mineur (c'est une symphonie "en la mineur", écrit Sibelius) vers un fa# majeur qui joue le rôle de la dominante dans la sonate classique; la deuxième partie revenant au mélange de la mineur et d'atonalité du début. Et dans chaque partie, une phase centrale d'"action", un peu alchimique et mystérieuse, permettant la transformation d'un matériau indistinct en un matériau polarisé et ordonné (résolu, on dirait en termes de langage sonate)....
Le matériau du début (a), exposé dans les graves (ambiance de Pelléas dans les souterrains):
do-ré-fa#-mi, sans polarité tonale, expose un fragment de la gamme par tons (rappel: la gamme par tons est cette échelle qui, transposée ou translatée comme vous voudrez, ne change pas). L'intervalle maximal (do-fa#) est précisément ce triton qui coupe l'octave en deux; et annonce aussi le trajet du do liminaire vers le fa# majeur qui conclut la première partie. Un tortillon de gamme qui finit par osciller, en ralentissant, sur fa#-mi. Première source de désarroi de l'auditeur: quel est donc ce matériau qui se torpille tout seul, qui n'arrive plus à avancer ?
Ce matériau prend son sens superposé à un solo de violoncelle (à 39", mesure 6), qui définit un autre espace, tout en prolongeant le précédent : sol#-la-do-mi définit clairement la mineur (l'accord parfait) tout en prolongeant la gamme par tons (sol# succède à mi-fa#).
Ce thème de violoncelle solo est plus folklorisant, moins naine blanche que celui du début. Je l'appelle thème par tierces (b), puisque il énonce des tierces liées par deux. Il finit par se démultiplier et se combiner avec la gamme par tons.
A 2'27, coup de tonnerre, coup de semonce des violoncelles: fa#, superposé à do# (totalement étranger au discours précédent) annonce fa# majeur. On rentre dans une phase d'action que l'on pourrait appeler "Les Temps aventureux" (parce qu'en ce moment on voit du Graal partout), avec des événements très repérables: une montée chromatique avec des soufflets aux cuivres (2'29" puis 3'03"), commentées par une transformation du thème (a) aux violons (2'41" avec le triton bien repérable puis 3'15"), un appel de chasse aux cors (3'29" puis son écho) et une fanfare à la Parsifal (3'45"). On conclut à 3'52" sur le thème en tierces (b), en fa# majeur A 4'26", retour du thème (a), apaisé, ayant perdu sa charge d'atonalité....mais la retrouvant.....
Ce qui suit est une section de développement très stricte autour de (a) (la gamme par tons) et (b) (les tierces majeures, forcément), de plus en plus fiévreuse. Autant le début ralentissait, autant ici on accélère, on détimbre, on désincarne et on file dare-dare vers le néant.
A 7'15", retour des Temps aventureux, avec la même séquence d'événements (par exemple, fanfare à la Parsifal à 8"00) décrite à 2'29", mais en la majeur. Retour de la belle séquence en la majeur à 8'10", qui réexpose les tierces: (a) affadi puis revigoré, mais sans triton: mi-fa#-la-sol.
Conclusion incroyable: Sibelius concatène la formule du début (do-ré-fa#-mi) à une formule finale qui réintroduit le triton (mi-fa#-sib-la). Les dernières notes exposent toute la gamme par tons (do-ré-mi-fa#-sib) moins sol# remplacé par la..... La boucle est bouclée: Sibelius a réussi à résoudre son mouvement dans cet hybride de tonalité, mi gamme par tons mi la mineur. Et réussi à rester dans l'ambigüité, jusqu'au bout