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zvezdoliki
24 avril 2006

les Dichterliebe de Fassbaender

L'autre jour, je vois ceci à la FNAC

Quelle n'est pas ma stupéfaction quand je me rends compte que ce CD reprend l'essentiel d'un des rares disques dont je sois réellement tombé amoureux, et qui bien entendu n'a jamais été réédité depuis 20-25 ans. Je m'en souviens parfaitement, c'était un 45 tours que j'ai dû emprunter avant 1985 à la discothèque municipale à Nancy, à l'époque où elle était encore dans les combles de la mythique Bibliothèque municipale.

J'ai du mal à me souvenir de la façon dont j'ai entendu, adolescent, ce disque, mais je me souviens d'un triple choc : la découverte des Dichterliebe, de l'univers du lied plus généralement, et enfin de la voix de Fassbaender. Dichterliebe, c'est la quintessence de l'oeuvre vocale de Schumann, une oeuvre très dispersée sur le plan émotionnel (comme Carnaval ou l'Humoresque) un cycle plus dense et plus varié que l'amour et la vie d'une femme. L'ironie cruelle de Heine combinée au sens du non-dit de Schumann (les postludes du n°16 évidemment mais aussi du n°10 ou du n°6) permettent l'exploration de toutes les nuances du dépit amoureux, de la catatonie à l'insulte en passant par le sarcasme.

Je pense que ce cycle convient particulièrement à Fassbaender. Dans cet enregistrement de 1983, elle est au mieux de sa forme vocale, avec la variété de timbres qui la caractérise (du velours au métal, en restant à la lisière de la fêlure), une diction à la fois intelligible et hallucinée. Fassbaender est aussi l'une des grandes mezzos à s'être appropriée tout le répertoire des lieder pour voix d'hommes : elle va jusqu'aux quatre chants sérieux (pour basse !) de Brahms. Cette longue intimité avec ce répertoire provient sans doute d'abord des leçons de son père. Le remplacement de l'homme par la femme dans le lied romantique est bien plus troublant que l'usage du travesti dans l'opéra baroque, à mon sens : il accroît la distance entre la chanteuse et l'objet de son chant. Je ne suis pas sûr qu'elle aimerait cette description, mais il me semble que Fassbaender a incarné de façon convaincante, que ce soit au lied à l'opéra - je pense à Geschwitz ou Brangäne - le dépit amoureux poussé jusqu'au métaphysique, l'amour monstre, passez moi l'expression, transgenre...

L'appropriation par une voix de femme du répertoire masculin est féconde mais ne va pas sans problèmes. Là où les chanteurs passent en force (ils sont tous à trompetter dans Im Rhein, im heiligen Strome, par exemple), Fassabender pallie le manque de puissance dans les graves par un tempo lent. Le tempo lent donne quelque chose de très étrange dans le n°1, le mois de mai où "alle Knospen sprangen" ; quelque chose comme une méduse qui se déploie, des volutes un peu lourdes d'une fumée capiteuse : elle fait planer le drame là où il n'est pas encore dans le texte. Ou bien dans le n°4, première manifestation d'ironie amère dans le texte (Doch wenn du sprichst: ich liebe dich! So muß ich weinen bitterlich, pris très lent, dans un silence sépulcral). Ou enfin dans le n°15, quand on comprend, moment déchirant, que la bacchanale quasiment satanique du début du lied n'était qu'un rêve, que du rien (Zerfließt's wie eitel Schaum).

J'aime aussi cette façon hallucinée qu'elle a de faire sonner la langue allemande (son schauern und beben, dans le n°5; l'incroyable série de verbes du n°9 (ein Klingen und Dröhnen, ein Pauken und ein Schalmei'n et puis après schluchzen und stöhnen), ou encore dans le n°3 cette façon qu'elle a de rebondir sur Taube. Un des sommets du cycle reste pour moi le n°13(Ich hab' im Traume geweinet) où elle est terrifiante de douleur rentrée.

Je mets dans une nouvelle radio Lied tout le cycle, pour que vous puissiez juger sur pièces. J'ai vidé ma radioblog canal historiquede tout ce qui allait du lied à la mélodie en passant par la chanson française, hors opéra et musique religieuse (il y en a pour tous les goûts...je viens de réécouter Annie Anna de Trenet, où Bratislava rime avec refaire ma vie).

 

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9 mars 2006

le 2ième mouvement de la 93ième symphonie de Haydn

Retour au 2ième mouvement de la 93ième symphonie de Haydn, qui décidément rentre très bien dans le CadreEtroitDeMaTrèsStricteLigneEditoriale. (soyons clairs: ce qui suit va être long et encore plus abscons que cette sentence liminaire).

Quelle musique drôle, concise et variée ! Comme on y respire bien ! Quelle invention dans la forme - à la fois maîtrisée et énigmatique ! Vignal y voit une forme sui generis, qui tient du rondo et de la variation ; il note que le thème revient à 5 moments dans le mouvement, à chaque fois à la tonique (sol majeur), le plus souvent par blocs de 4 mesures, les deux premières, non variées, restant à la tonique (sol majeur) , les deux dernières menant à la dominante (ré). Tout cela est vrai, mais je trouve que c'est un peu court; on ne comprend pas vraiment l'architecture d'ensemble (qui est à la fois cohérente et variée), le pourquoi du prout (ce qui est très très embêtant), ce qu'il y a dans les parties intermédiaires....

J'aurais bien aimé rééditer le coup de force tenté avec le finale du KV428, y voir une forme sonate, pour changer. Ce n'est pas complètement convaincant (il manque le voyage tonique- dominante et sa résolution) mais je me lance à l'eau (je sais, ça fait topoguide, mais j'ai fait le travail et il ne faut pas gâcher). Je vois trois parties dans le mouvement (les numéros de mesures renvoient à la partition)

I- Un thème ironique, tout simple, qui a du mal à décoller du sol (4 modules, mesures 1 à 29, jusqu'à 1'54"):

  • mesures 1 à 8: 4+4; deux voyages de sol à ré, l'un via do, l'autre via si mineur. Le tout exposé très simplement au quatuor à cordes. Une musique déjà un peu ironique, empesée avec ses rythmes pointés, pleine de silences.
  • mesures 9 à 16: 4+4; strictement la même chose, mais en orchestre, avec l'ensemble des cordes, pianissimo, et un basson un peu narquois.
  • mesures 17 à 22: 4+2; ça ressemble à un coup de gueule haendelien en sol mineur, forte subito, avec timbales - le grand jeu, quoi- , mais c'est bien un dérivé du thème : même rythmique perruquée, mêmes intervalles, même matériau, une petite fixation sur les trilles pour finir.
  • mesures 23 à 29 : 4+3; retour du thème proche de l'original, mais avec une nouvelle variante qui permet d'aboutir en sol (la bonne idée !) et de clôre ce qui sinon serait sans fin. Avec un petit appendice de 3 mesures qui sera promis à un brillant avenir (27-29), des sauts d'intervalle importants qui dilatent - un peu - le temps. Des triolets (nouveauté !) introduisent autre chose:

II- On va à l'opéra (on dirait un développement, jeunes gens) (mesures 30 à 60; à 1'54")

  • mesures 30 à 43 : des bouffées de chaleur, des triolets, un hautbois qui chante éperdument et se fait relayer par ses petits camarades. Une installation qu'on pourrait croire définitive en ré (en passant par si, comme la deuxième modalité du thème), que Haydn désamorce subrepticement. Les triolets prolifèrent, avec des petites notes que l'on retrouvera.
  • mesures 44 à 51 (4+4) : retour du thème dans sa première moûture (4 mesures), mais infecté par les triolets. Puis 4 mesures modulantes, toujours sur le thème, allant vers si bémol.
  • mesures 52 à 60 (8) : retour de la cavatine avec le hautbois en mineur; triomphe des triolets et des petites notes, on va vers ré.....

III- On liquide tout (ça sent la réexposition, non ? en 2 époques, mesures 61 à 88) (à 3'39")

  • mesures 61 à 70 (4+6): Retour définitif à sol majeur. Le thème est exactement comme de 23 à 30, mais infecté par les triolets (salauds de triolets !) et avec un appendice qui double de taille (avec le hautbois opératique qui s'invite au-dessus des sauts d'octave). Mais le meilleur est encore à venir.
  • mesures 71-73: dernière apparition du thème, dans sa deuxième modalité, mais contractée (ce sont les mesures 5-6 et 8 qui sont fusionnées, Haydn évacue la complication savoureuse du passage central en si mineur (un peu comme à la fin des variations du KV 464). C'est fortissimo (pas comme au début) et inondé de triolets.
  • Mais manque de bol ! ce tortillon conduit à ré ! et pas à sol ....On va se perdre sur cette descente, qui est disséquée et ralentie, jusqu'à arriver à ce dialogue d'une extrême délicatesse entre violons et flûtes, au bord du rien (ces silences sont constitutifs du thème initial)...
  • ....quand le basson (mesure 80) redonne de l'élan et du carburant avec son prout do grave, qui permet de conclure, avec force trilles et éclats de rires. Retour au pianissimo et à l'atmosphère chambriste du début.

Je mets ce beau mouvement à la fois dans la radioblog canal historique (en compagnie du ©prout du Chant de la terre), et, promo !, dans la radio-Haydn avec le 1er mouvement (qui déménage aussi).

22 novembre 2005

Debussy et la musique contemporaine

Chose promise, chose due, retour aux fondamentaux. Je recopie ici des extraits d'une interview de Debussy en 1914, "une appréciation de la musique contemporaine" (extrait de Monsieur Croche, que je découvre). C'est une saine incitation à se taire quand on parle de musique et c'est truffé de remarques pertinentes. Bien sûr j'aurais pu choisir un éreintement de la Tétralogie, il y en a toutes les deux pages (le pauvre ! il les a vraiment toutes vues....). Mais vous m'accorderez que cela ne cadre pas avec Ma-Ligne-Editoriale-Eclectique-Et-Néanmoins-Cohérente. On ne retrouvera donc pas ici le style féroce du carnetier des concerts du répertoire, est-ce vraiment un mal ?


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Je ne prétends pas faire de la "critique" mais donner, simplement et franchement, mes impressions. Dans la critique le sentiment personnel joue un rôle beaucoup trop grand et souvent tout ce qui est écrit ou dit peut se résumer à: "vous avez tort parce qu'il se trouve que je pense différemment" ou l'inverse. Ce qu'il faut faire, c'est découvrir les principales impulsions qui ont donné naissance aux oeuvres d'art et le principe vivant qui les constitue. (...)

Je ne suis pas beaucoup l'actualité. Il arrive un moment dans la vie où l'on veut se concentrer et maintenant je me suis fait une règle d'entendre aussi peu de musique que possible.

Prenez par exemple, Schönberg. Je n'ai jamais entendu aucune de ses oeuvres. Mon intérêt étant suscité par ce que l'on écrit sur lui, j'ai décidé de lire de lui un quatuor, mais je n'ai pas encore réussi à le faire.

Un point que je veux souligner, c'est que je considère comme un crime de juger prématurément. L'habitude d'autrefois, qui consistait à permettre aux artistes de mûrir en paix et de ne pas leur prêter attention jusqu'à ce que leur art se soit pleinement affirmé, je la considère beaucoup plus saine que celle d'aujourd'hui. C'est imprudent de déranger de jeunes artistes en en faisant des sujets de discussions souvent superficielles et partiales. La hâte fébrile que l'on met à discuter, à disséquer et à classer est une maladie de notre temps. A peine un compositeur a-t-il fait son apparition que l'on commence à lui consacrer des articles ; on se jette sur ses oeuvres et on leur applique d'ambitieuses définitions.

J'estime, par exemple, que, aussi tentant que cela peut l'être, le moment n'est pas venu de juger les jeunes hongrois tels que Bartok et Kodaly. Tous deux sont deux jeunes artistes extrêmement intéressants et pleins de mérites, qui cherchent passionnément leur voie, il n'y a aucun doute. Ils sont à peu près sûrs de la trouver. Et l'une des caractéristiques importantes de leur musique est l'évidente affinité entre leur esprit et celui de la musique française moderne. Mais je n'en dirai pas plus.

Igor Stravinsky offre un autre excellent exemple d'un jeune artiste doué d'une vive et ardente curiosité. Il est bon pour de jeunes artistes d'être ouverts et d'aller chercher leur voie dans toutes les directions, mais je pense qu'il s'assagira en temps voulu. Il est le seul des jeunes russes avec lequel je sois en relations. (...)

Pourquoi parler de l'opéra italien moderne ? Cela serait lui attribuer une importance dont il est absolument dépourvu. La majeure partie du public se délecte dans la vulgarité et le clinquant, et s'est de tout temps complu dans le mauvais goût. Les Italiens, bien conscients de ce que veut le public, comblent ces voeux. Je ne pense pas que leur influence soit nuisible, car chaque artiste compose les oeuvres qu'il était prédestiné à écrire. Si quelqu'un est attiré par le médiocre, la réalité le révèle lui-même médiocre et nous pouvons supposer que de toute manière il ne pourrait dépasser la médiocrité.(...)

26 octobre 2005

Opus 111

(désolé, un billet horriblement long, affreusement jargonnant et impitoyablement boîte à outils, mais si je ne prends pas de notes, j'aurai tout oublié dans deux jours, étourneau que je suis)

Réécouté l'opus 111 en lisant le très stimulant billet de Jeremy Denk (que je suis grâce à bladsurb, merci toi !). Il voit l'arietta sous un angle pratique (de concertiste) mais aussi théorique. Sa note éclaire d'un jour différent le texte de Mann dont Philippe(s) parlait dans une note-à-plus-d'un-commentaire.

Je résume à grands traits, en français (je dois avouer que j'ai du mal à lire Denk avec tous ses jeux de mots imagés: c'est pénible ces gens qui font des jeux de mots imagés):

  • le thème de l'opus 111 est plus simple que celui de l'opus 109, un autre thème et variations que Beethoven conclut par la reprise intégrale du thème (ce n'est pas le cas du tout pour l'opus 111, j'y reviendrai). Il prête davantage à des divagations et à un enrichissement du matériau. Beethoven introduit ainsi des choses étranges dans les jointures....qui volent la vedette au thème.
  • Un matériau simple: dans le thème il y a un mi, à l'unisson, tout nu, tout simple (à 1'05", introduisant la deuxième partie), qui introduit une belle couleur de la mineur (au milieu d'un do majeur lumineux), comme une bulle délicate, de couleur très différente du do mineur assertif du 1er mouvement.
  • Dans la 1ère variation, le discours s'épaissit pendant la première moitié; il est d'autant plus complexe et touffu harmoniquement que le thème était simple (là où le thème dit le moins, la 1ère variation dit le plus). Et pour clore cette section apparaît ....le do-do#-ré-sol du Doktor Faustus....(à 2'28", avant la reprise du thème). Thomas Mann a donc tort de décrire le do# comme un événement complètement inattendu et émouvant dans sa douceur et sa bonté ....

première visite de Thomas M

  • le conduit en question du Faustus répparaît, transposé, au début de la deuxième section (à 2'58") (sol-sol#-la-si-mi)....pour habiller ce qui n'était que le mi isolé tout nu évoqué ci-dessus.
  • autre hoquet (hiccup) dans le discours, la demi-mesure (à 5'40") juste avant la troisième variation et son explosion jazzy, forte. C'est une figure de cadence, mais escamotée, sans basse, dans l'aigu, et jouée piano; qui doit faire contraste avec l'explosion qui suit. Un clin d'oeil plein de wit beethovénien, un trait d'esprit fugace et qui peut être totalement occulté à l'audition (c'est le cas hélas avec Brendel dans la radio).

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deuxième visite de Thomas M

Du coup, je réécoute différemment la fin, ces seize mesures de coda qu'évoque le Doktor Faustus. Une énigme que l'analyse ne réduit pas. Si j'avais à réécrire le commentaire que j'avais posté alors chez Philippe[s], j'écrirais ceci:

  1. On peut lire l'arietta de l'opus 111 à la fois comme ce qui arrive à un thème (ses 2 fois 16 mesures, son dessin harmonique et rythmique); mais aussi comme une gigantesque accélération progressive et très calculée des rythmes tout au long du mouvement, du début en croches pointées (3 notes/ mesure) jusqu'à la variation IV (à 7'45"), en triolets de double croches continues (27 notes / mesure....le rythme mesuré le plus rapide) qui conduit aux trilles (non mesurés) des mesures 112 et suivantes (à 10'18").
  2. Ce qui est à l'oeuvre dans la dernière variation-coda (les 16 dernières mesures, à partir de 168; à 14'12"), c'est à la fois la liquidation du thème et celle du schéma rythmique d'ensemble. Elle est, donc, organisée de façon très stricte autour de trois éléments: le thème; le trille, le rythme le plus rapide. De la mesure 168 à 176, c'est la répétition littérale de la première moitié du thème, superposée à la fois au rythme mesuré le plus rapide (celui de la variation IV) et à un trille (qui n'est que l'acccélération non mesurée du rythme le plus rapide). Un trille sur sol, qu'il faut doublement résoudre: en décélérant et en revenant sur do. C'est là qu'intervient le do-do#-ré-sol de Mann (à 14'56), énoncé deux fois (mesures 177-178), qui nous dit avec une pointe d'amertume: il faut conclure... et éviter les complications modulantes de la deuxième section du thème.
  3. Les six dernières mesures (178 à 183; huit mesures moins les deux déjà utilisées....à 15'05" à l'écoute) ne sont pas ce dénouement quelconque dont parle Kretzchmar. C'est la décantation, la séparation des éléments que l'on vient d'entendre: 3 mesures du rythme mesuré le plus rapide (qui renvoie à la variation IV), suivies de 3 mesures du rythme le plus lent (donc une décélération). Ou aussi: trois mesures crescendo depuis le pp où nous étions depuis le début de la dernière variation, puis trois mesures de retour au néant. Et aussi: 2 mesures sur sol, 1 mesure sur do, 2 mesures sur sol, 1 mesure sur do. Le tissage de ces morceaux donne quelque chose d'à la fois abrupte et cohérent: un collage de ces fragments intersticiels dont parle Denk ?

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Pour s'y retrouver: je mets dans la radio l'arietta de l'opus 111 jouée par Alfred Brendel.

 

11 septembre 2005

Sibelius: 4ième symphonie en la mineur, I.

Une symphonie clé dans l'oeuvre de Sibelius, qui date de 1910-1911, une période de rupture dans le discours, comme pour Schoenberg ou Mahler. Une symphonie que j'ai longtemps trouvée dure à cuire et à digérer, un peu comme les deux sonates violon et piano de Bartok que j'ai longtemps détestées avant de les trouver indispensables à l'écoute. Ne pas se laisser impressionner par une première écoute.... Ce qui peut décourager dans cette musique peut aussi finir par plaire: l'austérité du propos, le sérieux des mouvements lents (n°1 et 3), la fuite à la lisière de la tonalité, la couleur sombre dans les graves, le goût pour la monodie, le fonctionnement à l'économie. Mais c'est sûr, avec ce Sibelius-là on rigole moins que chez Haydn.

Ces notes prises après avoir remis le nez dans la partition sont un guide d'écoute du premier mouvement (ici dans la radio), sans doute trop technique et je m'en excuse d'avance. Je suis un peu frustré par la plupart des commentaires que j'ai lus, qui n'insistent que sur la modernité de cette symphonie, l'omniprésence du triton. C'est vrai mais c'est réducteur. C'est l'oscillation entre tonalité et atonalité, le jeu sur leur frontière qui est le véritable moteur de cette musique.

Ce que je comprends de la forme: c'est une forme sonate en deux volets (4'58" étant le pivot). Avec un mouvement harmonique, dans la première partie, d'un mélange de gamme par tons et de la mineur (c'est une symphonie "en la mineur", écrit Sibelius) vers un fa# majeur qui joue le rôle de la dominante dans la sonate classique; la deuxième partie revenant au mélange de la mineur et d'atonalité du début. Et dans chaque partie, une phase centrale d'"action", un peu alchimique et mystérieuse, permettant la transformation d'un matériau indistinct en un matériau polarisé et ordonné (résolu, on dirait en termes de langage sonate)....

Le matériau du début (a), exposé dans les graves (ambiance de Pelléas dans les souterrains):

do-ré-fa#-mi, sans polarité tonale, expose un fragment de la gamme par tons (rappel: la gamme par tons est cette échelle qui, transposée ou translatée comme vous voudrez, ne change pas). L'intervalle maximal (do-fa#) est précisément ce triton qui coupe l'octave en deux; et annonce aussi le trajet du do liminaire vers le fa# majeur qui conclut la première partie. Un tortillon de gamme qui finit par osciller, en ralentissant, sur fa#-mi. Première source de désarroi de l'auditeur: quel est donc ce matériau qui se torpille tout seul, qui n'arrive plus à avancer ?

Ce matériau prend son sens superposé à un solo de violoncelle (à 39", mesure 6), qui définit un autre espace, tout en prolongeant le précédent : sol#-la-do-mi définit clairement la mineur (l'accord parfait) tout en prolongeant la gamme par tons (sol# succède à mi-fa#).

Ce thème de violoncelle solo est plus folklorisant, moins naine blanche que celui du début. Je l'appelle thème par tierces (b), puisque il énonce des tierces liées par deux. Il finit par se démultiplier et se combiner avec la gamme par tons.

A 2'27, coup de tonnerre, coup de semonce des violoncelles: fa#, superposé à do# (totalement étranger au discours précédent) annonce fa# majeur. On rentre dans une phase d'action que l'on pourrait appeler "Les Temps aventureux" (parce qu'en ce moment on voit du Graal partout), avec des événements très repérables: une montée chromatique avec des soufflets aux cuivres (2'29" puis 3'03"), commentées par une transformation du thème (a) aux violons (2'41" avec le triton bien repérable puis 3'15"), un appel de chasse aux cors (3'29" puis son écho) et une fanfare à la Parsifal (3'45"). On conclut à 3'52" sur le thème en tierces (b), en fa# majeur A 4'26", retour du thème (a), apaisé, ayant perdu sa charge d'atonalité....mais la retrouvant.....

Ce qui suit est une section de développement très stricte autour de (a) (la gamme par tons) et (b) (les tierces majeures, forcément), de plus en plus fiévreuse. Autant le début ralentissait, autant ici on accélère, on détimbre, on désincarne et on file dare-dare vers le néant.

A 7'15", retour des Temps aventureux, avec la même séquence d'événements (par exemple, fanfare à la Parsifal à 8"00) décrite à 2'29", mais en la majeur. Retour de la belle séquence en la majeur à 8'10", qui réexpose les tierces: (a) affadi puis revigoré, mais sans triton: mi-fa#-la-sol.

Conclusion incroyable: Sibelius concatène la formule du début (do-ré-fa#-mi) à une formule finale qui réintroduit le triton (mi-fa#-sib-la). Les dernières notes exposent toute la gamme par tons (do-ré-mi-fa#-sib) moins sol# remplacé par la..... La boucle est bouclée: Sibelius a réussi à résoudre son mouvement dans cet hybride de tonalité, mi gamme par tons mi la mineur. Et réussi à rester dans l'ambigüité, jusqu'au bout

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9 août 2005

Le finale du KV 428

La tête farcie des quatuors de Mozart, le coffret à emporter sur l'île déserte que j'ai emmené ce week-end à ***.

La redécouverte du moment: le finale du KV428 en mib majeur. Une musique gaie, désinvolte et inventive. Il y aurait beaucoup de choses à en dire, mais ce serait moins amusant à expliquer qu'à écouter: la façon dont Mozart organise des syncopes à grande échelle, insère des phrases à 6 mesures dans des structures à 8 mesures, crée des rimes subtiles entre le thème et la zone dominante (à 1'16").

Comme souvent en forme sonate, c'est à la fin (4'46"), après des errements délici-eux (4'30"), que l'on comprend ce qu'était le début. Cette pâte à choux à farcir:

c'est à la fois une formule d'accompagnement (4'53": le violon solo qui plane, par exemple; mais on pourrait imaginer autre chose) et une formule finale (le I-IV-V-I que Mozart reproduit en boucle à la fin, comme les danseuses de la frise Beethoven de Klimt).

Sur le plan formel, je suis catégorique: c'est une forme sonate sans développement: exposition/ réexposition, directement (à 2'29"), avec zone terminale expansée conformément au programme génétique défini au début. Ce serait ridicule d'appeler un rondo une forme dans laquelle le thème ne revient que trois fois, non ?

9 juillet 2005

variations (1): où Mozart met la pilée à Beethoven 4 à 2


Je rappelle les règles de notre grand jeu-concours de ce soir, il faut:

  • avoir 29 ans
  • écrire au sein d'un quatuor en la, un mouvement à variations en ré majeur, mouvement qui fera l'ojet d'un vote du jury !

Qui ( roulements de timbales, majas desnudas, averse de gloubiboulga) de nos deux candidats de ce soir, Ludwig v. et Wolfgang A., va l'emporter ?

Alors là, j'arrête tout de suite, dans mon souvenir - car ce grand jeu a déjà eu lieu, c'est du différé, je dois bien l'avouer- le jeu était équilibré, Ludwig s'en sortait plutôt bien, le mouvement lent de l'opus 18 n°5 tenait la route par rapport à celui du KV 464. Et bien, je dois dire que, tout bien réécouté, avec mes oreilles d'aujourd'hui, je dirais maintenant que Wolfgang sort nettement vainqueur de notre grand jeu-concours.

La comparaison n'en reste pas moins très instructive sur les deux musiciens, écoutons donc.

Commençons par le Mozart: c'est le le 3ième mouvement du 18ième quatuor K464 daté de 1785.

Déjà, le thème est magnifique; élégamment asymétrique (8 +10 mesures), avec du relief, des chromatismes subtils, un équilibre rythmique étonnant avec cette formule entourée ci-dessous qui installe un contretemps qu'il faut résoudre, qui revient telle quelle une deuxième fois et crée carrément la surprise (forte subito). On la retrouvera plus tard (héhéhéhé), je n'en dis pas plus ici (teasing.....).

  1. 1ère variation (à 1'28"): c'est le 1er violon qui tricote (vite et bien) son fil rouge autour du thème. C'est une variation dite ornementale, dans le jargon.
  2. 2ième variation (à 2'56'', logique): le fil rouge passe au 2nd violon, du coup ça chante, ça respire.
  3. 3ième variation (à 4'16", c'est implacable): des dialogues, par blocs; ça se détricote, ça se détend, parce que plus tard, il faudra bien reconverger.... (manoeuvre subtile !)
  4. 4ième variation (à 5'44"): ré mineur. Des sextolets de doubles que l'on s'échange entre musiciens de bonne compagnie. Les rythmes pointés de la dignité outragée. Donna Anna, quoi. Au fond je n'aime pas beaucoup ce drame un peu factice (beurk, de l'opéra).
  5. 5ième variation (à 7'25") retour au majeur, avec une musique pleine d'effusion chromatique, chaude et contrapunctique à la fois. Je craque, je fonds de bonheur (enfin, il faudrait choisir).
  6. 6ième variation (à 8'44"): sur un rythme militaire au violoncelle, les 3 autres cocos complotent ensemble, mezza voce, à l'intérieur du chaudron.
  7. 7ième variation (coda, de 10' à la fin) : le rythme militaire s'élève progressivement d'instrument en instrument vers un la cadenciel, qui ne demande qu'à être résolu. Le thème est réexposé à 10'47", écoutez bien, on suit la phrase du début jusqu'à la formule magique que j'ai entourée dans le thème, qui se révèle être un raccourci pour conclure, en évitant le centre du thème (à caractère centrifuge si vous me permettez cette contradiction). Presque aussi énigmatique que la fin de l'opus 111 avec ses décélérations.

Passons maintenant à Beethoven avec son opus 18 n°5 en la de 1799. En fait, il a lu, aimé et recopié le quatuor KV 464, et il y a pensé, manifestement, en écrivant ce beau mouvement lent. Même s'il a moins d'expérience que Wolfie au même âge, ce n'est tout de même pas un poulet de l'année: il a déjà derrière lui des sonates pour piano, des trios.

Déjà le thème: il est tout simple, tout carré, c'est du 2*8 mesures, sans chromatisme ni relief tourmenté. Un thème-prétexte, comme souvent chez B.

  1. variation 1: Pas inconscient, Beethoven sait bien que son thème est nul et qu'il faut intéresser l'auditeur. Alors il écrit une variation avec beaucoup de caractère et d'humour, avec une succession de têtes baroques rigolotes. C'est une solution logiquement différente de celle de Mozart qui aime tellement son thème qu'il en respecte la lettre en se contenant de lui mettre du persil dans les naseaux (du moins, dans cette première variation).
  2. variation 2: le moment de bravoure (relative) du 1er violon (en sextolets; ça accélère et c'est une marque de fabrique de Beethoven de varier la pulsation de base: voir encore l'opus 111, c'est différent de Mozart qui garde son fil rouge rythmique inchangé). Rien à faire, un violon 1 qui fait le coq, ça me fout en boule.
  3. variation 3: accélération rythmique, clapotis du 2nd violon. Me touche surtout l'alto, qui, idéaliste tendance grave, chante un monde meilleur, au début de la seconde mi-temps.
  4. variation 4: variation mystérieuse, pianissimo, avec des successions d'accords qui s'animent de façon imperceptible. Ces enchaînements chromatiques frappent davantage l'imagination que ceux de Mozart car on ne les a pas entendus avant (c'est une bonne idée de Beethoven, ça)
  5. variation 5 (6'44"): Bastringue ! c'est la fête à Neuneu. M n'a pas tort, Beethoven c'est vulgaire. Mais que c'est drôle de voir ces marquises sauter sur leurs réveille-matin qui font dring....
  6. variation 6 (7'56"): bifurcation en si bémol une modulation, retour à ré.....cadence et thème déconstruit, liquidé. Ressemble étrangement à la fin du Mozart, en moins excitant je trouve.

Récapitulons: chez Mozart je trouve plus réussis le thème, la variation 2 (celle qui chante qui respire et qui palpite), la variation 6 (le complot sous contrainte militaire) et 7 (la fin, sublime). Mozart, 4 points.

Chez Beethoven, j'aime la variation 1 (son esprit "je casse tout"), la 3 pour l'idéalisme, la 4 pour les complots chromatiques. Et j'enlève un point à cause du bastringue. Beethoven, 2 points.

4 à 2 pour Mozart: c'est (presque) sans appel, non ? Enfin, dans la catégorie, thème et variations en ré majeur, compositeur de 29 ans....

 

22 juin 2005

Autour du premier mouvement de la symphonie Haffner de Mozart

Mozart, encore Mozart, toujours ré majeur, cette fois-ci le premier mouvement de la 35ième symphonie, la Haffner. De loin la symphonie de Mozart qui me plaît le plus, pour sa tension et son énergie, son monothématisme strict à la Haydn. Cette forme sonate-ci est vraiment obsessionnelle avec ce thème guindé qui irrigue tout le mouvement.

Une cocotte-minute avec les tenues véhémentes, les rythmes pointés prêts à exploser. Chez Harnoncourt, ça sent le ragoût de mouton dès la première écriture contrapunctique (mesure 13, à 0'23"), on entend les altos bêler en contrechant (et faire scintiller les tenues, du coup, un peu comme des trilles). Je donne sans doute dans la psychologie de bazar mais il me plaît de penser que ce chaudron Ancien Régime avec ses rythmes pointés à la française a quelque chose à voir avec l'état général de fermentation pré-révolutionnaire de Mozart en 1783 et son irritation vis-à-vis de Sigmund Haffner, le commanditaire de l'oeuvre qui avait été anobli récemment.

Ce qui est très beau dans ce thème, c'est ce mélange de valeurs longues (la ronde) et courtes (des doubles croches) qui lui donne dès le début un air de musique venue de Sirius. Assez vite, la nature ayant horreur du vide, des figures rapides viennent se superposer au thème, qui change de physionomie à 30". La tentation pour un mauvais chef, je le sais d'expérience, est d'accélérer à ce moment là et d'écraser sans discernement les misérables vermisseaux qui tricotent dans la soute. C'est une des petites illusions délicieuses en musique: l'auditeur a l'impression que le discours s'anime alors qu'objectivement il n'y a pas la moindre variation de la vitesse de défilement. Soit dit incidemment, c'est aussi le ressort du quatuor Lever de soleil de Haydn (radio) et l'une des recettes de l'agogique.

Avouons-le, j'aime aussi ce mouvement à cause de son deuxième unisson qui me fait toujours un effet boeuf (à 2'05", de la à mi, pour pouvoir conclure en la; ou, à 5'08", de ré à la pour finir en ré), le pendant du thème initial à plus d'un titre. En reprenant la partition, je me suis aperçu que cette ligne qui monte vers l'aigu est le renversement de la gamme initiale (ré-do#-si-la) et le comblement, par degrés chromatiques, de l'ambitus initial (une octave et demie). Mozart comble son gap, comme un analyste chartiste. Sur un mode ironique et flamboyant, avec ses trilles et une accélération rythmique jupitérienne.

Nouvelles définitions de la forme sonate: 1) c'est ce qui comble le gap du chart; 2) c'est ce qui rattache Sirius à la terre. J'en ai une autre avec un lapin et un chasseur, ce sera pour une autre fois.

Radio: je mets aux côtés de l'allegro con spirito, le finale de la Haffner (pour les timbales et les surprises), et en radio-Haydn le début du lever de soleil (opus 76 n°4 en sib majeur).

PS: pour finir sur une note culinaire, je suis fou de la tache d'huile de la mixture violons-clarinette puis violons-flûte à 1'36" du début (la gamme ascendante).

21 mai 2005

un petit guide des trios de Haydn

Je délocalise les Haydn dans une nouvelle radioblog ad hoc (car il faut bien ranger, parfois). J'essaierai de faire varier les plaisirs dans cette radio- et il y a matière à, dans le continent Haydn.

J'ajoute à ce qu'il y avait dans la radioblog canal historique l'Agnus Dei de la Harmoniemesse, qui surclasse de loin à mon goût, celui, à timbales, de la Missa in tempore belli. L'Agnus est à pleurer. Le Dona Nobis pacem, une petite forme sonate, est particulièrement adapté pour danser dans son salon avec son flux électrique continu de doubles croches (qui rappelle le scherzo de l'Ecossaise) qui se déplace des cordes aux bois (rien de plus jubilatoire que de faire tricoter un basson: allez basson, tricote, basson) au moment de la zone à la dominante (fa majeur).

J'ai mis aussi et surtout un assortiment d'extraits des trios avec piano. C'est un massif de pièces géniales, déboutonnées, pas vraiment reconnues comme elles le méritent. Les musicologues expliquent tous la bouche en coeur que ce sont des oeuvres rarement jouées en concert car trop déséquilibrées en faveur du piano (Haydn les a appelées non sans raison sonates pour piano, violon et violoncelle), l'ego des violoncellistes s'accommodant mal d'une partie de doublure, paraît-il. Il me semble qu'elles connaissent un regain de faveur ces derniers temps.

Il y a pour l'amateur une vraie difficulté à ne pas sous-estimer, celle qu'il y a à s'y retrouver. Sans Excel, on est perdu. Désolé, ça va être le quart d'heure bibliothécaire, mais je crois que ces choses ont leur importance. Haydn accumule les handicaps avec ces trios. D'abord, il y a beaucoup de trios en sol ou en mib: la tonalité n'est pas discriminante comme, par exemple, dans le Clavier bien tempéré. La façon classique de marquer ces trios est d'identifier les dédicataires, Haydn ayant écrit quatre groupes de trios pour des dames différentes, mais là encore, patatras, deux de ces dames sont des princesses Esterhazy (Marie Thérèse, veuve Anton- je l'appellerai Anton; Marie Hermegild Esterhazy, épouse Nicolas- je l'appellerai Nicolas), les deux autres étant Theresa Jansen Bartolozzi (une pianiste redoutable, semble-t-il) et Rebecca Schroeter, une amie de coeur de Haydn).

Pour couronner le tout, il ya deux systèmes de numérotations en concurrence (et plus pénibles à réconcilier que les Pâques orthodoxes et catholiques): le système HC Robbins Landon (qui date de 1968), et le système Hoboken (1957). Hoboken me semble vraiment mal fichu, les derniers trios (au sens de la chronologie) étant numérotés jusqu'à 32, Hoboken complétant sa liste par des oeuvres moins incontestables; hélas les baroqueux, qui n'adorent rien tant que de montrer qu'ils maîtrisent la complication, adorent ce système. Robbins Landon (numérotation utilisée par le Beaux Arts Trio) me semble préférable. Mais reste compliqué d'usage. Je proposerais volontiers un système de numérotation isolé pour les premiers trios, puis un système du genre Theresa I, Rebecca II ou Anton II. Sans ce tableau et sans magnésium on est fichu.

Je rajoute donc dans la nouvelle radio-Haydn quelques morceaux de choix.... Je connais bien depuis longtemps les tout derniers trios :

- dans Theresa I (do majeur), le mouvement initial. Génial d'invention (ça n'arrête pas) de fraîcheur et d'ampleur. J'adore la fin du développement, quand l'âpreté de la partie en mineur s'évacue et que ça se remet à glousser (de 4'30'' à 5')
- toujours dans Theresa I (do majeur), le finale (sans commentaire).
- dans Theresa II (mi majeur), le 1er mouvement avec ses célèbres kloungs en mi majeur.
- dans le trio n°41 en mib mineur, l'Allemande finale, avec son ambiguïté rythmique initiale et son émulation dans la virtuosité (voir à 2'30"); s'il y a bien une musique déboutonnée chez Haydn, c'est vraiment celle-là.

Je découvre en ce moment les trios dédiées aux deux princesses Esterhazy; je mets:
- dans Anton 3 (sib majeur), le 1er mouvement euphorique et équilibré au thème sautillant et bien dessiné.
- dans Nicolas 3 (en ré mineur), les doubles variations initiales

11 mars 2005

Autour du finale de la 80ième symphonie de Haydn

Crainte: on ne loue pas assez Haydn.

Axiome: il y a toujours quelque chose d'intéressant dans une symphonie de Haydn.

Illustration: prenons, hum, au hasard, enfin, presque, la 80ième symphonie.

Je ne risque pas la concurrence dans la blogosphère à son sujet; même les musicologues l'évitent, pas même une note de bas de page. Rosen, mon idole, l'ignore superbement; j'ai juste lu que Geiringer en célébrait le mouvement lent qu'il qualifie aimablement de mozartien: il est vrai que cette symphonie est de 1783, un des grands moments d'enrichissement mutuel des musiques de Mozart et Haydn. Il faut dire que la pauvre cocotte est dans un entre-deux douteux: bien qu'en ré mineur, elle n'est plus franchement Sturm und Drang (ce qui ravirait les amateurs d'émotions fortes), et puis il faut bien avouer qu'elle est moins uniformément géniale que celles qui suivent la 82ième. Je ne l'ai jamais entendue en concert. Je mets sur la radio l'enregistrement d'un orchestre australien dirigé par Sir Ch. Mackerras, le spécialiste de Janacek (tiens tiens, hum, intéressant....)


Là le grand moment de génie, c'est le finale, dont j'aimerais faire une analyse à l'écoute, en évitant de regarder la partition. C'est une musique très spirituelle, dont on comprend vite à l'oreille le secret et la saveur, mais c'est beaucoup plus difficile à expliquer par écrit. Je vais essayer (au point où j'en suis....je n'ai plus rien à perdre !).

Un petit jeu si vous le voulez bien: écoutez sans tricher les 5 premières secondes de ce finale, avec la radio, puis mettez en pause. C'est parti.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Franchement, qu'avez-vous entendu ? en laissant toute mauvaise foi au vestiaire ?

Moi j'entends un dialogue entre 3 notes longues répétées, et deux 2 notes brèves, à un autre registre. Qui semble définir une pulsation de 4 temps. Un petit dialogue, que j'entends comme cela

 

que je retranscris comme ceci:

 

 

ou éventuellement comme cela:

 

 

Vous êtes autorisé[s] à poursuivre l'écoute (et me remercier, je suis un dictateur éclairé). Vous serez d'accord avec moi, non ?, vers 8", on commence à se dire, tiens, c'est bizarre. Et ce n'est qu'à 22" que c'est bien sûr, on comprend (après avoir compilé comme un vieil ordinateur de 1988): la figure du début que nous croyions être une figure stable s'appuyant sur les temps forts, est en fait une figure en contretemps, en syncopes, une figure d'accompagnement, secondaire,
comme ça:


Ce qui arrive...et ce que l'on attend, en somme.

 

 

-C'est tout zvezdo ?

-Et bien oui, c'est tout. C'est très exactement le genre de petit jeu qui m'excite en musique....

- (flop)

Un début excentrique, à la manière du finale de l'opus 76 n°5 dont j'ai déjà parlé et qui traîne dans la radio. Mais aussi un carburant qui irrigue tout le mouvement, et qui se résoudra comme toujours dans le style sonate, canalisé définitivement à l'extrême fin.(*) Je ne développe pas, c'est très simple, il suffit d'écouter, on entend les syncopes et le petit jeu de dialogue dans tout le mouvement.

Il m'émeut ce petit tortillon de rien poétique. Et il m'amuse aussi, car au fond, c'est une blague d'orchestre, très pratique, très concrète (à la manière de la fausse entrée du cor dans l'Eroica): voir des instrumentistes jouer à contretemps par rapport au chef, vérifier que le bloc des instrumentistes qui fait les deux brèves saura les caser au moment idoine, sans retard. Une blague sur la quelle on construit un mouvement. Un peu à la manière des Mikrokosmos, cet autre feu d'artifice poétique sur des éléments simples du langage.

Haydn: le contraire du papa Haydn dont on nous rebat les oreilles (le drame des gens d'esprit jeune qui meurent vieux); un galopin qui joue, le sourire aux lèvres, des ressources d'un langage tout neuf qu'il explore avec appétit (104 symphonies). Le Klee de la musique moderne.

(*)Idée[s] de définition de la forme sonate, ce grand cachalot blanc, ce maudit bic (parce qu'au fond, ça ne sert à rien de donner le topoguide d'une forme sonate, ça n'explique rien, pourquoi c'est là, à quoi ça sert ):
une forme sonate est un fil qui cherche son double pour former une corde. (Haydn marin)

une forme sonate est une façon de faire passer une crampe (Haydn kiné)

une forme sonate est une flamme dont on canalise l'énergie (Haydn électricien).

une forme sonate est la reconstitution d'un frigo à partir de tortillons dispersés dans la stratosphère (Zabriskie Haydn)

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