Hier soir, encore un concert où je suis allé après avoir assuré comme une bête en ne laissant pas une question sans réponse (oui! comme une bête !).
Ives: La question sans réponse. Très grand moment de musique. Sur un tapis moelleux de quatuor à cordes, la phrase incongrue d'une trompette solo puis le commentaire des bois, qui modifie imperceptiblement la façon dont on écoute la question posée par la trompette. Incroyablement simple et efficace. Beaux éclairages. Direction discrète (il ne faut pas casser la magie) de Susanna Mälkki qui fait signe à la trompette et les bois, satellisés dans les balcons, pour leurs interventions.
Kurtag: Scènes de roman, pour soprano, violon, cymbalum et contrebasse (deux instruments sourds, feutrés et deux dessus virtuoses). L'amour et la vie d'une femme, un roman russe (et pas hongrois malgré le cymbalum). Parfois magnifique, parfois décevant. Je veux retenir le n°3, une prière avec glissandi symétriques du violon et de la basse; le perpetuum mobile du n°12 (la série infinie des dimanches) avec ses arpèges d'une violoniste du dimanche qui s'exerce ad nauseam; le n°14, peut-être mon préféré ("Et chez toi dans ton jardin/ pousse/ l'herbe/ de l'oubli" avec une mise en musique saisissante: tictac implacable du cymbalum, arpèges du violon, pizz Bartok de la contrebasse); enfin, le n°15, beau comme la passacaille de Didon avec des trémolos sur chaque note chromatique descendante.
Benjamin: Trois inventions pour orchestre de chambre. Je trouve la première pièce (dédiée à Messiaen) lumineuse et sublime; la deuxième déjà moins et je disjoncte pendant la troisième. C'est un problème récurrent chez Benjamin - peut-être sa musique est-elle trop complexe ? Réveil brutal avec les gongs tout à la fin.
Fujikura: ...as I am.... La création du jour. S'entend avec plaisir. Texte un peu raccoleur (la logorrhée d'une amoureuse délaissée), mais non dépourvu d'humour et de légèreté, ce qui ne gâche jamais rien. Calm sea no boat sans Felix (on n'est pas chez Edward). Musique bien articulée en plusieurs sections clairement repérables; la chanteuse profite des transitions pour se déplacer et faire travailler ses jolies bottines. A propos de cabotinage, moment "amusant" de "mal chanté" d'autant plus "pénible" que la chanteuse est sonorisée.... (je laisse les guillemets pour donner au lecteur la liberté de décider si j'écris au premier ou au second degré).
Messiaen: Sept Haikai. Haikai, haikai, tu parles Charles, c'est bavard comme du Messiaen, oui ! Du Messiaen des années 60, aimable comme une table en formica (mais on s'en fout que ce soit une musique malaimable, hein). Comme chez Ives (ou Ignace), la rhétorique alimente la mystique. Et Dieu doit se cacher quelque part entre l'ouverture du panneau mobile (l'Introduction) et sa fermeture (la Coda). Un moment de pure beauté dans le Gagaku central (je n'arrive même pas à détester la sonorité aigre des violons). Les mouvements intermédiaires, qui vont par paires, sont plus arides, avec force chants d'oiseaux et percussions métalliques, et l'intervention de Pierre Laurent Aimard, qui joue tout cela avec un naturel confondant (des années de pratique religieuse, sans doute).
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