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zvezdoliki
26 décembre 2007

Mais que font les harpes dans Les Harpes ?

 

 

C'est la question qui m'accable en ce moment, à laquelle je ne suis pas sûr d'avoir de réponse. Je veux parler du 1er mouvement du quatuor opus 74 en mi bémol de Beethoven (un de mes morceaux préférés, depuis longtemps), et du petit moment magique où deux instruments relaient des pizzicati sur une grande amplitude, donnant l'illusion d'un gigantesque instrument à cordes en train de jouer comme une harpe. Ce petit moment magique, qui a tant plu aux contemporains qu'ils ont fini par donner à ce quatuor le surnom des Harpes, revient quatre fois:

- d'abord dans l'exposition (à 35), une séquence en deux phrases, la première aux cordes graves, stable harmoniquement (affirmant clairement mi bémol), la deuxième aux cordes aigües, modulante: on file vers si bémol. Déjà là, problème, ce moment dont on aimerait pouvoir dire que c'est le thème principal de la forme sonate manque de sa caractéristique principale, la stabilité. On se demande quel est le statut de ce passage des harpes par rapport aux dix mesures qui précèdent, qui sont elles aussi en mi bémol majeur, mais marquent moins l'oreille, comme c'est souvent le cas chez les classiques (en fait c'est tout cet ensemble y compris les harpes qu'il faudrait appeler premier thème, mais c'est une autre histoire).

- Ensuite, à la fin du développement (à 125). La réapparition des harpes fait suite à une raréfaction du discours (sur fond d'agacement chromatique). Les harpes reviennent, cette fois-ci sur trois instruments, donc avec une amplitude accrue, sur fond stable et tenu: c'est comme une regénération du discours, un renouvellement qui mène à la récapitulation. Effet maximal.

- Occurrence suivante, dans la récapitulation (à 153): c'est comme la première fois, mais deux fois plus long; on reste cette fois dans l'instabilité, le détour est long pour revenir en mi bémol majeur.

- Dernière apparition à partir de 221, la plus bouleversante, à la fin du morceau. Beethoven aurait pu arrêter le mouvement quelques mesures plus tôt, mais il reste des choses à résoudre et un accord crée le drame. Sur fond de profil batailleur du premier violon (qui entretient l'émotion), les harpes apparaissent, en vraie diva d'opéra. Et accompagnent une des mélodies du premier thème (celle avec levée instable, qui se duplique). La dernière occurrence des pizz intervient à la toute fin, dans un mouvement convergent et non plus divergent. Tout est résolu.

Alors, ce passage des harpes ? Sans doute pas LE geste central du mouvement (qui est riche de matériaux très variés dont le fil unificateur est peut-être quelque chose d'aussi ténu que cette sixte descendante que l'on retrouve à la fois au début de l'introduction lente, dans le thème à levée du violon à 27 ou dans le motif des harpes) mais un levain transformateur qui souligne les moments-clé d'une forme sonate vivante, l'instrument du barde au sommet de son art......

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30 novembre 2007

En blanc et noir

Une oeuvre de Claude Debussy, en 1915.

 

Sans doute l'un des Debussy que je préfère, c'est difficile d'écire dessus, cette musique file plus que toute autre entre les doigts.

Plein de fausses pistes: En blanc et noir suggère quelque chose de tranché(e), alors que cette musique est indécise, pleine d'humeurs, schumanienne, gongorienne, baroque en diable: le gris de Vélasquez plutôt qu'un blanc et un noir bien contrastants. La dédicace au lieutenant Charlot (" tué à l'ennemi "), la frénésie chauvine de Debussy à l'époque de la composition pourraient laisser imaginer que c'est une oeuvre de guerre, une machine contre les Boches (comme la bataille du lac Peipous dans Alexandre Nevsky de Prokoviev), mais même le second mouvement où l'on trouve directement le théâtre des opérations est traversé de moments hédonistes; et ce tombeau est entouré de deux caprices, l'un solaire, l'autre lunaire. Les citations épigraphes laissent imaginer une musique à action, à programme, mais quel programme ? (1- la Belle Epoque; 2- la Guerre; 3- l'après guerre ?). Le Debussy de cette époque est travaillé par le retour au XVième siècle, et on entend de la monodie, de la chanson française ancienne dans En blanc et noir, mais c'est aussi une de ses musiques les plus modernes, l'une de celles où il renouvelle le plus complètement la notion de forme. Une musique écrite par quelqu'un qui se sent au bout du rouleau (“Alors j’ai écrit comme un enragé, comme quelqu’un qui doit mourir le lendemain matin” écrit Debussy dans une lettre du 14 octobre 1915) alors que ce qu'on l'entend est tout neuf, plein d'énergie vitale.

Premier mouvement dédié "à mon ami A. Kussewitsky" (en fait c'est bien Serge, le chef d'orchestre). La citation de Barbier & Carré "Qui reste à sa place / Et ne danse pas/ De quelque disgrâce / Fait l'aveu tout bas" renvoie au théâtre (des opérations) et à la danse; ça valse ! La musique sonne comme une étude sur les hémioles (la division de deux mesures à 3 en 2+2+2) et les accords de sixte (comme dans les Etudes: ces accords sont partout, on ne s'en rend pas compte car ça ne fait pas système). J'aime la première apparition des appels de cor qui prolifèrent partout (à 2'50"); le moment où les deux pianos sont à l'unisson, comme une bombarde bien ethnique (à 1'53"); le tuilage avec ce qui suit (très décadent) et ce qui précède (une valse qui s'essouffle) est particulièrement succulent. Tout le mouvement baigne dans un do majeur euphorique, dans une atmosphère de tourbillon Belle Epoque.

Second mouvement (à 3'58" dans l'enregistrement ci-dessus); dédié "au Lieutenant Jacques Charlot tué à l'ennemi en 1915, le 3 mars". C'est à ce même lieutenant Charlot, le cousin de l'éditeur Durand, que Ravel dédiera le Prélude du Tombeau de Couperin, plus tard. Le début est une musique inouïe: on tend l'oreille, on perçoit un tortillon en tierces, chromatiques, pianissimo qui descend, interrompu par un glas, un do asthmatique, rythmique qui jure affreusement mais pianissimo, puis un grand accord dissonant qui fait clash et n'empêche pas le glas sur do de continuer. Il se passe ensuite des tas de choses dans cette première partie très calme, on entend entre autres un chant populaire, mais complètement décoloré, tout blanc, en do majeur sur un fond de sol#, puis une séquence qui évoque la Terrasse des audiences au clair de lune (en ré, à 5'27") .... A 6'58, changement de climat, c'est la guerre qui approche (en mi bémol): le do rythmique du début envahit tout, au-dessus on entend un thème agité, en secondes (comme un bruit de ferraille mat), puis la lutte entre des bribes du choral Ein Feste Burg ist Unser Gott et un motif plus gallican. A 8'25", ça tourne bien, on passe en mi majeur. A 8'45", Debussy signale le retour du mouvement du début. La musique se calme, cite les épisodes de la première partie, dans un écrin monumental qui m'évoque Stravinsky, avec ce sol-do-mi-mi-do de monument aux morts, sur des accords acides, un soleil d'hiver, de désastre.

Troisième mouvement (à 10'32") dédié à Stravinsky (celui de Zvezdoliki, sans doute) un caprice, une musique lunatique ("Yver, vous n'este qu'un vilain"). J'aime particulièrement toute la fin, et notamment ce passage à 14'16'' où un air diatonique se superpose à un trille cafardeux, en gamme par tons. Il faut vraiment un effort d'imagination pour comprendre que l'on est en ré mineur....

23 septembre 2007

Quelques clés pour se repérer dans le château (Ariane et Barbe-bleue, de Paul Dukas)

Add du 24/09: j'ai rajouté dans la radio de très larges extraits de l'opéra (tout l'acte I, la fin de l'acte II, le prélude de l'acte III et le début de la scène des adieux)

Attendu que

  1. j'ai de nouveau une vision d'ensemble de l'oeuvre après l'avoir vue vendredi (et que ça ne va pas durer)
  2. je suis infoutu de retrouver mes notes de cours d'analyse des années 80
  3. je me suis replongé dans la partition,

voici ce que je crois comprendre de l'opus magnum de Dukas et dont je veux garder la trace car ça m'évitera de réinventer l'eau tiède quand j'aurai tout oublié.

Dukas thèmes A et B: Ariane est un opéra à leitmotive (comme Pelléas, comme le Ring) mais resserré sur un petit nombre de thèmes qui apparaissent tôt dans la partition et irriguent les trois actes. Si Barbe bleue ne chante pas grand chose par rapport à ses femmes qui ont les premiers rôles, à l'orchestre, c'est une autre distribution des rôles; l'opéra commence avec deux thèmes associés à Barbe-Bleue; le premier ressemble à son château (deux octaves descendants se succédant)

et le second est un thème-catastrophe, en chute libre (couleur gamme par tons).

A Ariane sont associés (au moins) deux thèmes importants. Le premier, héroïque, sera varié dans la séquence des portes/couleurs/bijoux (on peut l'appeler Ariane lumière). Il apparaît aussi avec une rythmique désamorcée (que des noires à 6/4, dans la séquence centrale de l'air des diamants) et figure alors une Ariane calmée, arrivée à ses fins, que l'on retrouvera à la fin de l'acte II.

Le second est un thème de mouvement (Ariane tête chercheuse; on pourrait l'appeler le thème va chercher, Bergotte). C'est lui que l'on entend, tous trombones déployés, au début du second acte, un acte où l'on a bien besoin de ce carburant pour retrouver la lumière du jour.

Enfin, trois autres thèmes me semblent cruciaux: celui des paysans

(qui apparaissent sous toutes sortes de rythmiques, à l'acte I et III)

celui des femmes - la fameuse chanson d'Orlamonde.... qui existe sous forme longue, mais apparaît aussi très souvent de façon souterraine, notamment à l'acte II,

et celui d'Alladine, disait ma prof-qui aimait-plus-les-femmes-que-les-hommes. Il surgit à l'acte II, quand on fait connaissance de cette femme "qui ne parle pas notre langue", et devient central à l'acte III, notamment dès son (sublime) prélude. J'ai du mal à croire qu'un thème aussi doloureux et éloquent soit associé au personnage un peu secondaire d'Alladine; mais peut-être je me trompe; au fond, Alladine ne chante pas mais l'orchestre est toujours très éloquent quand elle intervient- serait-elle une Péri ? une déesse de la musique ? Quoi qu'il en soit, le traitement de ce thème par Dukas l'acte III renvoie à une musique de l'échec (on pense à Parsifal), à la faillite de la mission d'Ariane....

Dukas en fa# Quelques mots sur le trajet harmonique: tout l'opéra est en fa#; l'acte I commence en fa# mineur, le thème et variations des bijoux aboutit sur fa#majeur, l'apparition des femmes se fait en ré#mineur (son relatif), l'acte finit en fa# majeur (avec une magnifique coda qui réconcilie tous les thèmes antagonistes, comme dans toute forme sonate qui se respecte). L'acte II, cette grande recherche de la lumière, démarre en mib mineur (enharmonique de ré#mineur), se dirige vers do majeur, et conclut en si majeur. L'acte III finit en fa#mineur, comme l'opéra avait commencé.

Dukas d'or (du cador ?): L'opéra est largement truffé de musique en gamme par tons, mais qui sert de faire-valoir aux grands climax bien tonaux (l'air des diamants, la fin du second acte avec sa glorification de midi). Dukas apparaît comme un musicien des Lumières, comme le continuateur du Beethoven de Fidelio ou de la 5ième symphonie (c'est ça qui peut apparaître un peu irritant). De ce point de vue le dispositif scénique de la Bastille était intéressant, avec ces souris de laboratoire trottant d'une cage à une autre.

Dukas musicien de la Très Grande Forme: De l'acte I à l'acte III, mêmes ingrédients, symétries. L'opéra finit en fa#mineur, comme il a commencé. La musique dernière partie de l'acte III (Barbe-bleue à terre) liquide le thème du château (du début de l'acte I): les deux octaves descendants sont harmonisés différemment d'à l'acte I et apparaissent étales, inanimés, inopérants. A l'acte III, cette scène où les cinq femmes se pomponnent sous la supervision d'Ariane mettant en valeur qui une chevelure, qui des épaules etc... fait écho à la scène des cinq portes au premier acte, mais en valse à six temps, sur un mode badin et enjoué. C'est clairement la même musique; de même que la lumière sépare les couleurs, Ariane révèle chacune de ces femmes. Je ne parle même pas de la scène des paysans (avec à l'acte III ce curieux moment de bordel néo-classique sur "Au clair de la lune" !)

Parsifal, de Dukas La musique qui m'a le plus impressionné vendredi, c'était ce magnifique prélude de l'acte III, avec ce thème dolent, fauve aux altos et aux violons 2, dont j'ai parlé plus haut. A la fin de ce prélude apparaît un thème en quintes ascendantes, liées; c'est le renversement de ce thème descendant Barbebleue catastrophe, et c'est la musique qui illustrera le départ d'Ariane pour d'autres planètes (pour rester dans le registre d'une autre musique d'adieu lunaire en fa#mineur, celle de l'opus 10 de Schoenberg bien sûr).

Dukas l'as de la formule Si les formules choc de Maeterlink ne font pas toujours mouche, celles de Dukas sont aussi concentrées et fulgurantes que celles de Wagner. Je pense aux premiers mots d'Ariane, cet extralucide Elles ne sont pas mortes, qui marque une rupture du discours après le caquètement apeuré de la Nourrice; le thème Barbe bleue catastrophe y est méconnaissable, tout inoffensif, assaissonné aux cordes avec une sauce douceâtre. Je pense aussi à ce - Vous aussi ? -Moi surtout, où le thème héroïque d'Ariane explose comme une bulle de saveurs (avec des épices corsées).

Ariane, opéra de l'échec de l'analyse ? si le spectateur croit à l'acte III avoir démêlé l'écheveau des thèmes A et des thèmes B, attribué à qui de droit ses chevelures postiche, repéré les symétries et les chausse-trapes du château, la fin de l'opéra signe peut-être son échec..... (je vais me coucher)

Aussi : ici, ici, ici, ici et ici et .

7 mars 2007

Schönberg / Buch

Viens de refermer le bouquin d'Esteban Buch sur Schönberg (passionnant et amusant). Je me dépêche de rédiger quelques notes avant de tout oublier.

Le livre fait une histoire de la réception des premières oeuvres de Schoenberg, du concert de la Nuit transfigurée au Skandalkonzert du 31 mars 1913 (un foutoir massif: invectives, gifle, intervention de la police, impossibilité de jouer les Kindertotenlieder, double procès), à partir des comptes-rendus critiques et de la correspondance de Schönberg. Et développe la thèse que c'est la réception catastrophique de ses oeuvres qui a conduit Schönberg à assumer pleinement sa position d'avant-garde en rupture avec la tradition.

Le point nodal a été le scandale de la création de l'opus 10, après lequel Schönberg est passé d'un discours d'intégration à celui de la rupture. Jusque là, Schönberg, qui s'est toujours senti l'héritier des grands musiciens viennois, avait pris la défense de ses oeuvres attaquées en minimisant leur potentiel de rupture et en mettant en avant leur conformité aux canons classiques. Mais les critiques ont été sourds à ce discours et ont fait une fixation sur l'orchestration (les stridences de la Symphonie de chambre - ces acidités pourtant si jouissives !), la densité insupportable de dissonances, l'affaiblissement des fonctions tonales (délicieux mot de Schönberg à ce sujet: "Un accord d'ut majeur est un effet d'orchestre spécial, dont il ne faut pas abuser et qui ne peut être employé qu'avec la plus grande précaution"). Par exemple, il semble qu'à 4'00" du début de la Symphonie de chambre, le public ait perdu pied: je trouve qu'on entend clairement la majeur, mais entre les ponctuations, c'est un peu un no man's land qu'il faut accepter de traverser.

La critique est passée complètement à côté de la forme des oeuvres. Personne n'a compris Pelleas comme une symphonie en quatre mouvements en ré mineur, par exemple (c'est toutefois difficile de jeter la pierre ex post et de savoir comment on aurait entendu cette musique en première audition, sans avoir lu l'analyse de Schoenberg). Personne n'a vu toute la finesse du travail motivique (remarquable au début de Litanei, le 3ième mouvement de l'opus 10, qui reprend des motifs des 1er et des 2ndsmouvements).

Plus qu'à une critique foncièrement conservatrice, Schönberg s'est heurté violemment à une critique plutôt incompétente, modérément progressiste, en accord avec la critique wagnérienne d'un Beckmesser qui s'en tient trop strictement aux règles scolaires, valorisant l'impression par rapport au travail d'exégèse (une critique d'ambiance: Stimmungskritiker), favorable à la dissonance mais pas à trop de dissonance, une critique prête à encenser Reger, Pfitzner, le jeune Strauss. On trouve des traces de cette lutte à mort entre Schönberg et la critique viennoise dans les caricatures du musicien ....et son Pierrot Lunaire, dont Buch lit finement deux numéros, les n°16 (Gemeinheit avec son piccolo qui vrille) et 19 (Sérénade avec son violoncelle lyrique), comme une représentation du conflit entre l'artiste (Pierrot) et le critique (Cassandre)....

 

 

19 février 2007

Deux ou trois choses en passant sur la 39ième de Mozart (en mi bémol)

  • Dans le 1er mouvement de la 39ième de Mozart, pour peu que le chef adopte pour l'allegro un tempo exactement double de celui de l'introduction adagio, la descente des violons à l'introduction

est très exactement identique aux déluges descendants de la partie modulante de l'exposition.....

mais l'effet est radicalement différent, dans un cas c'est une longue levée en suspens (5+3=8), dans le registre piano, en creux entre deux accords pleins et royaux de mi bémol; dans l'autre c'est quelque chose de bien installé, sans ambiguïté, forte, bien inscrit dans une mesure à 3 temps. L'auditeur a l'impression fausse que ce sont deux musiques différentes, que ça va plus vite dans le deuxième cas. Cet effet d'illusion qu'on appelle l'agogique est un des ressorts préférés des classiques, les champions des trompe-l'oeil perceptifs (chez Haydn ici)..... pas totalement un hasard.

  • Autre source d'émerveillement, la variété de cette musique. Prenons en particulier les trois présentations successives de mi bémol. Celle de l'introduction, lente et splendide (cf plus haut), une musique royale à quatre temps, termine dans une incertitude chaotique terrible. Celle du début de l'allegro à trois temps, une conversation en musique, en demi-teinte, est étonnante de simplicité démocratique.

Enfin, après tout cela arrive le thème que tout le monde retient habituellement, forte à trois temps, auquel Beethoven a sans doute pensé en écrivant l'Eroica....

(zou ! dans la radio.)

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4 novembre 2006

Zygel et la forme sonate

Vu jeudi soir la leçon de musique de Jean-François Zygel à la Mairie du XXième. Avec gast et son mari. (Incidente: j'ai vu le logiciel avec lequel gast lit mon blog: il fait rimer Barenboim avec babouin, c'est malin.) Revenons à Zygel et au thème de la leçon du jour, le sujet noble par excellence: qu'est-ce que la forme sonate. Un sujet traité de façon plaisante par un Zygel qui a le sens de la formule, et ne s'est pas dérobé devant la difficulté tout en ayant l'intelligence de détricoter toute définition trop stricte de ce grand cachalot blanc. Je retiens que la meilleure définition reste encore la plus vague: une forme sonate c'est une narration dialectique (ça pourrait plaire à certains comme lui qui voit des histoires partout).

Dialectique ? Entre un premier et un second thème, par exemple, papa/maman, yin/yang, guerre/ paix et autres fadaises à la d'Indy. Zygel fait justement remarquer que parfois le second thème, c'est le premier thème, dans une texture ou une ambiance différentes (cf la deuxième des Sept Paroles du Christ). Mais il revient un peu vite à l'analyse-à-papa-du-Conservatoire avec la 40ième de Mozart, illustrée avec des panneaux indicateurs "Thème 1", "Thème 2" brandis en chaloupant; et invite même le public - des fans de la 40ième dodelinant de la tête au moment des temps forts - à identifier le 2ième thème chez eux, sans pancartes ! Zygel évoque justement le théâtre à propos du style sonate, avec le Beethoven de la Vième symphonie. Mais en se cantonnant au 1er mouvement des sonates ou symphonies, il se prive de la partie la plus vivante et la plus étonnante du style sonate chez Mozart (n'importe lequel des airs ou des ensembles d'opéra....). Fin de leçon en beauté avec l'Inachevée de Schubert. J'en retiens que le thème du début de l'exposition (la ligne des violoncelles) ne sera développé que dans la partie centrale et la coda. Si je poussais le bouchon, je lirais ce premier mouvement comme une forme sonate en deux parties, dans laquelle le propos de l'introduction est varié et amplifié dans l'introduction d'une longue deuxième partie......

Avec ce genre de conférence, on voit les limites de la vulgarisation: se refuser à parler de tonique ou de dominante conduit à se priver de clés de compréhension utiles pour cerner ce qu'est une sonate. Sans trop faire technique, on pourrait peut-être dire qu'une forme sonate est un discours qui va d'un ici vers un ailleurs proche, puis retrouve cet ici dans lequel il finira par se maintenir (mais ce n'est pas très heureux, je vous l'accorde (j'avais d'autres propositions ici)).

4 octobre 2006

Un air électrique qui donne le mal de mer

Je connais mal Idomeneo (je n'ai jamais rien compris à l'histoire et je n'écoute pas tout) mais j'aime depuis longtemps la grande scène de fureur d'Elettra, une fureur qui déchaîne les éléments et un grand choeur d'hommes, dans la grande tradition wagnéro-schönbergienne. C'est aussi un air d'un style classique très pur, presque abstrait.

Pour mieux suivre ce qui risque d'être un topoguide aride, la partition est ici (désolé, il faut se fader les parties vocales en clé d'ut 1ère); j'ai mis l'ensemble récitatif + air d'Electre + choeur d'hommes à la fois en mp3 ci-dessous (il faut attendre 4'45" de récitatif avant d'entendre Elettra passer à l'action) et dans la radio (là, il est facile de sauter le récitatif mais la qualité sonore est moins bonne).

C'est un air très court: 3'27" (de 4'45" à 8'12"); introduction 22", 1ère partie 1'21", 2ième partie 1"27" et transition vers la suite 17". C'est plus long de lire cette note que de l'écouter. Employons les grands mots, c'est une fome sonate très intégrée, très ramassée, très concise, en deux parties (comme dans certains mouvements lents chez Haydn), peu conforme aux schémas appris au conservatoire (on nous cache tout on nous dit rien).

L'air commence à 4'45" par une longue pédale de la, avec le tictac des basses (on accumule la tension) et les volutes des flûtes (comme de l'eau froide sur de la pierre chauffée). Quand le tictac s'arrête (au bout de 3X4 mesures), la pulsation cardiaque s'accélère (4 fois un accent toutes les trois notes) et on atterrit en ré mineur, la tonalité de la forme sonate (et on comprend que ce qui précède n'était qu'une introduction).....

Il y trois séquences dans le vrai début de l'air, une première période en ré mineur (c'est à dessein que j'écris 1ère période et pas 1er thème comme on dit au conservatoire (on nous cache tout on ne nous dit rien)):

  1. Sur quatre mesures, un grand crescendo orchestral (au fond, c'est ça le thème: un grand crescendo) doublé d'une montée de la voix, sur un rythme caractéristique (a): qui aboutit sur....
  2. ... un bloc tout en rupture, en tension: deux mesures piano en descente suivies de deux mesures fortissimo, avec un intervalle dramatique, le tout répété deux fois (donc 8 mesures), sur un deuxième rythme caractéristique (b):
  3. Sur le rythme initial (a), une séquence un peu geignarde , qui prépare la suite....

Suit un pont sur une pédale de do (à 5'35"). C'est toujours le rythme (a) du début, mais de plus en plus désamorcé: la ligne tourne sur elle-même au lieu de se lancer comme une fusée, elle est accompagnée par les volutes de flûte comme dans l'introduction....

Cette pédale de do amène logiquement en fa majeur (5'46"), où on se maintiendra jusqu'à la fin de l'exposition. Là encore, trois phrases

  1. une première, très agitée, avec des coups de corne des brumes (enfin, des cors), sur un do dominante, contredits par des accents aux cordes; où la voix chante les rythmes a et b, successivement;
  2. une phrase plus stable, où fa est solidement assis mais où des chromatismes sèment le doute: va-t-on en mineur ou en majeur ?
  3. une dernière phrase, avec les coups de cloches, les coups de boutoir des cordes et des fusées aux vents: c'est très agité, mais pour assurer sans équivoque que l'on va conclure en fa majeur; les rythmes (a) et (b) sont aussi complètement désamorcés, domestiqués, servant à chanter la victoire de fa.

Mais comme c'est un air électrique qui donne le mal de mer, on retrouve l'accélération cardiaque de la fin de l'introduction qui mène à la deuxième partie (réexposition) à 6'28". C'est à peu près la même séquence d'événements (ce qui va m'épargner des bavardages).

Mais le schéma harmonique est différent, et c'est aussi cela qui est beau. Mozart débute la réexposition en do mineur, jusqu'à la fin de la première période (avant le pont). Ce qui est très beau dans cette réexposition en do mineur, c'est tout en étant un faux plancher pour l'air d'Electre (en ré mineur), elle est aussi le vrai plancher du choeur qui va suivre, en do mineur: un peu comme un plancher qui s'enfoncerait, définissant un nouveau niveau zéro. On a eu déjà du mal des difficultés perceptives au début de l'air: sommes nous en ré ou en la ? C'est décidément un air électrique qui donne le mal de mer.

Le pont a lieu sur une pédale de la et mène à une deuxième période en ré majeur (au lieu du fa majeur de l'exposition), comme il est habituel dans une forme sonate. Ce qui est moins habituel, c'est que l'indécision que j'avais signalée à propos du centre de la deuxième période se résout cette fois en ré mineur (et pas en majeur), ce qui ajoute en âpreté à l'air dans son ensemble.

Un mot de la conclusion (à 7'55"); elle reprend comme à chaque transition l'accélération cardiaque déjà mentionnée deux fois et les volutes de flûtes, que l'on retrouvera abondamment dans le choeur qui suit (que je ne commenterai pas car j'ai déjà été horriblement long).

 

26 septembre 2006

Le destin d'un rêve en mi (sur une phrase du Peter Grimes de Britten)

Pour Hirek (qui a pris cette photo), avec des poutoux (baveux mais virtuels).

***********************************

Nous sommes acte I, scène 2. Peter Grimes vient de l'extérieur, où il fait un temps de chien ; déboule comme un courant d'air dans la taverne ; et chante la destinée des hommes et des planètes, sous l'oeil interloqué du voisinage. C'est le second des airs de Peter Grimes et l'un des moments-clé de l'opéra.


Peter s'interroge sur son destin : un recommencement avec un nouvel apprenti est-il possible ? avec, à la clé, une pêche miraculeuse qui lui permettrait de s'établir avec Ellen? Ce qu'il chante suggère l'impuissance de qui souffle à contre-courant d'un grand vent qui le dépasse.... le vent d'Ouest des côtes anglaises, mais aussi le vent malin du procès de Grimes qui ouvre l'opéra, celui de la pression sociale des villageois qui voient ce pêcheur asocial maltraiter ses apprentis et qui, en dépit de l'absence de preuves, l'ont catalogué comme un meurtrier.

Now the great Bear and Pleiades where earth moves are drawing up the clouds of human grief breathing solemnity in the deep night.
Who can decipher In storm or starlight the written character of a friendly fate - as the sky turns, the world for us to change?
But if the horoscope's bewildering like a flashing turmoil of a shoal of herring,
Who can turn skies back and begin again?

soit:

Voici que la Grande Ourse et les Pléiades, champs de la terre, aspirent les nuages de la détresse humaine et drapent de solennité la nuit profonde.
Qui peut déchiffrer, dans la tempête ou les étoiles, le signe écrit d'un destin amical, qui, tandis que le ciel tourne, changera pour nous le monde ?
Mais, si cet horoscope n'est que confusion comme la mêlée lumineuse d'un banc de poissons,
Qui ramènera les cieux en arrière pour repartir à zéro ?

Et la musique, que dit-elle ? A chacune des trois séquences, les cordes dans le grave sont en avance sur la ligne vocale, qui reste un temps fixée sur un mi insistant: elles dessinent une gamme descendante en mi majeur, se déployant par grappes de notes vers le bas. Ces phrases ressemblent à trois lancers de dé, trois dévidages de la pelote des Parques qui décideraient du destin de Peter Grimes. Au deuxième tirage succède un épisode agité, correspondant à l'irruption de ce banc de harengs qui miroite comme des pièces de monnaie que l'on retrouvera au moment où le deuxième apprenti tombera de la falaise, répétant le drame d'avant le début de l'opéra..... Les deux premières formules atterrissent, l'une sur un do#, l'autre sur un do bécarre. Mais, après le brouillage de l'horoscope par l'irruption des harengs, la dernière formule (sur le Who, who.....) conclut miraculeusement sur un mi : équilibre fragile d'un unique bon tirage......

Ce mi a une histoire dans Peter Grimes, que l'on peut lire tout entier, je crois, comme un conflit de tonalités. Les pôles de tonalité sont chez Britten un enjeu très audible et définissent des couleurs très contrastées, très dramatiques. Je ne prétends pas que cette analyse épuise la richesse de l'opéra, mais elle éclaire singulièrement ce lancer de dés, cette gamme descendante de mi majeur; ainsi que le retour de cette phrase, à la toute fin de l'opéra.

Dès le prologue, le paysage est dressé : deux forces antagonistes s'opposent. Avec la musique carrée et incisive à la Haendel du procès de Grimes, la pression sociale s'incarne dans un si bémol majeur giocoso....


....qui trouvera son prolongement naturel, sa résolution, plus loin dans l'opéra, dans le mi bémol de la plèbe (les grands choeurs, notamment ce qui suit la scène du Who, who...., Joe go-fishing avec ses percussions obsédantes), et dans la corne de brumes de la scène de chasse à l'homme (mais j'anticipe encore). Mi bémol qui est la note la plus éloignée, dans l'échelle tonale, de mi.


A l'inverse, le pôle opposé à ce mib-sib, c'est mi, que l'on entend dès le prologue, avec l'incroyable duo Ellen / Grimes a cappella. Britten met le doigt dès le début sur la difficulté de ces deux-là à s'accorder (littéralement) : Ellen chante en mi et Grimes lui répond en fa (un fa qui risque une chute dangereuse vers sib et mib) ; ils finissent par se rejoindre, de façon bien fragile, sur mi, avec un motif que l'on entendra souvent dans la suite de l'opéra, une neuxième ascendante (sol#-la, puis mi-fa), l'envers de la gamme des Parques, l'aspiration à l'idéal.....


...motif que l'on retrouvera ici par exemple :


Plus tard, quand le drame sera noué, il y a ce bel air d'Ellen, à l'acte III scène 1, clivé entre un si mineur et mi bémol mineur: la coupure entre les deux (ci-dessous, à 50" du début) est l'un des effets les plus déchirants que je connaisse chez Britten.

Now my broidery affords the clue whose meaning we avoid.
Ma broderie révèle ce que nous voulons ignorer.

Le fil du rêve, de la broderie d'Ellen, s'est coupé.


Enfin, la dernière scène de l'opéra. Dans une atmosphère de chasse à l'homme (le choeur des villageois appelle: Peter Grimes !), alors qu'une corne des brumes sonne régulièrement un mi bémol sinistre, Peter, à demi-fou, repasse tout le fil de l'opéra - et c'est la deuxième et dernière occurrence de Who can turn skies back and begin again ?. La phrase fétiche revient, mais part d'un la aigu pour aboutir sur un ré# grave (= le mib de la corne des brumes). Envers sinistre d'un tirage parfait, échec de l'expérience, attraction fatale du mi bémol qui a tué les rêves du mi.


***********************

Peter Grimes, de Benjamin Britten: le livret et le site de la fondation Britten Pears. Les enregistrements affichés ici sont soit ceux de la version Britten Pears (Prologue et acte I), soit ceux de la version Davis Vickers (acte III, cf vidéo youtube). La toute première scène est magnifique chez Britten (carburant terrible, diction sarcastique du juge), Pears est plus policé, fragile que Vickers, mi-lion mi-ours (géniale scène de folie avec la corne des brumes).

3 juillet 2006

Encore Ligeti

Il manque à la sélection de l'autre jour le mouvement lent du concerto pour violon, Aria, Hoquetus, Choral. Une oeuvre carrefour.

Sous son apparence de thème et variations à base folklorisante, je découvre que le thème du violon n'est autre que celui de la troisième des Six Bagatelles (déjà dans la radio) - et aussi la cinquième des Musica Ricercata. Que ce mouvement reprend la technique du Hoquet David de Guillaume de Machaut, tissant une trame rythmique, les hoquets des subsahariens rejoignant ici ceux des franco-flamands. Que Ligeti utilise des cors naturels, en résonance avec le violon, comme il l'avait déjà fait dans le trio, préparant le concerto de Hambourg et la sonate pour alto (tous trois déjà dans la radio). Que la cohérence spectrale du mouvement est accentuée par l'emploi de la flûte en sol et des ocarinas (très chouettes). Et que la fin du mouvement (sans doute le choral à 5'40") cite les Symphonies d'instruments à vents, l'hommage posthume de Stravinsky à Debussy.....

Dans la radio, j'ajoute aussi les Aventures (quoi qu'on fasse une oeuvre centrale) et la spectaculaire Entrée de Nekrotzar dans le troisième tableau du Grand Macabre, pastiche du finale de l'Eroica, qui sonne comme une passacaille apocalyptique.....

1 juin 2006

Retour sur Tristan

J'ai l'ambition (insane) de comprendre un jour quelque chose à Tristan ; par ailleurs, je prends des notes pour ne pas oublier quand je comprends quelque chose (ceci est aussi un blog pense-bête); doncques, voici cette note.

Franchement, je trouve cette musique bien difficile à décortiquer ; les thèmes y sont peu nombreux (la liste des leitmotive tient en une page), ils nourrissent 4h30 de musique (...et de quelle musique), ils sont très corrélés les uns aux autres, et changent de tête comme moi de chemise.

Par exemple en ce moment je rumine comme un aliéné dans le métro et me demande si

n'est pas une resucée du thème dit du jour, l'un des thèmes les plus plastiques et des plus répandus dans toute l'oeuvre :

Il est partout ! Il apparaît au second acte et figure la douleur des amants d'être au grand jour quand ils attendent les promesses de la nuit.

Il revient beaucoup au IIIème acte, mais surtout dans une scène fascinante et nodale, parfaitement dépressive, que je veux mentionner ici (à écouter dans la radiotoutcourt), où Tristan, musicologue en herbe, interroge sa blessure à partir de la "vieille mélodie" du cor anglais.

Cette alte Weise (pour reprendre l'allemand weird de Wagner), cette plaie suppurante s'irrite au contact de deux thèmes:

  • d'abord justement celui du Jour (l'impossible mort), qui prend un nouveau relief alors que Tristan se remémore la mort de sa mère en couches,
  • puis au contact du thème de la première maladie de Tristan en Irlande, un thème entendu au Ier acte dans le récit d'Isolde.

C'est Isolde la magicienne qui avait sauvé le blessé de la mort ; pas étonnant, le thème d'Isolde (ou du désir) est le renversement de ce thème de blessure:

Chez Py (que j'écoute jusqu'à l'intoxication, en boucle), le plateau du IIIème acte est entièrement inondé, Tristan gît sur un lit comme une île; une femme et son enfant couronné disparaissent alternativement dans l'eau ; le cor anglais, un personnage à part entière comme l'alte Weise du livret, s'avance à la limite de l'eau (et reste là pour interpréter le chant de joie, quand le bateau arrive....). Une mise en scène figurative jusqu'au naïf (Py croit au théâtre, tant mieux), limpide et forte.

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